EN IMAGES : Les chevaux arabes de Sanaa décimés par la guerre au Yémen
Pendant des milliers d’années, le cheval arabe a été un objet d’adoration et de dévotion parmi les bédouins et même les Arabes des villes. Le poète bédouin préislamique Imrou al-Qays louait son galop pareil à la course d’un loup, le Coran décrit l’animal comme une parure et l’écrivain médiéval nord-africain Ibn Rachiq considérait le poulinage d’une jument comme une occasion de réjouissance pour les Arabes, au même titre que la naissance d’un fils et l’émergence d’un poète en leur sein.
Domestiqués il y a environ huit mille ans, ces animaux sont connus pour leur intelligence, leur grâce, leur calme et leur beauté saisissante. « Et Allah prit une poignée de vent du sud, souffla dessus et créa le cheval », affirme un ancien dicton bédouin. Aujourd’hui, un pur-sang typique peut coûter jusqu’à 300 000 dollars… mais dans un coin de la péninsule arabique, ces chevaux vivent dans le dénuement, maintenus en vie uniquement grâce au dévouement d’une poignée de soigneurs. (MEE/Mohammed Hamoud)
Au Yémen, six ans de guerre entre le mouvement houthi et une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite ont plongé le pays dans une catastrophe humanitaire, où le bien-être animal est loin d’être une priorité. « La plupart du temps, les chevaux ne prennent pas de petit-déjeuner et doivent attendre jusqu’à midi pour leur seul repas de la journée », explique Mohamed al-Tawil, employé au club équestre de la capitale Sanaa.
Tawil et dix-sept de ses collègues ont travaillé sept mois durant sans salaire pour ne pas abandonner leurs chevaux. Ils sont néanmoins confrontés à de multiples difficultés pour les garder en vie et en bonne santé.
« Plus de cinquante chevaux sont morts, dont treize au cours des trois derniers mois », expliquait en début d’année Mohammad al-Qumali, le directeur du club équestre. Il attribue les décès aux frappes aériennes saoudiennes, aux conséquences d’un mauvais chauffage en raison des pénuries de fuel et aux maladies causées par la malnutrition.
Le club, qui a été créé en 2000, était autrefois un terrain de jeu pour l’élite yéménite, un lieu où ses membres pouvaient se livrer à l’une des traditions les plus glamour de la culture arabe : monter un cheval arabe. La guerre actuelle, cependant, a contraint de nombreux Yéménites aisés à fuir vers des contrées plus sûres, emportant avec eux leurs cotisations d’adhésion et laissant les chevaux à leur sort. Même les membres du club encore à Sanaa n’ont pas les moyens de payer leurs cotisations en raison de l’effondrement de l’économie provoqué par la guerre.
Le peu de revenus que le club recevait des visiteurs s’est également tari à cause d’un différend avec le propriétaire du site sur lequel est installé le club. Le propriétaire foncier a fermé les portes du club à la mi-2020 en raison d’un litige lié à la location de la zone et depuis, les visites n’ont pas été autorisées, privant ainsi les soigneurs d’une source de revenus plus que nécessaire. Sans argent, Qumali et ses collègues ne peuvent pas nourrir correctement les animaux ni acheter suffisamment de médicaments pour les soigner.
Alors que la race est connue pour son endurance et son athlétisme, les chevaux arabes de Sanaa ne peuvent s’exercer en raison de leur mauvaise alimentation et de leur santé fragile. Le propriétaire a émis un avis d’expulsion du club et les soigneurs ne peuvent qu’espérer trouver un nouvel abri pour leurs animaux.
Qumali est très pessimiste et ne voit aucune issue favorable pour les chevaux sans l’intervention d’un bienfaiteur. « Si un groupe ou une personne veut acheter ou parrainer l’un des chevaux, nous pouvons les lui donner gratuitement, mais nous voulons qu’ils s’engagent à ne pas les vendre, à ne pas les laisser souffrir de faim ou vivre sans soins. » Mais alors que le conflit continue de faire rage, c’est peut-être beaucoup demander.
L’Arabie saoudite et ses alliés soumettent depuis plusieurs années le territoire détenu par les rebelles houthis, qui comprend la majeure partie du nord du pays, à un blocus aérien, maritime et terrestre. Le conflit a privé des millions de personnes de vivres, de médicaments et de la possibilité de se déplacer sans entrave à l’intérieur et à l’extérieur du pays. L’ONU avertit depuis des années que le pays est au bord de la famine, et les estimations du nombre d’enfants morts de faim dépassaient les 85 000 en novembre 2018.
La récente décision de Joe Biden de restreindre les ventes d’armes américaines aux Saoudiens a fait naître l’espoir que le nouveau président américain pourrait œuvrer à mettre fin à la guerre, mais si oui ou non ces espoirs se concrétiseront et combien de temps sera nécessaire pour constater des changements sur le terrain sont des questions aujourd’hui sans réponses.
Face à une telle incertitude, Qumali ne peut que faire le bilan de ses pertes. « Nous avons de nombreux chevaux morts de simples maladies », déplore-t-il. « Y compris des chevaux appartenant aux meilleures races arabes. »
Traduit de l’anglais (original).
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