Interdits en France, les Loups gris gagnent du terrain en Europe
L’initiative du gouvernement français d’interdire les Loups gris, organisation turque d’extrême droite, a provoqué la colère et la confusion en Turquie.
Cette décision est survenue après la profanation du mémorial du génocide arménien près de la ville de Lyon la semaine dernière. Les mots « Loups gris » et les initiales du président turc Recep Tayyip Erdoğan avaient été tagués dessus.
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Cette interdiction, qui a été entérinée mercredi, signifie que toute activité ou rencontre du groupe pourrait conduire à une peine d’emprisonnement ou une amende.
Le gouvernement turc a réagi : le ministère des Affaires étrangères a affirmé jeudi qu’il apporterait « la réponse la plus ferme à cette décision ».
Mais il a aussi affirmé que l’organisation des Loups gris n’existait pas.
Jeudi, plusieurs parlementaires en Allemagne ont également réclamé l’interdiction du groupe.
Trois députés écologistes allemands, notamment l’homme politique allemand d’origine turc Cem Özdemir, ont qualifié l’organisation « d’extension du bras d’Erdoğan » dans un communiqué conjoint, ajoutant que « de manière répétée, ses membres sèment la haine, menacent les gens et sont impliqués dans des actes de violence ».
« Nous allons nous rapprocher d’autres groupes parlementaires dans le but de présenter une initiative conjointe et intergroupe au Bundestag pour interdire les Loups gris », ont-ils déclaré.
Panturquisme
Les Loups gris sont le nom informel de l’organisation ultranationaliste Ülkü Ocakları (Foyers idéalistes), fondé dans les années 1960 par Alparslan Türkeş, un colonel impliqué dans le coup d’État de 1960 qui a renversé le Premier ministre Adnan Menderes.
Ülkü Ocakları est souvent désigné comme un mouvement de jeunesse ou de rue du Parti d’action nationaliste (MHP, également fondé par Türkeş), qui est actuellement allié au président turc Erdoğan.
Sur le plan idéologique, les deux organisations soutiennent le panturquisme, qui promeut l’unité des différentes nations turques à travers le monde.
Les Loups gris étaient à l’origine un groupe farouchement opposé au communisme, hostile à la démocratie, plaidant la violence contre ceux qu’ils considéraient comme les ennemis de la Turquie.
Ils sont responsables d’actes de violence, notamment des meurtres visant des militants de gauche, des communistes, des Kurdes, des Arméniens et d’autres minorités de Turquie. Il fut révélé plus tard que certains meurtres commis par des membres des Loups gris ont eu lieu en coopération avec l’Organisation nationale du renseignement (MIT).
Bien que le groupe soit principalement laïc, et en grande partie hostile à l’islamisme, ils prétendent défendre le caractère musulman sunnite de la Turquie et ont perpétré des actes de violence sectaire contre la minorité religieuse alévie du pays, notamment le tristement célèbre massacre de Maraş en 1978.
Depuis que Devlet Bahçeli a pris la tête du MHP, après la mort de Türkeş, le parti et les Loups gris se présentent comme des modérés, professant leur soutien à la démocratie libérale et modérant leur nationalisme ethnique manifeste, bien qu’il ne s’agisse que d’une façade, d’après leurs détracteurs.
Leur relation avec Erdoğan et le Parti de la justice et du développement (AKP, parti au pouvoir) est complexe. Pendant de nombreuses années, leurs relations ont été hostiles en raison de la répression visant les ultranationalistes qui a eu lieu au moment des procès Ergenekon à la fin des années 2000, tandis que le MHP s’est farouchement opposé à l’ouverture de négociations de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en 2013.
Cependant, la relation entre le MHP et l’AKP s’est améliorée depuis 2015, lorsque l’AKP est revenu sur de nombreuses réformes pro-Kurdes des années 2000 et s’est engagé dans une politique étrangère plus agressive tout en embrassant un discours nationaliste plus dur.
Les deux partis ont noué une alliance électorale qui dure depuis 2018, et le MHP a soutenu le vote « oui » au référendum de 2017 relatif au régime présidentiel d’Erdoğan.
Les partisans d’Ülkü Ocakları n’adhèrent pas à toutes les positions du MHP. Dix anciens dirigeants de l’organisation ont publiquement invité à voter « non » à ce référendum.
Les implications de l’interdiction française
Le décret du gouvernement français ne fait pas explicitement référence à Ülkü Ocakları et l’interdiction reste vague.
Cette interdiction fait référence au salut de la main communément utilisé par les partisans du groupe, connu sous le nom de « Bozkurt » ou « signe du loup » en Turquie.
Si le geste est lié aux Loups gris, il est également utilisé par de nombreux Turcs pour exprimer leur nationalisme. Erdoğan et Kemal Kılıçdaroğlu, leader du principal parti d’opposition (Parti républicain du peuple, CHP), ont tous deux déjà été photographiés en train de le faire par le passé.
D’autres groupes, notamment le Parti de la grande unité (BBP), un parti ultranationaliste religieux qui s’est séparé du MHP dans les années 1990, ainsi que les volontaires turcs, turkmènes et arabes combattant en Syrie, ont souvent été photographiés en train de l’utiliser.
Dans ce décret, les Loups gris sont mentionnés en tant que « groupement de fait » et un certain nombre d’incidents contre les Arméniens perpétrés en France par des Turcs scandant des slogans ultranationalistes sont énumérés.
Ce décret mentionne un incident qui s’est produit en 2016 au cours duquel « une quinzaine de militants de ce groupement, armés de bâtons, de barres de fer, de couteaux et d’un revolver et le visage masqué par des écharpes rouges et blanches aux couleurs du drapeau turc, ont attaqué un stand tenu par des manifestants d’origine kurde ».
Aucune organisation officielle n’est citée dans le décret, aucune référence n’est faite à Ülkü Ocakları ni au MHP.
Néanmoins, certains groupes turcs ont réagi avec inquiétude à ces nouvelles mesures.
La Fédération turque de France (Fransa Türk Federasyonu), un groupe de la diaspora affiliée au MHP, a publié un communiqué mercredi condamnant cette initiative.
« Que nul ne doute, la Fédération turque de France suivra le déroulement des événements avec attention, elle prendra les initiatives nécessaires afin de garantir le respect des droits de chacune de ses associations, de ses membres et de chaque citoyen, dans un cadre démocratique et légal. Nous continuerons à défendre la démocratie, la liberté, la fraternité et l’égalité jusqu’au bout », indique le communiqué.
Dans le même temps, ils ont exhorté leurs « associations, adhérents et citoyens à ne pas répondre aux provocations et à éviter toutes attitudes ou comportements susceptibles de troubler la paix et l’ordre public ».
Middle East Eye a cherché à obtenir la réaction d’Ülkü Ocakları à cette interdiction, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.
Devriş Çimen, le représentant européen du Parti démocratique des peuples (HDP, parti de gauche turc pro-kurde), a salué cette interdiction qui, souligne-t-il, intervient à un moment de « grande tension entre Paris et Ankara ».
« Cette organisation n’est pas seulement implantée en France, mais dans bien d’autres pays européens. Dans ces pays également, des actions doivent être prises contre cette organisation inhumaine », souligne-t-il à MEE.
« Par ailleurs, il faut enquêter de plus près sur la façon dont cette organisation mène une politique hostile à l’encontre des Kurdes, des Arméniens, des Grecs, des Assyriens et des autres peuples non turcs. »
Plus grand groupe d’extrême droite en Allemagne
Interdire les Loups gris ou Ülkü Ocakları en Allemagne serait bien plus compliqué qu’en France.
Les Turcs représentent la plus grande minorité ethnique en Allemagne et la politique turque a été largement importée en Allemagne au cours des 50 dernières années.
Selon un rapport de 2017 de l’Agence fédérale pour l’éducation civique, les Loups gris sont actuellement le plus grand groupe d’extrême droite en Allemagne, éclipsant même les mouvements néonazis nationaux.
Il y a eu de nombreuses tentatives, au fil des ans, pour interdire ce groupe, connu pour participer à de violents combats de rue avec des militants de gauche et des groupes pro-Kurdes en Allemagne.
Le code pénal allemand interdit les groupes « inconstitutionnels », ce qui a, par le passé, abouti à la fermeture de parti néonazis, communistes et islamistes.
En 2018, il y a eu des tentatives visant à interdire les symboles associés au groupe. Pour la députée allemande d’origine kurde Sevim Dağdelen (Die Linke), le signe du loup est « relativement comparable au salut hitlérien », interdit en Allemagne comme les autres symboles nazis. La même année, une interdiction du signe du loup a été adoptée avec succès en Autriche.
Jeudi, Sevim Dağdelen a réclamé la dissolution spécifique de la Fédération des associations idéalistes turques démocrates en Allemagne (ADÜTDF), une organisation de la diaspora turque liée à Ülkü Ocakları.
Elle rejette les remarques du chef de la diplomatie turc Mevlüt Çavuşoğlu selon lesquelles les Loups gris n’existent pas, affirmant que des organisations telles que l’ADÜTDF n’étaient pas un « produit de l’imagination » et étaient le visage public du groupe.
« L’ADÜTDF est l’une des plus grandes organisations anticonstitutionnelles d’extrême droite, rassemblant approximativement 170 associations locales et 7 000 membres », a-t-elle déclaré vendredi, d’après la radio Deutsche Welle.
« La tolérance zéro doit s’appliquer aux organisations islamistes et fascistes. »
MEE a contacté l’ADÜTDF, mais n’avait pas obtenu de réponse à ses sollicitations au moment de la publication.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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