« Ils ne nous privent pas seulement d’une église, ils nous arrachent aussi notre avenir et notre passé »
BEIT JALA, Cisjordanie – La terre retournée là où poussaient autrefois les oliviers en face de la maison d’Amira Abu Saad illustre ce qu’elle sait depuis des semaines : sa communauté a perdu la bataille.
Amira Abu Saad (62 ans) vit en marge d’un quartier résidentiel de Beit Jala, une ville à majorité chrétienne tout près de Bethléem, en Cisjordanie occupée. Les fenêtres de la façade ouest de sa maison traditionnelle en pierre de Jérusalem donnent sur le vaste terrain de la vallée de Crémisan – du moins pour l’instant.
Les bulldozers et les forces israéliennes se sont présentés devant son domicile la semaine dernière et ont déraciné des oliviers pour faire place à la nouvelle extension du mur de séparation israélien.
Des manifestants se sont rassemblés autour des bulldozers, s’élevant contre les destructions, tandis que les forces israéliennes montaient la garde. Depuis, de petits groupes se sont rassemblés dans la zone chaque jour pour exprimer leur opposition.
Dimanche, des centaines de manifestants se sont réunis sur le site pour manifester contre cette confiscation, en scandant des slogans tels que « Stop, arrêtez l’occupation » et « Libérez Beit Jala », tandis qu’ils avançaient vers une zone clôturée qui sépare le quartier de la colonie illégale de Gilo sur la colline d’à côté.
Les manifestants se sont attaqués à la porte et aux barbelés, les arrachant et emportant la structure métallique en scandant : « Nous allons faire tomber le mur comme nous avons enfoncé la porte. »
Des dizaines de soldats israéliens ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes sur les manifestants, qui ont couru se mettre à l’abri. De nombreux manifestants ont souffert de l’inhalation de gaz lacrymogène et quelques-uns ont été blessés par le métal des grenades qui ont été lancées pour disperser le gaz.
Depuis son porche, Amira Abu Saad regarde les manifestations quotidiennes, sans pouvoir rien faire.
« Les Israéliens veulent que nous quittions cette terre et nos maisons, mais nous ne partirons pas. Nous vivons pour cette terre », a-t-elle déclaré, assise à l’ombre à l’extérieur de sa maison avec un groupe de femmes du quartier, non loin des manifestants.
« Cette terre constitue l’avenir de nos enfants et, aujourd’hui, ils nous la prennent. Ils nous enlèvent l’avenir de nos enfants », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.
58 propriétaires terriens ont lutté contre la construction et le parcours du mur à Beit Jala pendant 8 ans. En avril, une décision de la Cour suprême d’Israël ordonnant au ministère de la Défense de reconsidérer le tracé a donné aux habitants l’espoir de voir leurs efforts récompensés. Mais l’espoir a cédé la place à la colère : le tracé ira de l’avant tel que cela était prévu à l’origine.
Bientôt, la vue d’Amira Abu Saad sur les champs d’oliviers et le monastère qu’elle chérit tant sera remplacée par un imposant mur gris.
La vallée de Crémisan se situe entre les colonies illégales de Gilo et de Har Gilo du côté palestinien de la frontière de 1967. Le tracé du mur entoure Gilo et descend vers un quartier résidentiel de Beit Jala, puis continue à travers la vallée et autour de Har Gilo.
L’espace autour des colonies confisque l’ensemble de la vallée entre les deux colonies, y compris le monastère de Crémisan, construit en 1885, ainsi que le vignoble, le couvent et l’école de Crémisan, qui sont considérés par les habitants comme le cœur de Beit Jala, mais tombent dans les limites de la municipalité illégale de Jérusalem proclamée par Israël.
« Ils n’avaient pas besoin de prendre tout le terrain pour construire leur mur, ils auraient pu le contourner », a déclaré Abu Saad. « Mais nous savons bien ce qu’ils veulent faire ; ils veulent déraciner tous nos arbres et ils mettront des bâtiments derrière leur mur laid et notre vallée de Crémisan ne sera plus rien. »
Les habitants qui se sont rassemblés pour protester contre la construction sont persuadés que le tracé choisi pour le mur n’est rien de plus qu’une confiscation des terres pour permettre l’expansion des colonies, sans tenir compte de la riche histoire de la zone.
« Ils confisquent des terres pour protéger des colonies qui sont, à la base, construites sur notre terre », a déclaré à MEE le père Aktham Hijazin, curé de la paroisse de Beit Jala, tout en contemplant le sol retourné où les oliviers se dressaient autrefois.
Le père Hijazin participe activement aux manifestations contre la confiscation et s’inquiète à l’idée que les habitants de Beit Jala soient coupés du monastère de Crémisan ; il affirme que la confiscation des terres affectera significativement la communauté
« Savoir de quel côté sera le monastère n’est pas le problème, il s’agit de la terre elle-même.
Le monastère est construit sur les terres de Beit Jala, cette terre constitue l’avenir de plus de 900 personnes », a déclaré Hijazin. « Ils ne nous privent pas seulement d’une église, ils s’attaquent à notre terre, à notre avenir et notre passé. »
Le père Hijazin a également souligné que l’ultime recours pour modifier le tracé au moins autour de l’école – séparée, mais affiliée au monastère – a aussi échoué.
« Ils veulent couper tout lien existant entre le monastère et l’école et nos enfants. C’est tellement plus important que le monastère », a-t-il déclaré.
Issa Khalalia est propriétaire d’une partie des terres confisquées par la construction du mur. Selon lui, non seulement la vallée de Crémisan représente une partie importante de l’histoire de sa communauté, elle a aussi une importante valeur économique.
« Toutes les terres agricoles de Beit Jala se trouvent dans la vallée de Crémisan et sont concernées par la confiscation des terres. Ils confisquent autant qu’ils le peuvent et ainsi de nombreuses familles qui dépendent de ces terres seront anéanties », a-t-il expliqué.
Les oliviers représentent environ 80 % de la production de fruits dans les territoires palestiniens et 14 % de leur économie, selon les estimations de l’ONU. Les 300 hectares de la vallée de Crémisan sont couverts de cultures en terrasses et de champs d’oliviers.
« Nous nous sommes battus pour garder cette terre. Nous gardons l’espoir de pouvoir encore changer les choses, même maintenant, mais je ne pense pas que ce soit possible », a déclaré Khalalia.
Yusuf Sinat, un habitant du village d’Artas, à environ 5 km de Beit Jala, envisage de participer à la manifestation chaque jour de cette semaine pour exprimer sa solidarité envers les habitants de Beit Jala. Les habitants de son village ont déjà vécu l’épreuve que traverse la communauté de Beit Jala aujourd’hui.
« Ils ont déjà pris notre terre et le mur est à proximité de nos maisons. Je suis désolé de voir que ça arrive aussi à ces gens », a déclaré Sinat.
Assis à l’ombre d’un olivier à côté d’un drapeau palestinien accroché aux branches, il a comparé le déracinement des oliviers de Beit Jala à la destruction des vestiges du passé qui se déroule à travers l’Irak et la Syrie.
« Certains de ces arbres sont vieux de 2 000 ans », a déclaré Sinat. « En quoi est-ce différent de la destruction des ruines antiques par le groupe État islamique ? Ces arbres représentent notre histoire et ils les déracinent. »
Yusuf Sinat affirme qu’il continuera à venir manifester pour soutenir les gens de Beit Jala. Quant au père Hijazin, même s’il continue à participer à l’organisation des manifestations, il estime qu’à ce stade, seule une intervention divine sauvera la vallée de Crémisan.
« Nous mettons toute notre espérance en Dieu, nous ne pouvons rien espérer des autres », a-t-il déclaré. « La communauté internationale n’a rien fait pour nous, mais nous allons continuer à prier ici et à garder foi en Dieu pour nous aider. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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