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Submergée par la pandémie, la Tunisie se prépare à un été difficile

Hôpitaux débordés, personnels de santé épuisés, nombre record de contaminations… Face à la situation sanitaire devenue critique, la Tunisie a annoncé mardi un renforcement des restrictions
Une femme infectée par le coronavirus reçoit de l’oxygène en guise de premiers soins dans un hôpital de la ville de Béja (nord-ouest), le 22 juin 2021 (AFP/Fethi Belaid)
Une femme infectée par le coronavirus reçoit de l’oxygène en guise de premiers soins dans un hôpital de la ville de Béja (nord-ouest), le 22 juin 2021 (AFP/Fethi Belaid)
Par Ahlem Mimouna à TUNIS, Tunisie

« Nous nous préparons pour un été triste et à plus de victimes dans les hôpitaux et les cimetières. » Sur Facebook, Rafik Boujdaria, chef du service de réanimation de l’hôpital Abderrahmen Mami de l’Ariana (banlieue de Tunis), ne cache pas son pessimisme.

Les nouvelles restrictions contre le COVID-19 annoncées mardi 29 juin par le gouvernement ne l’ont pas convaincu.

Après des semaines de dégradation de la situation épidémique – selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Tunisie est « le premier pays dans le monde arabe et en Afrique » en nombre de décès et de contaminations – et une réunion en urgence, lundi, de la commission scientifique de lutte contre le coronavirus, le gouvernement a annoncé « un durcissement » des mesures jusqu’au 11 juillet sans pour autant annoncer de confinement général.

Traduction : « Taux d’occupation des lits de réanimation (89,10 %) et d’oxygène (73,40 %) dans les hôpitaux des différents gouvernorats au 27 juin. »

Le couvre-feu est depuis ce mercredi avancé de 22 h à 20 h. Tous les arrivants en Tunisie, même vaccinés, devront désormais présenter un test PCR négatif et toutes les manifestations sportives ou culturelles ont été interdites.

Le gouvernement a aussi appelé au retour du télétravail et à l’octroi d’un congé obligatoire pour les agents publics du 1er au 21 juillet, sauf dans la santé et l’armée.

Un confinement total reste maintenu dans les gouvernorats où le taux de contamination est de 400 cas pour 100 000 habitants, une mesure en vigueur depuis le 25 juin.

Pour Nissaf Ben Alaya, porte-parole du ministère de la Santé, un confinement général ne serait efficace que s’il est appliqué pendant six semaines et accompagné d’une fermeture des frontières et d’une accélération du rythme des vaccinations. Or selon elle, « l’état psychologique, social et économique en Tunisie ne permet pas un confinement de six semaines ».

Images choquantes

Un avion militaire a été dépêché mardi en Allemagne pour ramener 25 stations mobiles de production d’oxygène en Tunisie, a indiqué mardi un communiqué de la présidence de la République.

Lundi, le ministère de la Santé a confirmé la détection pour la première fois du variant Delta dans le pays après une série d’opérations de séquençage.

Parmi les dix-huit cas détectés, huit se trouvent dans le Grand-Tunis et sept dans le gouvernorat de Kairouan (centre), qui connaît depuis deux semaines « une situation épidémique catastrophique ». Cinq enfants de 1 mois à 9 ans – une première pour cette tranche d’âge – sont décédés dans la vieille ville de Kairouan, trois avaient contracté le variant Delta.

La région, qui recense plus de 400 cas de contamination pour 100 000 habitants, souffre d’un manque d’équipements et de personnel de santé. Le principal hôpital de la région, Ibn Jazzar, ne parvient plus à gérer l’afflux des patients.

C’est juste devant cet hôpital qu’a été prise cette semaine la photo d’un homme succombant au coronavirus par insuffisance respiratoire.

À Béja (nord-ouest), d’autres images choquantes de patients pris en charge devant l’hôpital, faute de pouvoir être admis à l’intérieur, ont été diffusées.

Selon le directeur régional de la Santé de Béja, les services ORL, gynécologie et urologie ont été réquisitionnés pour les malades. « L’hôpital va devenir bientôt un centre du traitement du COVID », a-t-il dénoncé.

À l’instar de Kairouan et de Béja, les gouvernorats de Siliana (nord-ouest) et Zaghouan (nord) connaissent une situation épidémique critique et des décisions de confinement dans ces régions ont été imposées dès le 20 juin.

Le gouvernement a ensuite annoncé un confinement total pour les gouvernorats enregistrant 400 cas de contamination pour 100 000 habitants, et un confinement ciblé quand le nombre de cas varie de 200 à 400 pour 100 000 habitants.

Le contrat social tunisien à l’épreuve du confinement
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« À Siliana, nous avons été surpris par cette mesure. Nous avons recensé 538 cas pour 100 000 habitants, soit plus qu’à Kairouan », témoigne Saber Zaïdi, photojournaliste, à Middle East Eye. « Mais le confinement n’est respecté qu’à 20 ou 30 %. Les gens circulent normalement et les étalages sont toujours à leur place. Même s’il n’y a plus de rassemblement et si les cafés sont fermés, certains servent les boissons en cachette par les fenêtres. »

« On ne peut pas demander aux gens de rester chez eux alors qu’on ne les accompagne pas par des mesures sociales adéquates », déplore à MEE Maher Ben Amor de la Ligue tunisienne des droit de l’homme à Siliana.

« La police ne peut pas tout contrôler »

« La région compte onze délégations. La police ne peut pas tout contrôler. À Siliana-Sud, par exemple, le poste de police possède une voiture et cinq agents en fonction de nuit pour environ vingt villes agricoles », relève Saber Zaidi.

« Aujourd’hui, la région compte 708 cas pour 100 000 habitants, un record depuis le début de la pandémie », indique à MEE le directeur régional de la santé de Siliana Adel Haddedi qui s’inquiète de la surcharge des hôpitaux.

« La capacité d’accueil a dépassé les 200 % à Makthar [nord-ouest], et est de 80 à 100 % dans les autres hôpitaux locaux. Dans un hôpital disposant de huit lits de réanimation [équipé d’oxygène], on a dû soigner 25 patients », rapporte le responsable qui compte aussi quinze décès par semaine, soit deux par jour.

Un hôpital de campagne doit venir en renfort dans une dizaine de jours.

À Zaghouan (nord), Imen, assistance juridique à Sousse, constate : « Le confinement n’est pas respecté. J’ai rendu visite à mes parents à Zaghouan, j’ai pris un louage [transport en commun] pour Tunis, et demain je rentre à Sousse. Le confinement n’existe que sur le papier ! »

Les images des supporteurs de l’Espérance sportive de Tunis lors du match contre les Égyptiens d’Al Ahly le 19 juin 2021 ont suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux (AFP/Fethi Belaid)
Les images des supporteurs de l’Espérance sportive de Tunis lors du match contre les Égyptiens d’Al Ahly le 19 juin 2021 ont suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux (AFP/Fethi Belaid)

À Béja et à Siliana, l’armée a été déployée lundi pour faire respecter les décisions de confinement.

Le chef du gouvernement Hichem Mechichi, testé positif bien qu’il soit vacciné, a appelé le comité scientifique de lutte contre le coronavirus à se réunir en urgence « afin de trouver les moyens d’arrêter la propagation des nouveaux variants ».

À Tunis, où le port du masque et la distanciation physique ne sont que très peu respectés, le personnel épuisé du service des urgences de l’hôpital Rabta a lancé un appel de détresse à la radio pour dénoncer la situation, à savoir six infirmiers pour plus de 40 patients, dont 20 en réanimation. »

Traduction : « Ce ne sont pas les résultats du bac… Ce sont les résultats des tests COVID devant un laboratoire privé. »

Des images d’un rassemblement à Sfax pour fêter la victoire de l’équipe de la ville après la Coupe de Tunisie, ou encore de l’anarchie dans un stade où 5 000 supporteurs ont été autorisés à assister au match de l’Espérance sportive de Tunis face à Al Ahly d’Égypte pour les demi-finales de la Ligue des champions africaine, ont suscité l’indignation des Tunisiens sur les réseaux sociaux.

La Tunisie qui avait levé les restrictions après l’Aïd el-Fitr, à l’exception du couvre-feu nocturne, recense environ 3 000 contaminations et une dizaine de décès par jour. Mardi, elle a enregistré un record de contaminations avec 5 251 cas et 106 décès.

Début juin, Hichem Mechichi a rappelé que la Tunisie – qui n’a reçu qu’1,6 million de doses de vaccins pour douze millions d’habitants –, avait besoin de davantage de vaccins « sans attendre ». Le pays espérait initialement plus de 2,5 millions de doses dès mars, par des achats et des dons dans le cadre de COVAX, dispositif visant à assurer un accès équitable à la vaccination pour 200 pays.

Seulement 2,8 millions de Tunisiens se sont inscrits sur la plateforme de vaccination Evax. Ils sont plus de la moitié à ne pas encore avoir été convoqués.

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