Craintes d’une confrontation entre la Russie et les États-Unis en Syrie
NATIONS UNIES – Les États-Unis ont toujours affirmé qu’ils n’avaient pas de « troupes au sol » en Syrie. La véracité de cette déclaration – de même que la sagesse de limiter leur campagne aux frappes aériennes – est remise en cause depuis presque aussi longtemps.
Mercredi, dernier cette question s’est imposée de nouveau lorsque le général Lloyd Austin, chef du Commandement central de l’armée américaine, a déclaré que les forces d’opérations spéciales américaines étaient effectivement sur le terrain en Syrie et aidaient les troupes kurdes à combattre le groupe État islamique (EI).
Le même jour, l’armée américaine est revenue sur sa déclaration à la commission sénatoriale des forces armées. Selon elle, les États-Unis ont seulement soutenu les forces kurdes dans leur bataille contre le groupe EI depuis l’autre côté de la frontière irakienne.
Cependant, survenant alors que la Russie renforce sa présence militaire en Syrie pour aider le président Bachar al-Assad en difficulté, l’incident soulève de nouvelles questions au sujet de cette dernière évolution dans la guerre civile syrienne.
Les analystes se sont interrogés sur la probabilité que la Syrie devienne un champ de bataille par procuration entre Washington et Moscou. L’ONU a mis en garde contre une aggravation de la crise du fait d’une ingérence militaire extérieure.
Prenant la parole devant le Congrès, le général Austin a déclaré que les forces d’opérations spéciales américaines collaboraient avec les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et d’autres forces dans le nord de la Syrie depuis le début du conflit en 2011.
« Ce qu’ont fait nos forces d’opérations spéciales dans le nord de la Syrie... au tout début, elles ont commencé à collaborer avec des éléments comme les YPG et à former ces éléments qui font une différence sur le champ de bataille », a-t-il déclaré.
Les commentaires d’Austin étaient en contradiction avec les déclarations antérieures du président américain Barack Obama. Le commandant en chef affirmait ainsi que le groupe EI serait détruit par des frappes aériennes de la coalition menée par les Américains sans « intervention au sol » des États-Unis en Syrie.
Malgré cela, il est entendu que les États-Unis ont effectué quelques opérations au sol – les forces spéciales américaines auraient notamment tué Abou Sayyaf, un haut responsable du groupe EI qui contribuait à la direction des opérations financières ainsi qu’au trafic de pétrole et de gaz, en mai.
En outre, un document de la société de sécurité Stratfor publié par le site Wikileaks en 2011 suggérait que des forces spéciales américaines auraient potentiellement été présentes sur le terrain en Syrie depuis cette date.
Les commentaires d’Austin peuvent également influer sur les relations de Washington avec son allié de l’OTAN, la Turquie. Ankara se bat actuellement contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe idéologiquement et stratégiquement lié aux YPG en Syrie.
Dans une mise au point, l’armée américaine revient sur le témoignage d’Austin. « Les forces militaires américaines ne sont pas présentes sur le terrain en Syrie et nous n’avons pas donné de formation militaire américaine aux forces syriennes autochtones en Syrie », a-t-elle précisé dans un communiqué.
« La coordination et la coopération avec les forces américaines a lieu en dehors de la Syrie, dans le nord de l’Irak… »
Les interrogations sur l’engagement militaire américain en Syrie interviennent au moment où la Russie renforce sa présence dans ce pays pour soutenir les forces d’Assad, qui perdent du terrain face à une mosaïque de milices anti-gouvernementales islamistes et modérées dans une guerre qui a fait environ 240 000 victimes.
Un porte-parole du Pentagone a déclaré lundi que les flux de personnel et de matériel indiquent que Moscou est en train d’établir une « base aérienne d’opérations avancées » dans un aéroport près de Lattaquié (ville située au nord-ouest), bastion du régime et fief traditionnel d’Assad.
D’autres rapports indiquent que Moscou a envoyé des avions et deux navires de débarquement de chars vers la base navale russe dans la ville côtière syrienne de Tartous.
Le président russe Vladimir Poutine a promis un soutien militaire continu pour Assad dans « la lutte contre l’agression terroriste » du groupe EI. Il a averti que les flux de réfugiés syriens vers l’Europe seraient « encore plus massifs » sans l’aide de la Russie.
Tout comme la Turquie, la Jordanie et d’autres pays voisins, l’Europe, et notamment la Grèce, l’Allemagne et la Hongrie, a été dépassée au cours des dernières semaines par un afflux massif de réfugiés en provenance de Syrie et d’autres pays en proie aux troubles.
Toutefois, le renforcement militaire de Moscou a suscité des inquiétudes en Occident alors que les États-Unis, les pays du Golfe et la Russie travaillent à un nouvel effort pour la paix avec l’envoyé de l’ONU pour la Syrie à l’occasion de l’ouverture de négociations à Genève ce mois-ci.
Mercredi, le secrétaire d’État John Kerry a averti que le soutien de Moscou à Assad exacerberait la crise et a exhorté la Russie à jouer un « rôle constructif » dans la recherche d’une solution politique en Syrie et dans la lutte contre le groupe EI.
« J’ai bien précisé que le soutien continu apporté par la Russie à Assad risque d’aggraver le conflit et de saper notre objectif commun de lutter contre l’extrémisme », a déclaré Kerry aux journalistes au lendemain d’un entretien avec son homologue russe Sergueï Lavrov.
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a mis en garde contre toute implication militaire étrangère dans la guerre syrienne. « Je suis préoccupé par l’armement et la fourniture d’armes aux belligérants », a déclaré Ban Ki-moon aux journalistes. « Il n’y a pas de solution militaire – uniquement une solution politique », a-t-il ajouté.
Selon Jonathan Cristol, chercheur au World Policy Institute, les États-Unis ont très probablement recours à un petit nombre de troupes terrestres en Syrie – en dépit de la rétractation de l’armée américaine vis-à-vis des commentaires du général Austin.
« Si les États-Unis ne sont pas présents en Syrie, alors en fin de compte, nous ne faisons pas notre travail », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
« Cela dit, la formation de combattants étrangers et l’envoi d’agents américains à travers les frontières pour les missions de formation et de renseignement ne constituent pas un renforcement particulièrement spectaculaire du rôle des États-Unis en Syrie. »
Les États-Unis sont susceptibles de limiter leur présence militaire en Syrie de crainte d’une « guerre par procuration » avec la Russie, a-t-il ajouté.
« La Russie et les États-Unis ont intérêt à lutter contre le groupe EI. Si la lutte est dirigée contre le groupe EI et que les islamistes sont vaincus ou en ressortent diminués, alors cela ne peut qu’être un bon résultat pour Assad et ses partisans à Moscou », a-t-il expliqué.
« Même pour la Syrie, on pourrait faire valoir que c’est le meilleur dénouement. »
Selon Faysal Itani, un expert de la Syrie à l’Atlantic Council, un renforcement militaire américain en réponse à l’action russe en Syrie est peu probable.
« Si la présence militaire de la Russie en Syrie se développe, les options américaines diminueront et le risque d’une action des États-Unis augmentera », a-t-il déclaré à MEE.
« L’opposition syrienne vient peut-être de se faire un redoutable ennemi en Russie, alors même que le programme de formation et d’équipement des États-Unis s’effondre. »
« La présence des forces russes a rendu plus difficile, pour les États-Unis, la mise en place d’une zone de sécurité débarrassée du groupe EI ou d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie du Nord», a ajouté Itani.
« En ce qui concerne le déploiement de troupes américaines au sol : ce n’est pas impossible tant qu’il se limite à cibler le groupe EI, mais il n’aurait certainement pas pour but de contrer le renforcement militaire russe qui, en réalité, vise l’insurrection syrienne et non le groupe EI. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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