Tunisie : un parti pour les ambitions politiques de Youssef Chahed
TUNIS – Tahya Tounes (Vive la Tunisie) : les partisans de Youssef Chahed ont dévoilé dimanche à Monastir (centre-est) le nom du mouvement politique qui sera prochainement créé autour du chef du gouvernement pour préparer les élections législatives et présidentielles de 2019.
Pourtant, Youssef Chahed était le grand absent de cette cérémonie qui a rassemblé près de 7 000 personnes venues de toutes les régions de la Tunisie.
Le Premier ministre a en effet préféré se rendre à Jendouba, dans le nord-ouest du pays, pour une visite inopinée afin de suivre l’évolution de la situation suite aux intempéries qui ont marqué cette région ces derniers jours.
Cette annonce était attendue depuis plusieurs mois : la deuxième force politique du Parlement derrière Ennahdha, la Coalition nationale, est donc officiellement devenue un mouvement politique, la création officielle du parti devant quant à elle se faire dans un mois, lors d’un congrès.
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Comment et pourquoi ce mouvement a-t-il été créé ?
Le groupe parlementaire de la Coalition nationale a été créé fin août 2018, dans un climat de discorde entre la Kasbah (le gouvernement) et Carthage (la présidence), en soutien à Youssef Chahed.
« La formation de ce bloc entre dans le cadre des conflits et ruptures au sein de plusieurs partis politiques qui se sont ajoutés à la crise gouvernementale qui sévit depuis la suspension du Pacte de Carthage 2 », explique l’analyste politique Jomâa Guesmi à Middle East Eye.
Les négociations autour de ce document avaient buté sur un seul point : le maintien de Youssef Chahed à son poste.
Alors que le mouvement Ennahdha et l’union patronale (UTICA) ont exprimé leur attachement au maintien de Youssef Chahed en opérant quelques changements dans l’équipe gouvernementale, la centrale syndicale (UGTT) et le mouvement Nidaa Tounes ont appelé à la dissolution du gouvernement Chahed et à la formation d’un nouveau.
Mi-septembre, Nidaa Tounes a annoncé le gel de l’adhésion de Chahed au parti et sa traduction devant un conseil de discipline, dans ce qui était en réalité une exclusion déguisée.
Les différends qui opposent le chef du gouvernement à Hafedh Caïd Essebsi (HCE), le fils du président et directeur exécutif autoproclamé de Nidaa Tounes, sont les principales causes de ce gel. Alors que Nidaa Tounes dénonce publiquement l’incapacité du gouvernement Chahed à relancer l’économie, ce dernier accuse, pour sa part, HCE d’être hostile à sa campagne anticorruption.
Les analystes politiques considèrent toutefois que la véritable rupture entre la Kasbah et Carthage s’est faite en novembre, à l’occasion du remaniement ministériel : Youssef Chahed avait tenu le chef de l’État à écart de ces réaménagements. Certains députés de Nidaa Tounes ont été jusqu’à qualifier le remaniement de « coup d’État ».
Slim Riahi, nouveau secrétaire général de Nidaa Tounes (après la fusion de l’Union patriotique libre avec Nidaa) a porté plainte contre le Premier ministre et d’autres responsables du gouvernement – le chargé de communication de la Kasbah, Mofdi Mseddi ; l’ancien directeur du cabinet présidentiel, Slim Azzabi ; l’ancien dirigeant de Nidaa Tounes, Lazhar Akremi ; et le directeur général de la sécurité présidentielle, Raouf Mradâa – pour « complot contre la sécurité intérieure de l’État ».
L’affaire a été classée sans suite début décembre, suite aux absences du plaignant, qui a prétexté se trouver à l’étranger pour des raisons professionnelles.
Quel est l’objectif de ce projet politique ?
La création du parti signe les ambitions politiques de Youssef Chahed pour les élections de 2019.Le quadragénaire, inconnu jusque-là, avait été propulsé chef d’un gouvernement d’union nationale par Béji Caïd Essebsi en août 2016.
La Coalition nationale, qui a soutenu le maintien de Youssef Chahed à son poste, pourrait aussi appuyer son éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2019.
Officiellement, pour l’instant, le sujet est évité. Les intervenants se sont accordés sur un objectif : « rassembler la famille démocratique, centriste-progressiste et unifier les rangs ». Ce nouveau parti sera « progressiste » et « adversaire » du parti d’inspiration islamiste, Ennahdha, qui a soutenu le chef du gouvernement face au président.
Le maire de Monastir, Mondher Marzouk ; le porte-parole de la Coalition nationale, Mustapha ben Ahmed ; ou encore Selim Azzabi, coordinateur général du mouvement,ont appelé les indépendants, les politiques de la même tendance et ceux qui ont quitté la scène politique à se rassembler autour de ce projet. Le congrès de dimanche a révélé que la Coalition nationale ambitionne d’atteindre les 109 députés, soit une majorité parlementaire pour « pouvoir gouverner ».
« Notre objectif est de construire une nouvelle force politique dans le pays qui a pour but de continuer la construction d’un pays moderniste entamée par Bourguiba et poursuivie par les destouriens [courant nationaliste socialiste hérité du parti Bourguiba], les démocratiques et les progressistes », a souligné Azzabi dans son discours.
Quels sont les poids lourds du mouvement ?
Autour de Youssef Chahed se sont rassemblés d’anciens députés de Nidaa Tounes, des indépendants, des dissidents des groupes parlementaires de Machrouu Tounes, Afek Tounes ou encore du bloc de l’Union patriotique libre, tous des partis centristes.
Parmi les plus influents :
- Mustapha ben Ahmed, porte-parole du bloc la Coalition nationale. Il est l’un des fondateurs de Nidaa Tounes et un ancien membre de son comité exécutif en 2012. Il a quitté Nidaa Tounes pour rejoindre le bloc Al Horra (créé en 2016, ce dernier a rassemblé les démissionnaires de Nidaa Tounes au début de la crise interne du parti) avant de présider le bloc parlementaire national (progressiste).
- Bochra Belhaj Hmida, avocate et ancienne députée de Nidaa Tounes. Elle est aussi la présidente de la Commission pour les libertés individuelles et l’égalité (COLIBE). Elle a quitté le bloc de Nidaa Tounes pour rejoindre le bloc Al Horra puis le bloc national et enfin la Coalition nationale.
- Sabrine Ghoubantini, députée radiée de Nidaa Tounes en juin 2017 pour avoir accusé les dirigeants du parti de vouloir faire tomber le gouvernement et pour son soutien à la lutte de ce dernier contre la corruption. Elle rejoindra ensuite le bloc national puis la Coalition nationale.
- Zohra Driss, ex-députée de Nidaa Tounes et femme d’affaires, elle a repris le flambeau de l’héritage familial dans le secteur du tourisme.
- Hajer Ben Cheikh Ahmed, juriste et journaliste. Elle a quitté Afek Tounes en mars après son désaccord avec le président du parti Yassine Ibrahim. Elle a ensuite rejoint le bloc national puis la Coalition nationale
- Selim Azzabi, nommé dimanche coordinateur général du mouvement. Cet ancien directeur du cabinet présidentiel a démissionné de son poste début octobre et a participé à l’organisation des réunions en préparation du rassemblement qui a annoncé la création du parti.
Nidaa Tounes peut-il contrecarrer Tahya Tounes ?
Ce sera difficile. Les tentatives de riposte de Nidaa Tounes n’ont pour l’instant rien donné. La création de la Coalition nationale a propulsé le vainqueur des législatives de 2014 à la troisième place : Nidaa Tounes, première force au Parlement avec 85 députés, est passé à 43 députés, devancé par la Coalition nationale (47 députés) et Ennahdha (68 députés), à la rentrée parlementaire, en octobre.
Nidaa Tounes avait alors déposé un recours contre la composition de la Coalition nationale. En cause : certains anciens députés de Nidaa Tounes avaient rejoint le nouveau groupe sans présenter leur démission du parti.
Ce recours a été rejeté par le bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), pour laquelle le ralliement des députés de Nidaa Tounes n’est pas contraire au règlement intérieur du Parlement.
Le 14 octobre, coup de théâtre : Nidaa Tounes annonce sa fusion avec l’Union patriotique libre, présidée par Slim Riahi, un homme d’affaires controversé, et dont les seize députés s’étaient ralliés au groupe parlementaire la Coalition nationale à sa création.
Cette reconfiguration du paysage politique n’est pas passée inaperçue. Hafedh Caïd Essebsi et Slim Riahi ont été accusés d’avoir scellé un accord juridique. L’avocat Lazher Akremi, ex-dirigeant à Nidaa Tounes, a assuré qu’un haut responsable à la présidence aurait promis à Slim Riahi de lever le gel sur ses fonds, en contrepartie de cette fusion.
Mais cette manœuvre politique n’a pas donné ses fruits, entraînant plusieurs démissions chez Nidaa Tounes.
Selon une dernière mise à jour du bureau de l’ARP, la balance du pouvoir législatif bascule toujours en faveur de la Kasbah.
« La création de ce mouvement va entraîner de la confusion dans le paysage politique », estime Jomâa Guesmi, analyste politique, contacté par MEE. « Car c’est le clone, sur le fond et sur la forme, du Nidaa Tounes de 2012. Le parti de Chahed va œuvrer à vider Nidaa Tounes, et ce dernier va se retrouver, petit à petit, parmi les partis politiques sans aucun poids. Youssef Chahed va aussi compter sur les institutions de l’État pour élargir son parti, et va continuer à jouer son rôle de chef de gouvernement, loin de son parti. Tout rapprochement direct Tahya Tounes sera une infraction constitutionnelle. Vers la fin du mois de mars, nous devrions savoir s’il va quitter le gouvernement et se présenter aux élections. »
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