Nidaa Tounes à terre, pas le bourguibisme
Qu’est-ce que Nidaa Tounes ? Personne n’a la réponse depuis le fiasco du congrès de Monastir d’avril 2019 depuis lequel deux clans se prévalent du parti fondé en 2012 par Béji Caïd Essebsi (BCE), décédé jeudi 25 juillet.
La cour d’appel administrative a déclaré en juin 2019 que ni le « camp de Monastir » mené par Hafedh Caïd Essebsi (HCE), fils du président de la République, ni « le camp de Hammamet » dirigé par Sofiane Toubel, chef du groupe parlementaire, n’avait le droit de se désigner sous le nom Nidaa Tounes. Ainsi, le parti n’a pu présenter officiellement de liste pour les élections municipales partielles de cet été.
Nidaa Tounes existe-t-il encore ?
La faction Monastir a demandé à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) de démettre Sofiane Toubel de ses fonctions de président du groupe de Nidaa Tounes à l’Assemblée.
Cette dernière a refusé se déclarant incompétente pour savoir qui était le vrai Nidaa Tounes. Aujourd’hui, la question est : Nidaa Tounes existe-t-il encore ?
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Béji Caïd Essebsi n’est plus là pour assister au désastre mais il y aura contribué
Dans des sondages qui circulent sous le manteau, l’ancien premier parti de Tunisie avec 86 élus en 2014 ne franchirait pas forcément la barre fatidique des 3 % qui permet de siéger à l’ARP.
Ces mêmes sondages ne prennent même pas la peine de tester les candidatures de HCE ou Toubel auprès des électeurs. Aujourd’hui Nidaa Tounes est relégué au troisième rang dans l’hémicycle, avec 37 représentants seulement.
Parti hétéroclite
Béji Caïd Essebsi n’est plus là pour assister au désastre mais il y aura contribué. Il fonde Nidaa Tounes en juin 2012 afin de remporter les élections législatives et présidentielle de 2014.
Le parti est en fait une coalition de formations politiques hétéroclites unies sous un même programme : faire barrage aux islamistes d’Ennahdha, majoritaires à l’Assemblée constituante.
Pari réussi : Nidaa Tounes fait élire confortablement BCE à Carthage, siège de la présidence de la République, et arrive largement en tête, avec dix points d’avance sur Ennahdha, au scrutin législatif.
Certes, ces résultats ne sont plus comparables aux scores « soviétiques » de ses prédécesseurs, mais justement, ils permettent à Béji Caïd Essebsi de se dépeindre comme le continuateur « moderne » de son mentor, Habib Bourguiba.
L’ombre de Bourguiba
Celui qui a su faire le tri entre « le bon grain et l’ivraie », selon le titre de sa biographie du père de la nation tunisienne. L’ « ivraie » est, dans ce cas, le système de parti unique, puis hégémonique qui a perduré de l’indépendance du pays sous Bourguiba et Ben Ali jusqu’à la révolution.
Dans une Tunisie post-2011 qui compte plus de 200 formations politiques, BCE a réussi avec Nidaa Tounes à faire entrer le néo-Destour, mouvement politique fondé par Bourguiba, dans le XXIe siècle et le multipartisme.
BCE n’aura de cesse de louvoyer entre ouverture et repli
Son premier geste est d’ailleurs de tendre la main au parti islamiste Ennahdha pour former un gouvernement de coalition, pierre d’angle d’une « politique de consensus » qui a fait de la Tunisie « le modèle du Printemps arabe » aux yeux de l’Occident.
Ce rapprochement des ennemis d’hier fut l’apothéose mais aussi le début de la fin pour le parti présidentiel.
Car, dès lors, BCE n’aura de cesse de louvoyer entre ouverture et repli ; volonté de mener à bien les réformes exigées par la révolution et refus de faire table rase du passé.
Cette science de l’équilibre était l’apanage de Bourguiba. Dans les années 1960, son gouvernement épouse les thèses économiques socialisantes pour mieux, dans les années 1970, s’ouvrir largement au privé. Béji Caïd Essebsi se sera essayé à contenter les uns et les autres sans succès, penchant plus vers le passé que vers l’avenir.
En juin 2018, la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE), créée en 2017 par BCE lui-même, rend son rapport au président de la République.
Y figurent des réformes phares comme l’égalité homme-femme devant l’héritage, l’amendement de la loi 52 qui prévoit une peine de prison pour les consommateurs de cannabis, la possible dépénalisation de l’homosexualité et l’abolition de la peine de mort.
Autant de mesures sociétales qui, si elles étaient passées, aurait fait entrer BCE dans l’histoire, comme Bourguiba en 1956 avec la promulgation du Code du statut personnel (CSP) qui abolissait notamment la polygamie. Une manière de relancer le néo-destourisme.
Mais, finalement, aucune des propositions de la COLIBE ne sera inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée. La faute à Ennahdha qui n’a pas voulu froisser sa base et aux divisions au sein de Nidaa Tounes.
Face aux islamistes armés
« Carthage n’a pas fait preuve d’une volonté politique très ferme sur le dossier de l’héritage », souligne également Lamine Benghazi de l’ONG al-Bawsala, qui suit les travaux parlementaires.
En revanche, BCE instaure l’état d’urgence très rapidement après les attentats de 2015. État d’urgence qu’il proroge depuis sans interruption, permettant aux forces de l’ordre de procéder à des arrestations et des fichages sans véritable contrôle.
Sur le possible retour des nombreux islamistes armés tunisiens partis combattre au côté du groupe État islamique (EI), c’est la branche dure qui prend le dessus.
À l’époque, Sofiane Toubel déclare que ce ne sont plus des Tunisiens depuis « le moment où ils ont prêté allégeance au drapeau noir ». Comprendre : on n’en veut plus en Tunisie.
Résultat, à l’assemblée, les députés Nidaa Tounes aux CV très disparates – anciens caciques sous Ben Ali et partisans de la révolution ; défenseurs d’un État fort et tenants d’un libéralisme économique – les tiraillements ne font que croître.
Au lieu de monter au créneau pour serrer les rangs, Béji Caïd Essebsi se déclare « au-dessus » des partis et s’en remet à la direction de Nidaa Tounes pour calmer le jeu.
L’éparpillement de Nidaa Tounes « façon puzzle » provoque une reconfiguration de l’échiquier politique
Sauf que ce sont ses dirigeants qui achèveront justement de casser leur jouet.
L’implosion de Nidaa Tounes
L’aile gauche panarabe, qui poussait pour une alliance avec le Front populaire (gauche radicale), fait assez vite sécession. Le 1er novembre 2015, moins d’un an après la victoire présidentielle, une réunion du bureau exécutif à Hammamet se termine en pugilat à coups de bâtons entre le clan HCE et ses opposants.
Mohsen Marzouk, le ministre conseiller du président, fonde en mars 2016 le parti Machrouu Tounes, en emportant avec lui une quinzaine de députés.
Cette jauge continuera de chuter inexorablement pour atteindre 37 élus, après la création à l’été 2018 d’un nouveau bloc parlementaire acquis à la cause du Premier ministre Youssef Chahed, tenté de faire cavalier seul. Un coup rude pour le fondateur nonagénaire de Nidaa Tounes qui considérait le chef du gouvernement comme son poulain.
« L’implosion de Nidaa Tounes est le symptôme du paysage politique. Bourguiba se reposait avant tout sur sa popularité auprès du peuple. Ben Ali utilisait les instruments de la dictature pour asseoir sa légitimité. Essebsi n’avait ni l’un, ni l’autre », résume un observateur politique.
Dernier soubresaut en date, Selma Elloumi Rekik, l’ancienne ministre du Tourisme, puis conseillère de BCE, a annoncé la création de son propre parti politique.
L’éparpillement de Nidaa Tounes « façon puzzle » provoque une reconfiguration de l’échiquier politique. Abir Moussi, présidente du Parti Destourien Libre (PDL) et nostalgique affichée des années Ben Ali, arriverait en troisième position de l’élection présidentielle selon un sondage paru mi-juin par le cabinet Sigma conseil et qui a fait l’effet d’une bombe.
Le retour des nostalgiques de Ben Ali
« Elle capte une grande partie de l’électorat de Nidaa Tounes : les électeurs, nombreux, qui pensent que l’islamisme politique n’est pas la solution et qui regrettent l’ancien régime quand la situation économique était meilleure », analyse Radhouane Erguez, chercheur pour le think tank de politique publique Joussour.
Si on y ajoute les défections du côté de Machrouu Tounes et de ceux qui se revendiquent « modernistes » partis rejoindre Chahed, que reste-t-il de la machine électorale Nidaa Tounes ? Rien ou presque. Ce que confirme Joussour qui, dans son baromètre de juin, révèle que 61 % des sondés voteront pour de « nouvelles personnalités ».
Si la disparition de Béji Caïd Essebsi pourrait signer celle de Nidaa Tounes, cela ne signifie nullement la mort du camp des néo-destouriens.
D’abord parce que BCE a montré qu’il était encore porteur de réformes et aussi parce qu’il ne s’agit pas aujourd’hui d’une idéologie clairement définie, mais d’une stratégie de circonstances pour faire barrage à l’islamisme politique ou considéré comme tel – Ennahdha se définit dorénavant comme démocrate-musulman à l’instar des démocrates-chrétiens en Europe.
Nidaa Tounes bis ?
Cette mouvance peut se reformer rapidement autour du prochain favori : « Le ‘’tourisme politique’’, c’est-à-dire cette facilité pour les responsables de changer de parti suivant les opportunités, ne disparaîtra pas du jour au lendemain en Tunisie », assure mi-amusé, mi-désabusé ce même observateur.
Actuellement, c’est Nabil Karoui qui est le favori des sondages
Il prédit, si besoin, un vaste rassemblement pour former un gouvernement entre Machrouu Tounes, Tahya Tounes (le parti de Youssef Chahed), le parti de Selma Elloumi Rekik et les autres formations déjà existantes.
Autour de qui ? Actuellement, c’est Nabil Karoui qui est le favori des sondages, même si une loi pourrait l’empêcher de candidater.
Cœur de Tunisie, son parti, enregistre de nombreux soutiens venus de Nidaa Tounes, comme l’homme d’affaires Ridha Charfeddine.
Normal pour le magnat de la presse qui a… cofondé le parti présidentiel avec Béji Caïd Essebsi.
Nidaa Tounes est (presque) mort, vive Nidaa Tounes !
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