Au Yémen, les appels à l’aide contre la répression houthie restent sans suite
Au départ, Mona et sa famille étaient réticents à l’idée de quitter Sanaa. Malgré les combats, les bombardements et les pilonnages, ils ont résisté jusqu’à ce qu’ils ne puissent tenir plus longtemps.
Puis le mois dernier, près de quatre mois après que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a commencé à bombarder Sanaa, et six mois après que les milices houthies ont pris d’assaut la capitale et placé de nombreux responsables politiques de haut rang en résidence surveillée, les quatre membres de la famille ont décidé qu’il était temps de battre promptement en retraite.
La famille a fait rapidement ses bagages et s’est lancée dans ce qui allait être un voyage de 36 heures en autobus jusqu’à la frontière de Haradh, partagée avec l’Arabie saoudite. Avec un visa américain à entrées multiples, Mona a pu fuir Sanaa avec sa famille, mais la sortie de l’Arabie saoudite n’était pas assurée jusqu’à leur arrivée à Riyad.
Lorsque la campagne de bombardement dirigée par l’Arabie saoudite a commencé le 26 mars, Mona, 24 ans, espérait que les choses changeraient rapidement, mais au lieu de cela, situation n’a cessé de dégénérer.
« Nous avons reçu des menaces d’enlèvement et de mort de la part des houthis qui visaient les membres de la famille politiquement actifs sur les médias sociaux », raconte Mona.
La jeune femme explique que ses parents sont depuis longtemps dans le collimateur des milices car sa famille est impliquée dans la politique du pays depuis plusieurs générations. Elle soutient que les houthis mènent une campagne visant à faire taire l’opposition et à prévenir toute réaction populaire contre leurs partisans.
Avant que la campagne de bombardement ne commence le 26 mars, les combattants houthis avaient fait des journalistes et activistes les cibles d’enlèvements, de menaces et de pratiques de harcèlement et d’exil. Aujourd’hui, la violence s’est étendue et touche les civils qui ont contesté de vive voix le règne de la milice, que ce soit en ligne ou dans la rue, affirme Mona.
« Peu importe que les gens pensent ou non que les houthis constituent une puissance dirigeante légitime, ils peuvent harceler n’importe qui impunément et sans conséquences », déclare-t-elle depuis les États-Unis, où elle vit actuellement.
Mona a vu ses amis et des membres de sa famille être capturés, détenus illégalement ou emprisonnés par les milices. Peu d’informations à leur sujet ont filtré par la suite.
Si l’on ne connaît pas le nombre exact de civils qui ont été traumatisés par la milice depuis le début des frappes aériennes de la coalition dirigée par les Saoudiens, des rapports ont cependant filtré. Plus de 2 000 personnes ont été tuées durant les combats, et certains cas particuliers sont sortis du lot, attirant spécifiquement les critiques des groupes de défense des droits de l’homme.
En mai, Human Rights Watch (HRW) a rapporté que deux femmes avaient été abattues par des miliciens houthis à Aden. Désignant ces morts comme de « possibles crimes de guerre », HRW a insisté sur la nécessité pour toutes les parties prenantes au conflit de prendre les précautions envisageables pour minimiser les dommages causés aux civils. Bien que les deux camps aient affirmé que c’était justement ce qu’ils essayaient de faire, le nombre de victimes a continué de grimper.
Pendant ce temps, le Syndicat des journalistes yéménites (YJS) a enregistré pas moins de 67 cas d’agressions contre des journalistes, mais le nombre réel serait plus élevé.
Tous les activistes civils qui s’opposent au règne de la milice ne disposent pas d’une visibilité publique, explique Abdulkader Alguneid, médecin et activiste. Cela signifie que « quand ils disparaissent, ils ne sont pas mentionnés, et attirent encore moins l’attention ».
Ce « règne par la terreur » des milices a été élargi pour inclure des cibles diverses, déclare Alguneid à Middle East Eye, évoquant deux médecins qui s’exprimaient autrefois sur les médias sociaux et ont été réduits au silence après avoir été détenus par les milices. Ils ont finalement été relâchés mais craignent désormais des représailles.
« Au Yémen, un tweet n’est pas inoffensif »
« Je devais toujours choisir mes mots avec précaution, car je savais qu’au Yémen, un tweet n’est pas inoffensif », raconte Mona.
« C’est une situation étrange, puisque l’on apprend à tout le monde dès le plus jeune âge que vous devez appeler la police quand vous avez besoin d’aide, mais qui appeler quand vous avez besoin d’aide si les responsables sont ceux qui sont censés vous protéger ? », s’interroge-t-elle.
Sous le régime du président Ali Abdallah Saleh, les civils et les journalistes étaient aussi constamment harcelés et opprimés s’ils exprimaient leur opinion contre le gouvernement. À un moment donné, sous Saleh, le gouvernement a publié un avis de recherche contre récompense pour la capture d’Hussein al-Houthi (le fondateur du mouvement houthi), pour avoir orchestré des manifestations anti-gouvernementales et anti-américaines de masse.
D’un point de vue historique, Alguneid explique que la liberté d’expression au Yémen se trouve sur des montagnes russes depuis l’unification de 1990, ajoutant qu’un énorme bond en avant avait eu lieu pendant le Printemps arabe, quand les gens osaient dire tout ce qu’ils voulaient.
« C’est une situation étrange », poursuit-t-il, se référant au coup d’État mené actuellement par les houthis et Saleh. « Plus ils harcèlent les gens qui expriment leur point de vue, plus les gens les dénoncent. »
À Taiz, au sud de Sanaa, les gens se font enlever sur la base du contenu qu’ils publient en ligne, explique Alguneid. Son ami, le Dr Abdullah Thaifani, a été kidnappé pour s’être exprimé contre les houthis. Il a ensuite été libéré. « Il a plus de 60 ans, et il a été enlevé parce que le commandant houthi ne pouvait pas riposter à sa résistance. »
Ahmed, qui n’a pas souhaité donner son nom réel pour des raisons de sécurité, raconte qu’il se trouvait à Londres lorsqu’il a reçu un appel de ses parents l’informant que la milice houthie avait fait irruption dans son immeuble à Sanaa et exigé la fouille de son domicile. Il était conscient de la menace générale qui pesait sur les activistes sociaux mais ne s’imaginait pas que le danger aurait frappé à sa porte si rapidement.
Ahmed, qui rendait visite à son épouse à Londres, y est bloqué depuis mars.
« Je pense que certains des habitants de Sanaa mobilisaient des forces contre la présence de la milice à Sanaa depuis octobre dernier. Ce qui a fait d’eux des cibles évidentes », argumente Ahmed. Fin septembre dernier, les houthis ont pris Sanaa avec une aisance inébranlable, ce qui a choqué un grand nombre d’habitants de Sanaa.
Ahmed a participé à la Conférence de dialogue national dès sa mise en place en 2012 et a vivement soutenu le soulèvement du Yémen contre l’ancien président Ali Abdallah Saleh, qui a commencé en 2011. Mais quatre ans plus tard, il estime que cet espoir a sombré dans un chaos irréversible.
« Il n’est pas difficile de traquer les civils : Sanaa est une petite ville », précise-t-il nonchalamment. Le même jour (le 8 avril), 300 militants et journalistes ont été enlevés à leur domicile.
« Je pense qu’ils avaient une liste de noms et qu’ils sont allés chez ces personnes pour les capturer et les emmener en prison, explique-t-il. Beaucoup sont encore emprisonnés aujourd’hui, même si certains ont été libérés. »
Un ami proche d’Ahmed qui a affiché sa solidarité en ligne et tenté de sensibiliser le public au caractère criminel des milices a été emprisonné. À ce jour, Ahmed affirme ignorer où se trouve son ami.
Aussi difficiles que soient les circonstances, certains civils ne peuvent fuir. Malgré tout, Alguneid ne se laisse pas décourager. « Je me moque complètement de ces menaces. Dès le départ, j’ai décidé de mettre mon nom, mon statut, mon éducation et tout ce que j’ai au service de la résistance. »
Échapper à la milice
Les houthis ont désormais été repoussés d’Aden, la capitale méridionale du pays ; toutefois, jusqu’à récemment, leur emprise est restée tout aussi forte, ont indiqué à MEE des activistes et journalistes locaux.
Wadid Maltoof, jeune journaliste pour Aden TV et militant politique, a affirmé se sentir « emprisonné ».
Après le lancement de la campagne dirigée par l’Arabie saoudite, les milices ont envahi les sièges d’Al-Jazeera, Chabab al-Yaman (« jeunesse du Yémen ») et Yemen Digital Media. Deux journalistes ont été pris en otage par les houthis avant d’être tués en mai à Dhamar, selon Reporters sans frontières.
En dépit des avertissements et des menaces de mort proférés par les milices, Aden TV a poursuivi sa retransmission de la prise de quartiers clés d’Aden par les milices après le 2 avril. Le refus des équipes de prêter attention à ces avertissements a excédé les houthis, qui auraient commencé à traquer les journalistes locaux à l’aide d’espions.
Début mai, les milices ont attaqué la station de télévision. Maltoof a sectionné les câbles de transmission avant que les houthis ne prennent le contrôle du bâtiment, afin qu’ils ne puissent pas diffuser.
Deux jours plus tard, des miliciens houthis ont fouillé et détruit la maison et les affaires de Maltoof. Il a commencé à se sentir menacé là où il avait passé toute sa vie. Au moment de l’attaque, il n’était pas chez lui, mais depuis lors, il est contraint de vivre en nomade avec sa famille.
« Je passe d’une maison à l’autre pour échapper à la milice, jusqu’à ce que je puisse faire sortir ma famille du pays sans danger », raconte-t-il. Avec deux enfants âgés de moins de 3 ans, il a commencé à craindre que le pire ne fût encore à venir. Le gouvernement en exil à Riyad a fait la sourde oreille à ses appels à l’aide. Il est entré en contact avec la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et Reporters sans frontières, mais n’a reçu aucune aide pendant plusieurs semaines.
Heureusement, toutefois, le vent semble avoir commencé à tourner, au moins dans le sud.
Ce mardi, Maltoof a été rassuré après que les combattants de la Résistance du Sud ont repris l’aéroport d’Aden et le quartier de Khormaksar, dans le centre de la ville, le 17 juillet.
« Je suis ravi », a-t-il confié, tout en soulignant son appréhension de voir le conflit redoubler d’intensité. « L’infrastructure à Aden a été détruite ; il faudra beaucoup de temps pour que nous surmontions nos différences et que le pays retourne à la normale. »
À Londres, Ahmed et sa femme ont hâte de rentrer au Yémen, mais pour la sécurité d’Ahmed, ils ne le peuvent pas tant que la situation politique n’est pas résolue. En outre, tout comme Maltoof, il n’est pas convaincu que les combats soient terminés.
« Il doit y avoir un changement significatif sur le terrain pour que j’envisage un retour. Cela pourra arriver uniquement si toutes les zones sont libérées du règne de la milice. À l’heure actuelle, je ne me sens pas du tout en sécurité », a confié Ahmed.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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