Hillary Clinton, un « loup déguisé en loup » pour le Moyen-Orient ?
NEW YORK – Hillary Clinton, qui vient d’annoncer sa candidature à la présidentielle, est montée dans son bus en direction de l’ouest ce lundi afin de mener une campagne visant à aider les « Américains ordinaires ». Jusqu'à présent, elle n’a fait aucune référence directe à la politique étrangère américaine dans le Moyen-Orient agité.
Les défis du Moyen-Orient ne sont pas un sujet qui fait gagner des voix dans le Midwest américain, où les habitants sont davantage intéressés par les emplois et les salaires. Cependant, la campagne de Clinton soulève des questions quant à sa vision sur une région riche en pétrole qui a été au cœur de la politique étrangère américaine durant des décennies.
Le vote de Clinton en 2002 en faveur de la guerre en Irak est fameux ; en 2011 elle a soutenu les frappes aériennes contre le Président libyen Mouammar Kadhafi. Elle parle également volontiers de sa bonne relation avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Après l’annonce très attendue de sa candidature à la Maison Blanche dimanche dernier, le ministre des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier a salué Clinton comme une amie des Européens avec « un instinct certain pour les crises mondiales – de l’Afghanistan au Moyen-Orient ».
Clinton, âgée de soixante-sept ans, a aussi des critiques. Jennifer Loewenstein, chercheuse à l’université de Wisconsin-Madison, a raconté à MEE que Clinton est « un loup déguisé en loup » avec des réflexes interventionnistes et peu de considération pour la souffrance des Palestiniens.
« Elle s’efforce de sembler un faucon, même si elle est une démocrate », affirme Loewenstein. « Elle veut apparaître pro-israélienne et dure envers l’Iran, et elle n’a aucune intention de faire quoi que ce soit qui puisse être instrumentalisé par ses adversaires pour la décrire comme faible ou ”féminine”. »
D’autres observateurs mettent en évidence les donations arabes à la Fondation Clinton, un organisme caritatif qu’elle a créé avec son mari Bill Clinton quand ce dernier a quitté ses fonctions de Président. Sa gestion de l’attaque de septembre 2012 contre un complexe diplomatique américain à Benghazi, en Libye, se trouve à nouveau au centre de l’attention.
Pour marquer son entrée officielle dans la course pour les élections de 2016 à la Maison Blanche, MEE examine le bilan de Clinton sur le Moyen-Orient, en tant que première dame, sénatrice démocrate de l’Etat de New York, candidate à la présidentielle de 2008 et secrétaire d’Etat américaine.
Marche arrière sur l’invasion de l’Irak de 2003
En 2002 Hillary Clinton avait soutenu la résolution du Président George W. Bush qui autorisait l’utilisation de la force en Irak. Une fois qu’il est devenu clair que le postulat sur lequel se fondait la guerre, à savoir la détention de la part de l’Irak d’armes de destruction massive (ADM), était faux, Clinton s’est rétractée en affirmant qu’elle avait « appris à être bien plus sceptique à propos de ce que les présidents me racontent ».
D’après Joshua Landis, expert du Moyen-Orient de l’université d’Oklahoma, « elle n’a tiré aucun enseignement de l’Irak ». Les tendances interventionnistes de Clinton et sa préférence pour les archaïques autocrates arabes en Arabie saoudite et ailleurs en feraient un commandant en chef de « statu quo ».
« Même si elle dit l’avoir regretté, elle s’est volatilisée et a fait les mêmes erreurs de calcul une deuxième fois », explique Landis à MEE.
Libye et Benghazi
Après l’apparition télévisée de Kadhafi, dans laquelle il menaçait de nettoyer la Libye des opposants au régime « maison par maison », Clinton est devenue la force motrice de la campagne de bombardements de l’OTAN en soutien des rebelles, qui a contribué à renverser le régime en 2011.
Selon des enquêtes récentes du Washington Times, cela n’a probablement pas été une intervention humanitaire destinée à sauver des vies, telle que Clinton l’avait définie.
Le journal a parlé avec des fonctionnaires du ministère de la Défense qui ont affirmé qu’il « n’y avait pas de preuves spécifiques d’un génocide imminent en Libye » et ont accusé Clinton d’avoir utilisé « des arguments spéculatifs » afin d’appuyer une campagne aérienne qui n’était pas nécessaire et qui a plongé le pays dans le chaos.
C’était le « moment ADM » de Clinton, a affirmé le journal.
Dimanche dernier, le sénateur Rand Paul, candidat républicain à la présidentielle, a semé le doute quant à l’aptitude de Clinton à occuper la Maison Blanche, en rappelant sa gestion de l’attaque contre l’ambassade américaine à Benghazi en 2012, dans lequel l’ambassadeur et trois autres américains avaient été tués.
Clinton a défendu sa décision de poster des diplomates dans des zones à risque et a reconnu certains problèmes à Benghazi, mais les républicains les plus intransigeants ne sont pas convaincus et affirment qu’elle est trop faible pour la Maison Blanche. « Serait-elle là pour recevoir un appel à trois heures du matin ? », s’est demandé Paul.
La Syrie, l’Irak et la menace de la capuche noire
On sait que Clinton était en désaccord avec son chef, le Président américain Barack Obama, dans la phase initiale de la révolte syrienne. Obama, un non-interventionniste qui avait été élu avec la promesse de dépêtrer les Etats-Unis des coûteuses guerres en Afghanistan et en Irak, était prudent quant à soutenir les rebelles contre le Président syrien Bachar al-Assad.
Obama a souvent dit : « ne pas faire de choses stupides » pour décrire son changement de politique par rapport à l’ère Bush.
Dans un entretien à The Atlantic l’année dernière, Clinton a marqué sa différence avec Obama, affirmant : « les grandes nations nécessitent un principe d’organisation, et ”ne pas faire de choses stupides” n’est pas un principe d’organisation ». Ne pas avoir soutenu les manifestations initiales en Syrie « a laissé un grand vide, que les djihadistes ont maintenant rempli », a-t-elle ajouté.
Clinton aurait peut-être eu raison de vouloir intervenir plus tôt en Syrie : la montée en puissance des militants de Daech en 2014 a mené Obama à autoriser des frappes aériennes dirigées par les Etats-Unis en Irak et en Syrie et à une tentative tardive d’armer et de former les combattants syriens modérés.
Depuis, Clinton s’est réalignée sur la position d’Obama et s’est exprimée contre le déploiement des soldats américains pour combattre les extrémistes sunnites. Les frappes aériennes pilotées par les Etats-Unis et les forces en provenance de l’Irak devraient conduire ce qu’inévitablement sera un « combat à long terme », a-t-elle affirmé.
« Hillary voulait construire une troisième voie en Syrie ; mais est-ce que les Etats-Unis investiraient des ressources pour détruire les islamistes ainsi que les partisans de Bachar al-Assad et s’impliqueraient dans la création d’un Etat ? », se demande Landis. « Cela est dangereux car l’opposition est fragmentée et les Etats-Unis pourraient être dépassés, dépensant de l’argent et créant des réfugiés ».
Les négociations sur le nucléaire avec l’Iran
Clinton a été impliquée dans les sanctions contre l’Iran et dans les négociations sur son programme nucléaire controversé, que les Occidentaux estiment capable de produire des bombes nucléaires mais dont, au contraire, Téhéran défend le caractère pacifique. La position de Clinton, d’abord très dure, est devenue plus conciliante.
En 2008, Clinton avait affirmé que les Etats-Unis pourraient « anéantir complètement » l’Iran comme mesure de représailles en cas d’attaque nucléaire contre Israël. En 2014, elle a déclaré que l’accord qui est en train d’être négocié par les Etats-Unis et d’autres puissances mondiales ne devrait laisser à l’Iran « qu’une capacité très limitée d’enrichir l’uranium, ou aucune ». Désormais Clinton parle favorablement de l’accord-cadre récemment conclu qui laisse à l’Iran des capacités d’enrichissement substantielles. « La diplomatie mérite une chance de réussir », a-t-elle affirmé.
Israël, la Palestine et un processus de paix presque invisible
Les relations d’Obama avec le Président israélien Netanyahou ont plongé dans une amère hostilité, alors que Clinton est considérée plus chaleureuse à l’égard de l’inflexible dirigeant israélien. « Je connais Bibi depuis longtemps », a-t-elle raconté à CNN en 2014. « Nous avons un très bon rapport et cela est en partie dû au fait que nous pouvons nous engueuler, et nous le faisons ».
En juillet 2014, quand les bombardements israéliens ont frappé une école des Nations unies dans un camp de réfugiés à Gaza, Clinton avait été critiquée pour avoir défendu l’agression israélienne. Elle avait dit qu’à cause du « brouillard de la guerre » il était difficile de déterminer la responsabilité d’Israël.
Selon Loewenstein, une présidence Clinton serait une mauvaise nouvelle pour les Palestiniens. « Elle continuera à soutenir les atrocités sans rien dire, sans rien faire et utilisant les mêmes mensonges usés à propos des négociations, du processus de paix et de la solution à deux Etats. Cela ne me surprendrait pas que son rapport avec Netanyahou soit bien meilleur que celui d’Obama », affirme-t-elle à MEE.
L’argent du Moyent-Orient qui éclabousse la fondation
Début avril 2015, le journal en ligne Politico a révélé qu’une entreprise de phosphate du gouvernement marocain s’est engagée à verser un million de dollars à la Fondation Clinton, provoquant une analyse critique du passage de Clinton à des déclarations en faveur du Maroc malgré la question des droits de l’homme.
Ce n’est pas la première fois qu’un scandale financier touche les Clinton. Leur fondation a cessé d’accepter de l’argent des gouvernements étrangers en 2009, au moment où Clinton est devenue secrétaire d’Etat. Après sa démission en 2013, la fondation a reçu des financements des gouvernements de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et d’Oman.
Le républicain-libertaire Paul a attaqué Clinton sur ce flux d’argent étranger dans les caisses de la famille. « Elle va avoir du mal à se déclarer en faveur des droits des femmes alors qu’elle accepte de l’argent de la part de régimes quasiment primitifs qui violent réellement les droits des femmes », a-t-il déclaré à la chaîne CBS.
L’équipe de campagne de Clinton n’a pas répondu à la demande d’interview de MEE.
Légende photo : D’après certains critiques, la candidature d’Hillary Clinton à la présidence est une mauvaise nouvelle pour les Palestiniens (AFP).
Traduction de l'anglais (original).
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