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Les manœuvres de l’Iran éveillent l’hostilité de ses alliés naturels en Afghanistan

L’Iran courtise les Hazaras chiites depuis des années et accueille de nombreux réfugiés hazâras. Mais sa politique en Syrie et son rapprochement avec les Talibans en ont bouleversé plus d’un

KABOUL - Karte Seh, à l’ouest de Kaboul, peut faire penser à un bout d’Iran niché dans la capitale afghane. Une imposante madrasa, construite par l’Iran en 2006, domine l’horizon avec ses dômes persans et ses arches. Les femmes ont remisé les burqas afghanes pour des tchadors de style iranien, et des imams chiites prêchent à des congrégations issues de la communauté persanophone de la zone.

L’influence de l’Iran se fait sentir depuis longtemps dans la région et dans ses instances politiques. La guerre civile d’Afghanistan dans les années 1990 a poussé de nombreux Hazaras à chercher en Téhéran un contrepoids à l’assaut des Talibans sunnites, et l’Iran accueille des millions de réfugiés et de migrants hazâras qui ont fui les combats à la recherche d’une vie meilleure.

Cependant, le ressentiment à l’encontre de l’Iran commence à croître parmi les Hazaras à mesure que Téhéran se rapproche apparemment des Talibans pour contrer la montée du groupe État islamique (EI) en Afghanistan, et au vu de sa politique encore tacite d’envoi de réfugiés afghans, parfois contre leur gré selon certains témoignages, afin de se battre pour Bachar al-Assad en Syrie.

« L’interférence étrangère n’est pas bonne pour les Afghans. L’Iran et le Pakistan veulent seulement détruire l’Afghanistan », a déclaré à Middle East Eye Syed Najibullah Rahim, un Hazara de Kaboul âgé de 30 ans. « Ils ont leurs propres motivations politiques. L’Iran est l’ennemi de l’Amérique et son seul but est de déstabiliser l’Afghanistan. » Certains craignent que si ces tensions s’accentuent, l’Iran pourrait perdre sa réputation non seulement en Afghanistan mais à travers toute la région. 

Combattre en terre étrangère

Les rapports selon lesquels l’Iran expédie de jeunes Hazaras en Syrie pour qu’ils combattent aux côtés d’Assad circulent depuis plusieurs années. Selon Human Rights Watch, depuis 2013, l’Iran fait miroiter à de pauvres réfugiés hazâras la promesse de recevoir de l’argent et de se voir octroyer des droits de résidence permanents en échange de leur participation aux combats.

L’Iran dément toute exploitation de ces personnes vulnérables et déclare apporter un soutien officieux aux « volontaires » qui défendent les sites chiites en Syrie et en Irak contre les militants sunnites – à l’instar de la Brigade des Fatimides dominée par les Afghans.

Toutefois, un grand nombre de Hazaras en Afghanistan déclarent connaître quelqu’un parti combattre – sous la contrainte uniquement.

Qurban Ali, un Hazara de 39 ans qui vit à Kaboul, affirme qu’il connaît une famille dont le fils est parti en Iran pour chercher du travail, mais qui a au lieu de cela été envoyé en Syrie. Il raconte que la famille a récemment été invitée par les autorités iraniennes à assister aux funérailles de leur fils.

« Ils ont dit à sa famille : ‘’Votre fils est tombé en martyr en Syrie’’. »

Tandis que les autorités déclarent qu’il était parti en Syrie de son plein gré, Qurban Ali affirme qu’il s’y était rendu après avoir reçu la promesse d’un permis de résidence de la part des Gardiens de la révolution iranienne.

Lundi 2 mai, l’Iran a adopté une loi permettant au gouvernement d’accorder la citoyenneté aux familles d’étrangers tués au combat pour Téhéran, déclarant que « le gouvernement [pourrait désormais] accorder la citoyenneté iranienne à l’épouse, aux enfants et aux parents de martyrs étrangers morts en mission [...] au cours de la guerre Iran-Irak [1980-1988] et après ».

Ceci, cependant, a été vu comme un message envoyé à ceux qui refusent de se battre.

Alors que la plupart des partis politiques hazâras ont pris soin de ne pas accuser l’Iran, Ali Amiri, secrétaire politique du parti pro-Iran Hezb-e-Wahdat Islami Mardum-e-Afghanistan dirigé par Mohammad Mohaqiq, un célèbre Hazara, a estimé que forcer les Hazaras à combattre était une violation des droits de l’homme et a exhorté les autorités afghanes à enquêter sur la question.

Selon Thomas Ruttig, analyste à l’Afghanistan Analysts Network, les Hazaras actifs sur le plan politique sont de plus en plus préoccupés par le comportement de l’Iran.

« Les intérêts des partis chiites hazâras et de l’Iran ne coïncident pas parfaitement », a-t-il expliqué. 

Et la division au sujet de la Syrie n’est qu’une partie du problème.

L’ennemi de mon ennemi...

Les Hazaras forment la plus grande minorité chiite d’Afghanistan et, selon différentes estimations, représentent entre 10 et 20 % de la population, bien qu’aucun recensement officiel n’ait été réalisé depuis 1979.

L’Iran a commencé à soutenir les groupes moudjahidin afghans composés de minorités persanophones, tels que les Hazaras, dans les années 1980, contre les Soviets, et plus tard contre les Talibans, un groupe composé presque exclusivement de Pachtounes sunnites.

L’Iran a failli partir en guerre contre les Talibans en 1998, après l’assassinat de dix diplomates et d’un journaliste iraniens lors d’une attaque contre le consulat iranien à Mazâr-e Charîf.

Cependant, au cours des dernières années, la montée du groupe État islamique a conduit de nombreuses personnes à croire au possible renversement de cette rivalité, l’Iran pouvant voir dans les Talibans un possible rempart contre les militants.

D’après Thomas Rutting, la montée en puissance de l’EI a probablement joué un « rôle moteur » dans la relation de Téhéran avec l’Afghanistan.

L’année dernière, le Wall Street Journal a rapporté que l’Iran fournissait des fonds, des munitions et même un entraînement aux Talibans. Le mois dernier, l’ambassadeur iranien en Afghanistan a confirmé officiellement que son pays était en contact avec les Talibans pour ce qu’il a appelé « le contrôle et l’évaluation de la situation sécuritaire ».

L’Iran avait précédemment nié tout contact avec le groupe militant qui a dirigé l’Afghanistan de la moitié des années 1990 à l’invasion menée par les États-Unis en 2001 et qui a de nouveau essayé d’étendre son influence suite au retrait des troupes internationales.

« Il n’y a pas d’amour déchu entre l’Iran et les Talibans », a indiqué Ruttig. « Il y a une multitude de relations et l’Iran veut garder toutes ses options sur la table. »

Il a ajouté qu’il n’y avait pas de preuves solides de transferts d’armes aux Talibans.

Une relation trop étroite pour être confortable

La relation entre les Hazaras et l’Iran s’est complexifiée au cours des années. Alors que toutes les factions hazâras ont choisi de coopérer avec les États-Unis après leur invasion en 2001, certaines ont continué à être associées à l’Iran. Selon certaines allégations, l’Iran financerait des députés hazâras et les pousserait à adopter des positions anti-occidentales.

De nombreux politiciens hazâras admettent en privé qu’être vus comme étant trop proches de l’Iran peut s’avérer politiquement dangereux, tout en pensant cependant que cela reste important pour conserver une sorte de lien. « Ce n’est pas comme si tous les Hazaras étaient d’ardents défenseurs de l’Iran », a commenté Thomas Ruttig.

« Le ressentiment existe depuis longtemps. Cet aveu [de contact avec les Talibans] par l’ambassadeur iranien suscitera davantage d’inquiétudes chez de nombreux leaders hazâras chiites. Depuis longtemps, ces derniers ne parlent guère aimablement des Iraniens en leur absence. »

Pourtant, une division plus large a commencé à émerger entre les jeunes et les dirigeants hazâras, que de nombreux jeunes accusent d’exploiter les tensions ethniques pour s’approprier le pouvoir.

« Après 2001, de nombreux jeunes Afghans ont commencé à penser au-delà des divisions ethniques, mais l’actuel Gouvernement d’unité nationale a de nouveau aggravé [la question du sectarisme] », a commenté Qurban Ali.

Ce genre d’opinions est majoritaire chez les Hazaras, qui continuent de dire qu’ils font l’objet de discriminations quand ils postulent des postes gouvernementaux ou essaient d’intégrer l’armée afghane.

Les provinces principalement habitées par les Hazaras demeurent en outre les moins développées du pays, quelque chose qui, pour de nombreux Hazaras, s’explique plus par l’ethnicité que par l’économie.

Les Hazaras vivent dans certaines des zones les plus défavorisées d’Afghanistan (AFP)

Divisions internes 

Certains Hazaras ont cherché à se raccommoder avec les Talibans en raison du risque croissant représenté par l’EI. Dans la province occidentale de Ghazni, un groupe d’anciens Hazaras a approché les Talibans pour demander leur protection en 2015. Ces derniers ont accepté.

Mohammad Akbari, le seul chef hazâra à avoir coopéré avec les Talibans pendant les années 1990, va jusqu’à dire que sa communauté doit « terminer la guerre avec les Talibans et ensuite travailler avec eux pour en finir avec l’EI » – mais sa position demeure impopulaire auprès de nombreux membres de la communauté.

En novembre dernier, les corps de sept Hazaras – dont des femmes et une fillette de 9 ans – ont été retrouvés décapités par l’EI. Les Talibans sont intervenus, traquant puis tuant ceux qu’ils pensaient être derrière l’attaque – mais l’opération n’est pas parvenue à gagner les cœurs et les esprits.

Bien que les Talibans et l’État islamique s’opposent, le public en général ne voit guère de différences entre eux et, lors des protestations qui ont fait suite à ces assassinats, les manifestants ont scandé des slogans contre à la fois l’EI et les Talibans. 

Dans un tel climat, le supposé soutien de l’Iran pour les Talibans n’est pas bien toléré.

« Les Hazaras ne peuvent l’accepter, même si c’est juste pour contrer l’EI », a conclu Ali Amiri, du parti de Mohammad Mohaqiq. Selon lui, si la preuve du soutien iranien en faveur des Talibans était apportée, cela changerait la relation de son parti avec l’Iran.

« Seuls les dirigeants politiques ont bénéficié de la relation avec l’Iran. Les Hazaras ordinaires n’en ont rien retiré », a ajouté Qurban Ali.

Hussain Ali et Rohina Haroon ont contribué à ce reportage.

Photo : des Afghans se rassemblent autour du sanctuaire chiite de Karte Sakhi à Kaboul, le 20 mars 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original). 

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