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Pardon ! Mais vous rigolez ? 

L’écrivain et dramaturge algérien Mohamed Kacimi répond à la lettre d’excuses, signée le 3 avril par le président déchu Abdelaziz Bouteflika, au lendemain de sa démission
Jeudi 18 avril devait être un jour d’élection présidentielle avant qu’une mobilisation historique des Algériens ne pousse Abdelaziz Bouteflika vers la sortie, provoquant un changement de scénario dans l’histoire du pays (AFP)

Monsieur l’ex, 

J’ai lu avec stupéfaction votre lettre de démission. Vous disiez que vous renonciez à la magistrature suprême par peur de « dérapages verbaux ».

Ainsi, après avoir poussé un pays entier au bord de l’implosion à cause de votre entêtement à briguer un énième mandat alors que vous êtes à l’article de la mort, vous tirez votre révérence parce que… vous ne supportez pas les mots déplacés !

C’est tout à fait vous… Ce ne sont pas les cris de 40 millions d’Algériens, femmes, enfants, jeunes, vieux, qui vous disent « Y’en a marre de voir vos gueules depuis 57 ans », qui vous ont fait renoncer…

Non ! Ce ne sont pas des foules immenses qui battent le pavé dans toutes les villes et les villages d’Algérie depuis des semaines !

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Sans haine ni insulte 

Ce ne sont pas les images de cette révolution tranquille qui subjugue désormais le monde entier ; non, c’était juste la crainte d’un mot vulgaire qui vous contraint enfin à raccrocher, piteusement, votre tablier.

On vous savait délicat, amoindri, on vous découvre hyper sensible du tympan. 

Pourtant, et j’en suis témoin, aucune insulte n’a été proférée à votre égard durant tous ces vendredis de joie et de colère ; même si depuis vingt ans, 40 millions d’Algériens avaient envie de vous dire : « Allez vous faire... ». Personne ne vous l’a dit, tellement nous le pensions fort...

Un jour après, Monsieur l’ex, vous nous avez fait parvenir une autre lettre pour nous demander de vous pardonner, en citant le nom de Dieu à chaque phrase. Comme si le nom de Dieu pouvait vous servir d’airbag dans ces moments de collision violente avec la réalité de « votre peuple ». 

Vous nous demandez de vous pardonner, sans nous dire les torts que vous nous avez faits

On vous savait fasciné par Napoléon, voilà qu’on vous découvre épistolier dans l’âme, disciple de Madame de Sévigné, quoiqu’écrivant dans un français plus qu’approximatif et maladroit, comme en témoignent les fautes d’accord de participe que vous faites dans cette malheureuse missive, passons !

Vous nous demandez de vous pardonner, sans nous dire les torts que vous nous avez faits, et Dieu sait si la liste est longue. On pourrait passer notre vie à vous absoudre qu’on n’y arriverait pas, cher Monsieur. Ce serait au-dessus de nos forces et celles des générations à venir qui préféreraient nettoyer les écuries d’Augias, plutôt qu’El Mouradia. 

Monsieur l’ex, vous nous demandez de vous pardonner, mais pour quoi ? 

Pardon d’avoir été, à l’âge de 19 ans, le bras droit du colonel Boumédiène qui, comme le disait Ferhat Abbas, a attendu l’indépendance pour tirer les premières balles de sa vie, mais contre des Algériens ? 

Bouteflika, un adieu sans gloire au pouvoir
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Pardon d’avoir été aux côtés du même colonel quand celui-ci, en 1957, a signé la condamnation à mort d’Abane Ramdane, « l’architecte de la révolution » ? 

Pardon d'avoir engagé en 1961 ce guignol de Ben Bella à la tête du clan d’Oujda pour flinguer Ferhat Abbas et les civils du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) ? 

Pardon d’avoir tué dans l’œuf , en septembre 1962, la République qui allait voir le jour avec les civils du GPRA en prenant Alger de force avec l’armée des frontières qui, elle aussi, n’avait jamais tiré une seule balle de 1954 à 1962 ? 

Pardon d’avoir participé à un régime dirigé par ce bouffon de Ben Bella qui criait urbi et orbi : « Nous sommes arabes, arabes, arabes » et qui, pour le prouver, a fusillé des centaines de manifestants en Kabylie en 1964 ? 

« Peuple médiocre » ?

Pardon d’avoir pris la place de Mohamed Khemisti, assassiné en 1963 par votre clan pour vous libérer son portefeuille aux Affaires étrangères ? 

Pardon d’avoir participé au coup d’État qui a renversé ce bouffon de Ben Bella, mais qui a aussi brisé les fragiles institutions du pays, donné la chasse aux militants de gauche et torturé les militants de l’Union nationale des étudiants algériens (UNEA) ? 

Pardon d'avoir mis en place avec votre comparse, Boumédiène, une terrible dictature militaire qui nous a contraints durant quinze années à mendier des pommes de terre devant des magasins d’État vides, pendant qu’affublé d’une perruque de cheveux longs, vous faisiez des parties fines dans les palaces parisiens, aux dires de Giscard d’Estaing ? 

Pardon d’avoir détourné de 1965 à 1978, 60 millions de francs sur un de vos comptes suisses comme l’a confirmé le verdict de la Cour des comptes à votre encontre en 1983 ? 

Pardon d’avoir traité les Algériens de « peuple médiocre » à la veille de votre première élection en 1999 ? 

Pardon d'avoir, dès votre prise du pouvoir, amnistié, enrichi et introduit dans votre sérail des milliers d’égorgeurs islamistes ? 

Pardon d’avoir fait voter une loi qui interdit aux familles des victimes de montrer du doigt les assassins de leurs proches, et qui nous oblige à dormir depuis vingt ans dans le même lit que nos bourreaux ?

Manifestations en Kabylie durant le Printemps noir, en 2001 (AFP)

Pardon d'avoir fait du bourrage des urnes le seul mode de scrutin,  à tel point qu’on a cru revenir au temps du gouverneur général d’Algérie, le socialiste Naegellen, de 1948 à 1951, dont c’était la spécialité tant il avait peur du vote nationaliste des « indigènes » ?

Pardon d’avoir voulu briser l’échine de Benchicou et d’avoir interdit son journal, Le Matin, juste parce qu’il ne croyait pas en vous ? 

Pardon d'avoir passé votre vie à cracher sur la démocratie ?

Pardon d’avoir fait des médias publics des Pravda dignes de l’ère de Brejnev et du KGB parce que vous n’avez jamais voulu sortir du XXe siècle ? 

Pardon d'avoir passé votre vie à cracher sur la démocratie, assurant à des assemblées de tarés du FLN que les démocrates et les républicains aux États-Unis, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ? 

Pardon d’avoir vandalisé, bétonné, assassiné les terres agricoles de la Mitidja, transformée en lugubre banlieue chinoise ? 

Pardon d’avoir arraché des milliers d’orangers du Tell pour planter à la place des HLM de misère, sans ascenseur ni une pincée d’espaces verts ? 

Les martyrs de 2001 en Kabylie

Pardon d’avoir recouvert le pays entier de vos affiches, souriant niaisement la main sur le cœur, à tel point que le pays ressemblait sous votre règne à la Roumanie de Nicolae Ceaușescu ? 

Pardon d’avoir fait du dinar algérien une monnaie de singe qui vaut moins sur le marché que l’afghani Afghan ? 

La Constitution, un costume trop étroit pour Bouteflika
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Pardon d’avoir fait élire à l’assemblée nationale une bande de béni-oui-oui, payés 3 000 euros chacun pour voter des textes de lois qu’ils ne peuvent pas lire, car apparemment aucun d’entre eux n’a fréquenté l’école de sa vie ? 

Pardon d’avoir poussé dans l’eau des milliers de jeunes qui ont préféré être bouffés par les poissons de la Méditerranée plutôt que d’être rongés par les vers de terre dans le pays que vous gouverniez ?

Pardon d'avoir mis à la tête de l’État des analphabètes bilingues, fakakir*, et qui confondent versets du Coran et vers de poésie ? 

Pardon d’avoir fait tirer en 2001 sur la foule des manifestants en Kabylie, pour les punir d’avoir fait du grabuge en demandant à ce que le tamazight soit reconnu comme langue nationale ? 

La mosquée à trois milliards 

Pardon d’avoir fait la fortune de gangsters pieux, comme Kamel « le boucher », qui importaient des cargaisons de poulets, classe A, farcis avec des tonnes de cocaïne ? 

Pardon d’avoir clochardisé le ministère de la Culture en mettant à sa tête un meddah du souk de Sidi Aïssa ? 

Pardon d’avoir donné cette image lamentable de l’Algérie, celle d’un pays de jeunes qui ont vu le jour avec les GAFA et dirigés par des grabataires nés au temps du cinéma muet ? 

Pardon d’avoir intronisé à la tête du FLN moribond un mauvais joueur de derbouka qui, faute d’avoir fait le maquis, s’est payé un pied-à-terre à Neuilly ? 

Pardon d'avoir rétrogradé l’Algérie au 134e rang mondial pour la liberté de la presse ?

Pardon d’avoir construit comme mausolée personnel une mosquée à trois milliards de dollars alors que dans les hôpitaux d’Algérie, on remplit les poches de sérum avec de l’eau du robinet ? 

Pardon d'avoir rétrogradé l’Algérie au 134e rang mondial de la liberté de la presse, derrière la Mauritanie, le Congo, le Maroc et l’Afghanistan ? 

Pardon d’avoir embastillé tant de journalistes parce qu’ils vous avaient juste manqué de respect ? 

Universités détruites, le savoir méprisé 

Pardon d’avoir fait de la Sonatrach un nid de pirates dirigé par un forban, repris de justice ?

Pardon d’avoir transformé l’école publique en école coranique et les enseignants en tolbas ?

Pardon d’avoir détruit l’université jusqu’à la réduire en école d’alphabétisation ? 

Pardon d’avoir fermé les yeux sur les exactions et les pots de vin de Chakib Khalil, le Madoff algérien, pourtant condamné pour corruption par les cours de justice européennes ? 

Émancipation de la femme : l’Arlésienne algérienne
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Pardon de ne pas avoir abrogé le code de la famille qui fait de la femme algérienne une bête mineure que les familles peuvent vendre sur les souks à la criée ? 

Pardon d’avoir jeté par les fenêtres 970 milliards de dollars dont personne, hormis les bandits qui vous entourent, n’a vu la couleur ? 

Pardon d’avoir exigé de la France de faire repentance pour ses crimes en Algérie avant de demander asile au Val-de-Grâce, l’hôpital de ses généraux ? 

Pardon d’avoir transformé les syndicats en brise-grève et en porte-bougie pour le « patronat » ? 

La liste est trop longue... 

Pardon d’avoir poussé à l’exil des milliers de médecins au point que les Algériens qui exercent en France sont plus nombreux que ceux restés en Algérie ? 

Pardon d’avoir laissé le Sud algérien croupir dans la misère alors qu’il fait la richesse du pays ? 

J’arrête là, Monsieur l’ex, la liste reste longue. Je n’en jette plus….

À votre mère qui vous demandait d’abdiquer il y a de cela quelques années, vous répondiez que c’était impossible tant vous redoutiez qu’on vous oublie et qu’on ne vous amène plus les journaux. Pour une revue de presse, vous avez mis à feu et à sang ce pays ? Si cela ne tenait qu’à cela, je vous aurais moi-même amené les journaux, et de Paris, et même fait la lecture !  

Pour entrer dans l’histoire par la grande porte, il vous fallait à ce point avilir, abaisser ce peuple

Pour entrer dans l’histoire par la grande porte, il vous fallait à ce point avilir, abaisser ce peuple dont vous dites qu’il vous a élu et pour, à la fin, quitter aussi piteusement et en gandoura la scène, sous les huées de tout un peuple ?

Autocrate absolu, mégalomaniaque, paranoïaque et kleptomane par-dessus le marché,  vous avez toujours pensé, au fond de vous-même, que l’Algérie, ce n’était pas assez pour vous. Ce pays médiocre, ce peuple médiocre, ne vous arrivaient pas à la cheville.

Pour donner l’impression d’être grand, vous n’avez pas hésité à rabaisser, autant que vous avez pu, l’Algérie. Aussi, vous vous êtes acharné à détruire le pays vingt années durant comme un enfant briserait un jouet dont il n’est pas content.

Médiocre, disiez-vous… Jacques Vergès, que vous avez bien connu comme avocat du FLN, se qualifiait lui même de salopard lumineux. Vous, Monsieur l’ex, vous n’êtes qu’un sombre sagouin qui s’est trompé de siècle, de peuple, de pays, d’avenir et de Dieu, avant de rater lamentablement votre dernière sortie.

J’aurais bien voulu vous dire adieu, mais là, en passant en revue ce désastre, le vôtre, je ne peux vous dire qu’une seule chose : au diable ! 

* Allusion à une erreur d’accord de l’ancien directeur de campagne de Bouteflika en 2014.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

- Mohamed Kacimi est écrivain et journaliste. Il travaille notamment pour Actuel et France Culture. Il publie chez Balland, Gallimard et Actes Sud, des romans, des essais, et des pièces de théâtre ainsi qu’un certain nombres d’ouvrages pour la jeunesse. Né en 1955 en Algérie, il s’est installé à Paris en 1982. Sa première pièce « 1962 », est accueillie au théâtre du Soleil par Ariane Mnouchkine. Il a conçu pour la Comédie française, le spectacle « Présences de Kateb » et adapté « Nedjma », du même auteur (Kateb Yacine). En 2001, sa pièce « La confession d'Abraham » est retenue pour faire l'ouverture du théâtre du Rond-Point. Sa pièce « Terre Sainte » a été traduite en douze langues.
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