« Un acte contre la violence et la lâcheté » : le violoncelliste de Bagdad
La semaine dernière, un attentat à la voiture piégée a dévasté une banlieue animée de l’ouest de Bagdad, tuant seize personnes et blessant plusieurs dizaines d’autres.
Comme la dizaine d’explosions qui ont frappé la capitale irakienne cette année, il y avait beaucoup à faire après le départ des ambulances : le verre à balayer devant le restaurant et la station essence, les voitures carbonisées à emmener à la décharge.
Mais une nouveauté est venue s’ajouter à ce rituel sinistre : la musique.
Après l’explosion, Karim Wasfi s’est rendu sur le site de l’explosion, a installé son tabouret au beau milieu des débris et a commencé à faire vibrer les cordes de son violoncelle.
Karim Wasfi dirige l’orchestre symphonique national d’Irak. « La seule façon pour moi de riposter est d’être actif. La musique n’est pas un élément accessoire dans la vie, quelque chose à faire seulement quand tout est normal », a-t-il déclaré par téléphone à MEE en début de semaine tout en conduisant dans les rues de Bagdad, klaxonnant aux autres voitures et saluant les soldats aux différents points de contrôle de la ville.
Bagdad a été la cible de multiples attaques ce printemps ; un grand nombre d’entre elles ont été revendiquées par l’Etat islamique, qui bombarde aussi régulièrement les zones périphériques de la ville. Mais Karim Wasfi s’est senti obligé d’agir la semaine dernière lorsqu’une rue commerçante et remplie de passants de son quartier, al-Mansour, a été détruite.
« Rien dans cette zone ne pourrait être défini comme une cible », assure-t-il.
« Trois femmes et leur mère sont mortes brûlées vives dans cet horrible acte de violence. Un homme de Dubaï en visite à Bagdad pour la première fois depuis des années et qui était en train de faire du shopping a perdu deux membres de sa famille, juste comme ça. »
Karim Wasfi décrit sa décision de jouer dans la rue comme « un acte contre la violence et la lâcheté ». Une vidéo de cinq minutes du concert improvisé montre une foule se formant lentement autour de lui pour l’écouter. A un moment, un homme en chaise roulante tente avec difficulté de se frayer un passage à travers les gravats et les débris afin de s’asseoir auprès de lui – puis, tout en écoutant la musique, il allume une cigarette et l’agite à la manière d’un chef d’orchestre.
La vidéo est rapidement devenue virale, preuve, selon Wasfi, que les habitants de la ville cherchent désespérément à fuir la peur éreintante de la violence et des bombes.
« Quand je dirige un concert à Bagdad, la salle est pleine à craquer. Ensuite le public reste après le concert pendant plus d’une heure, juste pour se sentir normal. »
La décision de jouer sur le lieu de l’explosion le morceau « Baghdad Melancholy », une chanson à moitié improvisée qu’il a composée avant l’attentat, a provoqué quelques réactions négatives.
« Un homme m’a demandé pourquoi je jouais de la musique alors que des gens se trouvent dans une si grande misère. D’autres ont dit que je manquais de respect envers l’âme des personnes décédées. »
Cependant, pour Karim Wasfi, la musique est un instrument puissant et performatif – elle peut rassembler les gens, affirme-t-il, et affaiblir la volonté destructrice du militantisme violent.
« Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit que la musique ne puisse faire », déclare-t-il.
Comme pour prouver son argument, Wasfi a été rejoint par la suite par un groupe d’Irakiens, jeunes et vieux, qui ont allumé plus de 300 bougies sur le lieu de l’explosion et ont tapissé le trottoir poussiéreux de roses blanches.
« Les gens interagissent. Ils ne veulent plus accepter la violence et la folie. »
Traduction de l’anglais (original).
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