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Vaste élan de solidarité avec Carlos Ghosn au Liban

Au Liban, pays natal de l’homme d’affaires inculpé ce lundi pour « dissimulation de revenus », Carlos Ghosn est un symbole de réussite. Pour de nombreux Libanais, les vraies raisons de son arrestation sont à chercher ailleurs
Une affiche de soutien à Carlos Ghosn à Beyrouth, le 6 décembre 2018 (AFP)

BEYROUTH – Passés les moments de questionnements et de stupeur, les Libanais ont vivement réagi à l’arrestation de Carlos Ghosn, le 19 novembre. Selon des médias japonais, le patron de l’alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors a été inculpé ce lundi pour avoir omis de déclarer aux autorités boursières environ 38 millions d’euros de revenus de 2010 à 2015.

Les premières heures après son arrestation, de rares commentaires peu avenants à l’adresse de l’homme d’affaires d’origine libanaise, détenu à Tokyo pour soupçons d’évasion fiscale, sont apparus sur les réseaux sociaux.

Mais très vite, un vaste élan de solidarité, avec celui qui est considéré comme le symbole de la réussite des Libanais à l’étranger, s’est exprimé à tous les échelons.

Dernier épisode en date, l’apparition de portraits de Carlos Ghosn sur des panneaux d’affichage dans les rues de Beyrouth avec l’inscription en Anglais : « Nous sommes tous Carlos Ghosn ».

« C’est une campagne contre l’injustice », a expliqué à l’AFP Dany Kamal, l’un des associés de la société de publicité à l’origine de cette initiative.

Celui qui a sauvé Nissan de la faillite a gardé des liens profonds avec le Liban. Il a fait sa scolarité au collège Notre-Dame de Jamhour, qui accueille une grande partie de l’élite politique et économique chrétienne, avant de poursuivre ses études universitaires à Paris.

En 2017, un timbre à son effigie a été émis pour rendre hommage à cet éminent représentant de la diaspora libanaise

Maîtrisant parfaitement l’arabe, Carlos Ghosn venait souvent au pays du Cèdre, où il a conservé ses amitiés de jeunesse. Il y a investi dans le secteur de la viniculture et a acheté un grand appartement au cœur de Beyrouth.

En 2017, un timbre à son effigie a été émis pour rendre hommage à cet éminent représentant de la diaspora libanaise.

Les responsables libanais ont réagi au lendemain de l’annonce de son arrestation à Tokyo. « Le phénix libanais ne sera pas brûlé par le soleil du Japon », a assuré le ministre de l’Intérieur, Nohad Machnouk.

Soutien des officiels libanais

Le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a quant à lui donné des instructions à l’ambassadeur du Liban au Japon de suivre de près le dossier, et le diplomate a rencontré l’homme d’affaires à trois reprises dans sa prison.

Selon des sources informées, les conditions de détention de M. Ghosn n’ont pas été jugées satisfaisantes par l’ambassadeur Nidal Yehya, notamment en ce qui concerne les modalités des rencontres et le niveau de confort de la cellule.

Le 27 novembre, le ministre Bassil a convoqué l’ambassadeur du Japon à Beyrouth, Matahiro Yamaguchi, pour lui faire part de « points d’interrogations qui entourent les circonstances de l’arrestation de M. Ghosn et les conditions de détention ».

Ces mêmes sources affirment qu’après l’intervention de la diplomatie libanaise auprès des autorités japonaises, les conditions de détention se sont améliorées.

Le ministre de l’Information, Melhem Riaché, est allé plus loin. « Ça ne sent pas bon », a-t-il déclaré au quotidien anglophone libanais The Daily Star. « Une troisième partie est peut-être impliquée pour prendre pour cible [Carlos Ghosn] à cause de son succès. Ce n’est pas le premier expatrié libanais à avoir été victime de sa réussite. »

« C’est une affaire politique, sinon économique. Le prétexte de l’évasion fiscale ne tient pas la route », renchérit de son côté un ancien camarade de classe de l’homme d’affaires. 

« Carlos Ghosn a refusé d’obtempérer lorsque les États-Unis ont sommé toutes les sociétés étrangères de quitter l’Iran après la réinstauration des sanctions »

- Un ami d’enfance de l’homme d’affaires

« Carlos Ghosn a refusé d’obtempérer lorsque les États-Unis ont sommé toutes les sociétés étrangères de quitter l’Iran après la réinstauration des sanctions », a-t-il déclaré à Middle East Eye. « Il a annoncé que le groupe qu’il dirige n’abandonnera pas le marché iranien. »

L’ami d’enfance de Carlos Ghosn juge inconcevable que les autorités nippones aient « subitement découvert, avec cinq années de retard », des irrégularités dans la fiscalité du PDG de Renault-Nissan.

« Il y a une volonté de l’humilier et de le briser, vue la manière de son arrestation par une armée d’agents qui sont montés à bord de son avion dès l’atterrissage. Avec un homme de ce calibre, l’affaire aurait pu être gérée autrement », estime-t-il.

Les réseaux sociaux s’enflamment

Une fois n’est pas coutume, les internautes et les dirigeants politiques du pays sont sur la même longueur d’ondes.

Les marques de soutien et de sympathie envers Carlos Ghosn envahissent la toile, avec parfois leur lot d’excès. Des photos de lui avec la mention « innocent » ont pullulé lors de son arrestation. 

L’homme d’affaires a trouvé auprès des anciens du collège de Jamhour un appui indéfectible. Une pétition, lancée par l’un d’eux, a déjà recueilli plus de 21 000 signatures.

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Le texte, rédigé en anglais, accuse les autorités judiciaires japonaises de « vandalisme » et leur reproche d’interdire la présence d’un avocat lors des interrogatoires auxquels est soumis Carlos Ghosn.

La pétition demande aux dirigeants libanais de dépêcher à Tokyo une délégation officielle de haut niveau « pour s’enquérir des conditions de détention de ce citoyen libanais émigré, ce brillant homme d’affaires, connu pour ses grandes qualités ».

Carlos Ghosn est en effet un philanthrope et un bienfaiteur discret. Il fournit, entre autres, des bourses scolaires et universitaires à un grand nombre d’élèves de Jamhour

Carlos Ghosn est en effet un philanthrope et un bienfaiteur discret. Il fournit, entre autres, des bourses scolaires et universitaires à un grand nombre d’élèves de Jamhour et finance d’autres œuvres caritatives dans le pays.

Cette générosité a interpellé les nombreux journalistes japonais qui ont débarqué à Beyrouth pour aller sur les traces de l’homme, hier porté aux nues pour avoir sauvé le fleuron de l’industrie automobile nippone, aujourd’hui déchu, comme un vulgaire criminel.

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