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En Turquie, la musique permet de dépasser les frontières

En Turquie, où se sont réfugiés plus d’un million de Syriens, des artistes turcs et syriens utilisent la musique pour lutter contre la xénophobie
Les musiciens espèrent favoriser le dialogue entre Syriens et Turcs (MEE/Mat Nashed).

Gaziantep, Turquie – En 2013, Wassim Mukdad a été fait prisonnier, deux fois par le régime du président syrien Bachar al-Assad et une autre fois par le groupe Etat islamique (EI).

Mais en dépit de cette terrible épreuve, en dépit de la guerre civile en cours en Syrie et de la propagation de l’EI à travers le pays, l’activiste et musicien syrien de 30 ans n'a jamais renoncé à sa passion : en décembre 2013, il donna un petit concert à Yarmouk, ce camp de réfugiés palestiniens situé à la périphérie de Damas qui a été frappé par une terrible pénurie de nourriture et de médicaments.

Mais dès le lendemain du concert, ses amis ont reçu des avertissements crédibles indiquant que les combattants de l’EI et l'armée syrienne étaient à sa recherche.

« Ils m’ont dit de fuir », explique Wassim à Middle East Eye. Cet homme trapu aux longs cheveux noirs et à la barbe soigneusement taillée ajoute : « La guerre est devenue une lutte entre une dictature islamiste et une dictature militaire ».

Wassim a alors emballé ses affaires à la hâte et s’est enfui au Liban. Sa petite amie a également fui la Syrie pour le rejoindre à Beyrouth et, ensemble, ils ont embarqué un mois plus tard à bord d’un navire à destination de Mersin, une ville du sud de la Turquie.

De là, ils ont ensuite rejoint la ville voisine de Gaziantep, le premier jour du printemps 2014.

Une violence alimentée par la xénophobie

Mais la vie du couple en Turquie n'a pas été aisée.

Plus d'un million de réfugiés syriens vivent actuellement en Turquie (AA).

Environ un million de Syriens ont trouvé asile en Turquie. 85% d’entre eux vivent dans les villes, en dehors des camps de réfugiés.

Le gouvernement turc a maintenu les frontières ouvertes aux réfugiés syriens, leur offrant ainsi une protection temporaire dans un cadre juridique vague qui restreint toutefois le séjour permanent. Mais la campagne électorale présidentielle en avril dernier a été l’occasion pour plusieurs hommes politiques de jouer avec les sentiments anti-immigrants dans le but de s’attirer les votes.

En novembre 2013, Gursel Tekin, vice-président du principal parti turc d'opposition, le Parti populaire républicain (CHP), a ainsi affirmé que le Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir dans le pays, autorisait les Syriens à voter afin de manipuler les résultats des élections en sa faveur.

Moins d'un an plus tard, en août 2014, Gaziantep a été le théâtre d’une flambée de violence après qu’un locataire syrien a poignardé et tué son propriétaire. Les habitants de la ville ont alors cherché à se venger en attaquant les bâtiments abritant les réfugiés syriens. Ils ont agressé des familles dans la rue, et brûlé les voitures aux plaques d'immatriculation syriennes.

Durant ce même mois, des centaines d’habitants de la banlieue d'Istanbul se sont également heurtés à la police, brisant des vitrines, incendiant des voitures, et scandant des slogans contre les réfugiés syriens.

« Il nous fallait être prudents », raconte Wassim en fumant une cigarette dans son salon. « Il était clair que personne ne voulait de nous ici ». Mais alors que le sentiment anti-réfugiés atteignait des niveaux sans précédent, une petite communauté de musiciens turcs accueillit Wassim à bras ouverts.

Dépasser la barrière de la langue

En juin 2014, Wassim rencontra Onur Aydin au centre culturel de Narsanat. Situé à Gaziantep, celui-ci cherche à promouvoir la production culturelle locale et accueille les personnes souhaitant jouer de la musique.

« Notre gouvernement nous a toujours dit que les Arabes détestaient les Turcs », explique Onur, un chanteur kurdo-turc de 30 ans aux courts cheveux noirs et à l’épaisse moustache broussailleuse. « Mais après avoir rencontré Wassim, j’ai réalisé que nos politiciens nous avaient toujours menti ».

Selon un rapport publié en novembre 2014 par Amnesty International, 65% des personnes interrogées désirent que le gouvernement cesse d’accueillir les réfugiés syriens en Turquie, tandis que 30% estiment que les réfugiés syriens déjà présents dans le pays devraient être renvoyés.

Alors qu’en août dernier, des rapports préoccupants faisant état de crimes de haine avaient poussé le gouvernement à déplacer 7 800 Syriens pour les réinstaller dans des camps de fortune situés dans la province de Gaziantep, l'escalade incita également Onur et Wassim à essayer d'utiliser la musique pour rassembler les populations.

Unissant des musiciens issus de leur communauté respective, ils ont formé un groupe composé de quatre Syriens et huit Turcs. Se baptisant Hayal – un mot qui signifie « imagination » à la fois en arabe, en turc et en kurde – ils ont commencé à répéter en septembre dans le studio de Narsanat en vue de donner un concert multilingue.

Légende photo : Serap joue du tambourin lors de la dernière répétition du groupe (MEE/Mat Nashed).

Sans aucune langue en commun, la plupart des membres de la bande ont communiqué uniquement au travers de la musique et des accords qu’ils apprenaient à jouer. Lorsque cela ne suffisait pas, ils s’appuyaient alors sur la connaissance de l’anglais de quelques membres du groupe.

« Le langage du corps, les mouvements du visage et la musique, c’est ainsi que nous avons communiqué », indique Wassim alors qu’il range son oud après la répétition générale. « Nous nous sommes compris parce que nous le voulions ».

« Nous connaissions les mêmes chansons, mais dans des langues différentes », déclare Serap Kerasus, 30 ans, l’une des chanteuses turques du groupe.

Après avoir sollicité l’aide d’un ami travaillant à la municipalité, Serap a assuré au groupe un endroit où donner leur premier spectacle : la salle de concert de Gaziantep. « Je leur ai dit que nous avions besoin de leur soutien pour favoriser le dialogue entre les communautés », explique-t-elle.

 « La musique n’a pas de frontières »

Lorsque les portes se sont ouvertes le 30 novembre dernier, 500 personnes venues de tout le pays ont rapidement empli la salle.

Sur scène, Hayal interpréta des chansons classiques en arabe et en turc. Wassim dirigea le groupe avec son oud, tandis qu’Onur et Serap chantaient. Les musiciens mirent en valeur, entre autres instruments, la flûte, le tambour sur cadre et le violon, et évoquèrent les thèmes de la peine et de l'amour dans une région meurtrie par les conflits.

« Le public chantait ces chansons dans leur langue maternelle en même temps que nous », raconte Serap à MEE immédiatement après le spectacle. « Tous ceux qui nous ont soutenu ce soir ont participé à quelque chose de plus grand que cet événement. »
A la fin du spectacle, le public, toutes ethnies confondues, a assisté à une fête à Narsanat avec le groupe.

Aujourd'hui, Wassim et Onur espèrent qu’Hayal attirera toujours plus d’adeptes en Turquie et au-delà, et indiquent qu'ils sont déterminés à se produire dans des villes comme Beyrouth ou Istanbul et, après la guerre, en Syrie aussi.

En attendant, le groupe se prépare pour son prochain concert, qui devrait avoir lieu à Urfa, une ville du sud-est de la Turquie fortement peuplée de Kurdes et d’Arabes.

« Nous sommes devenus une famille », déclare Wassim à MEE en passant son bras autour d’Onur. « Nous sommes peut-être issus de différents endroits, mais notre musique n’a pas de frontières ».

Traduction de l’anglais (original).

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