Une « soupe pour la Syrie » : la recette d’une chef libanaise en solidarité avec les réfugiés
BEYROUTH - Quand il s'agit de nourriture réconfortante, la soupe est un gagnant universel. Elle réchauffe en hiver, permet de lutter contre les rhumes, évoque la maison. Ainsi, lorsque Barbara Abdeni Massaad, défenseure de la bonne cuisine et auteure de livres de cuisine, a voulu faire quelque chose pour les réfugiés syriens au Liban, elle s’est naturellement tournée vers la soupe.
« Il y a trois ans, en décembre, il faisait vraiment très froid », se souvient Massaad, assise avec une tasse de café à la table de sa cuisine. « J'étais dans mon appartement à Beyrouth avec le chauffage allumé et j'étais encore gelée. À cette époque, de nombreux réfugiés syriens arrivaient dans le pays et, aux infos, je voyais des enfants grelotter dans des tentes de fortune. »
Mère de trois enfants, Massaad explique qu’elle trouvait insupportable l’idée que des enfants puissent avoir faim et froid. Incapable de dormir, elle décida de faire quelque chose. « J'ai dû me rapprocher du problème, alors j'ai décidé d'aller visiter les camps, ne sachant pas si j'allais vraiment pouvoir faire quelque chose d'utile, car comment quelqu'un peut-il faire quelque chose de vraiment utile face à un problème aussi énorme ? »
Mère de trois enfants, Massaad explique qu’elle trouvait insupportable l’idée que des enfants puissent avoir faim et froid
En décembre 2013, le nombre de réfugiés syriens enregistrés auprès du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Liban avait explosé à plus de 800 000, soit huit fois plus en l’espace de douze mois. Massaad se rendit en voiture jusqu’à la vallée de la Bekaa au Liban, une région frontalière avec la Syrie qui se retrouvait soudain à accueillir quelque 250 000 réfugiés syriens. Elle visita une « colonie de tentes informelles » - l'un des campements de tentes de fortune abritant des réfugiés au Liban (en octobre 2016, on dénombre plus de 2 000 de ces campements).
« J’ai toujours mon appareil photo avec moi et j'ai commencé à prendre des photos des enfants et à parler aux gens. Je les ai trouvés vraiment gentils, et j'ai pensé que c'était bon pour moi et bon pour eux que je leur rende visite. Alors j'ai continué. »
Massaad leur a rendu visite régulièrement, chaque fois remplissant le coffre de sa voiture de nourriture pour les familles. Elle réfléchit à ce qu'elle pouvait faire d'autre et eut l'idée de créer un livre de cuisine de recettes syriennes qu'elle préparerait avec les femmes réfugiées, mais « l'hygiène dans les camps était un désastre ».
La naissance de la « soupe pour la Syrie »
« Une de mes amies, Cristina Ghafari, m'a appelée un jour et m’a dit : ‘’Hey Barb, pourquoi ne pas cuisiner des soupes pour les distribuer au marché paysan à Hamra chaque semaine ?’’ J’ai pensé que c'était une excellente idée », raconte Massaad. « Elle préparait les soupes et nous les distribuions gratuitement aux réfugiés d’Hamra [un quartier de Beyrouth-Ouest]. Et j'ai pensé, voilà peut-être une idée. La soupe. Ça nourrit le corps et l'âme. C'est un aliment réconfortant universel. »
La « soupe pour la Syrie » était née. Massaad a créé une page Facebook et lancé un appel à recettes. Elle a également contacté ses connaissances au sein du mouvement mondial Slow Food. Elle a rassemblé plus de 200 recettes en provenance de femmes au foyer et de chefs professionnels au Liban ou de personnalités internationales de la restauration comme Alice Waters, Paula Wolfert et Claudia Rodin. La cuisine et la dégustation ont commencé et plus de 70 recettes ont été sélectionnées.
« J'ai fait une maquette de Soup for Syria et je l'ai montrée à l'éditeur de mon livre de cuisine Man'oushe, à Londres. Il a immédiatement dit qu'il était partant », poursuit Massaad.
C’est son éditeur qui a joint le célèbre chef britannique Yotam Ottolenghi et la star américaine de la cuisine Anthony Bourdain, lesquels ont tous deux contribué au recueil de recettes. Soup for Syria (Soupe pour la Syrie) est paru au Liban, aux États-Unis et au Royaume-Uni en octobre 2015, et a depuis été traduit et publié aux Pays-Bas et en Italie.
Compassion née d'une expérience personnelle
Massaad sait ce que c'est que d'être réfugié. Elle avait 10 ans en 1980 quand sa famille a fait ses bagages pour échapper à la guerre civile libanaise. Ils sont partis pour la Floride, où résidait la tante de Massaad, et y sont restés pendant huit ans.
Bien que le père de Massaad fût photographe de profession, renommé pour ses portraits artistiques de célébrités et de femmes de la société libanaise, il se passionnait également pour la nourriture. Il ouvrit un restaurant libanais à Fort Lauderdale quand Massaad avait 15 ans.
« J'ai travaillé au restaurant pendant trois ans », raconte Massaad. « Puis nous sommes revenus en 1988, j'avais alors 18 ans. » Elle est allée à l'université au Liban et a étudié la publicité et le marketing. Quand son premier enfant est né, elle a quitté son emploi et est restée à la maison pendant un certain temps. Massaad a eu deux autres enfants et quand le plus jeune est entré à l’école maternelle, Massaad a changé de carrière à nouveau et est retournée aux fourneaux.
L'appel du patrimoine alimentaire
« J'ai décidé de m'entraîner dans différents restaurants au Liban. J'ai commencé avec un français, puis un italien, puis je suis allée dans un libanais, et c'est là que tout a commencé à avoir du sens. Étudiez la nourriture de votre pays, vous êtes Libanais, vous avez un incroyable patrimoine culinaire », encourage Massaad. « C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée de faire le livre Man'oushe. Tout le monde pensait que j'étais folle, personne ne croyait que ce serait vraiment un livre, mais c'est arrivé et nous en sommes maintenant à la quatrième édition – deux éditions au Liban et deux aux États-Unis. »
« Étudiez la nourriture de votre pays, vous êtes Libanais, vous avez un incroyable patrimoine culinaire », encourage Massaad
Les man'oushe sont un aliment de base au Liban : ce sont des galettes chaudes de pain plat agrémentées de garnitures allant du thym herbacé et du zaatar (mélange de thym et de sésame) à un yaourt séché et piquant appelé kishk. Massaad a enchaîné avec un livre de cuisine intitulé Mouneh, sur les conserves libanaises traditionnelles, puis Mezze, un livre sur les célèbres assiettes composées du Moyen-Orient. Préserver le patrimoine alimentaire libanais est fondamental pour Massaad, présidente et co-fondatrice de Slow Food Beirut.
« Ma vie a changé quand j'ai rejoint Slow Food. J'ai trouvé des gens qui partageaient ma philosophie de vie », explique Massaad. Selon le site web de Slow Food, cette philosophie est que « tous les gens peuvent avoir accès et apprécier la nourriture qui est bonne pour eux, bonne pour ceux qui la cultivent et bonne pour la planète ».
Lancé en 2008, Slow Food Beirut – qui fait partie du réseau mondial Slow Food –, développe des parcours alimentaires et viticoles au Liban, une alliance de chefs cuisiniers dévoués à une « nourriture bonne, propre et juste » et un catalogue de petits producteurs au Liban. Ils ont également réalisé deux courts métrages sur le fromage local.
Connecter les autres à sa cause
C'est à travers Slow Food que Massaad est entrée en contact pour la première fois avec Carlo Petrini, fondateur et président du mouvement mondial Slow Food et ambassadeur spécial du programme Zero Hunger pour l'Europe de l'organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Quand elle publia Soup for Syria, elle demanda à Petrini un avant-propos. Il écrivit que les réfugiés « ont grand besoin d’actions concrètes de solidarité » et que « nous devrions toujours nous rappeler qu'un jour nous pourrions être les suivants dans le besoin ».
Plus tôt ce mois-ci, Massaad a réussi à amener Petrini au Liban pour qu'il puisse voir de ses propres yeux le travail de Slow Food Beirut et la situation des réfugiés syriens au Liban.
Petrini : Les réfugiés « ont grand besoin d’actions concrètes de solidarité » et « nous devrions toujours nous rappeler qu'un jour nous pourrions être les suivants dans le besoin »
Elle a emmené Petrini rendre visite à de petits producteurs, déguster du vin dans un vignoble local, planter un cèdre dans les forêts libanaises et, bien sûr, rendre visite à ses amis réfugiés syriens au camp de fortune près de Zahle. Elle a travaillé avec l'ambassade italienne au Liban pour organiser une séance de dédicace à Beyrouth du livre Slow Food Nation écrit par Petrini. Lors de l'événement, Petrini a décrit Massaad comme une « force de la nature ». Debout sur le côté de la scène, avec sa robe hippie et sa masse de cheveux roux indisciplinés, Massaad incarnait cette image.
L'énergie qui émane de Massaad est positive, pragmatique et ne s’éteint jamais. Le jour où Middle East Eye l'a rencontrée, elle avait de petits yeux à cause d'un voyage aux États-Unis destiné à promouvoir Soup for Syria, mais elle était heureuse de prendre un moment pour partager son histoire avant de s’en aller préparer la visite de Petrini.
Les bénéfices des ventes de Soup for Syria vont tous au soutien des réfugiés syriens. « Nous avons recueilli environ 300 000 dollars à ce jour. L'objectif de l'éditeur était d’1 million de dollars donc nous continuons à travailler dur »
Surtout, tout le travail effectué par Massaad pour Soup for Syria l’a été sur une base volontaire. « C'est mon bestseller et je n'en ai pas tiré un centime », dit-elle en riant.
Les bénéfices des ventes de Soup for Syria vont tous au soutien des réfugiés syriens. « Nous avons recueilli environ 300 000 dollars à ce jour. L'objectif de l'éditeur était d’1 million de dollars donc nous continuons à travailler dur », déclare Massaad. La sortie du livre en Allemagne et en Turquie est prévue pour mars 2017.
Les gens sont ce qu’ils sont
En plus des fabuleuses photographies des recettes de Soup for Syria, qui en font autant un beau livre qu’un livre de cuisine, l’ouvrage est également orné de portraits lumineux faits par Massaad des réfugiés avec lesquels elle s’est liée d’amitié à Zahle.
« Quand je regardais les photos, je pensais que c'était dommage qu’elles ne soient pas vues par d'autres personnes. Le message derrière ces photos est que ces gens sont exactement comme nous », observe Massaad, qui cherche à délivrer ce message à chaque fois qu'elle parle du livre de recettes.
« Les réfugiés ont les mêmes besoins fondamentaux. Ils ont besoin de nourriture, ils ont besoin d'un abri, ils ont besoin de dignité, ils ont besoin d'amour, ils ont juste besoin de sentir qu’ils existent »
« Les réfugiés ont les mêmes besoins fondamentaux. Ils ont besoin de nourriture, ils ont besoin d'un abri, ils ont besoin de dignité, ils ont besoin d'amour, ils ont juste besoin de sentir qu’ils existent, ils veulent construire l'avenir de leurs enfants. Alors, en quoi est-ce si différent de nous ? »
Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.
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