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Le djihad chiite et la mort de l’armée syrienne

Un transfuge de l’armée syrienne explique comment les forces du président Assad ont été surpassées par les armées et milices étrangères

C’est par une chaude journée de juillet, au cours du mois du Ramadan, que Khaled al-Shami a vu une occasion de fuir la 9e division postée à Deraa, dans le sud de la Syrie, où se trouvaient ses quartiers militaires depuis quatre ans.

Un mois plus tôt, deux soldats comme lui avaient fait de même, mais avaient été repérés : le premier avait été abattu, tandis que le second avait été blessé et est mort écrasé par les forces du président syrien Bachar al-Assad qui le poursuivaient.

Leur sort trottait dans la tête de Shami lorsqu’il s’est échappé du quartier général, pendant qu’un ami faisait diversion auprès des gardes. Il a marché sur cinq kilomètres avant de rencontrer des soldats de Saif al-Sham, un groupe du front sud de l’Armée syrienne libre avec qui il avait coordonné sa défection.

Deux mois plus tard, il a pu quitter la Syrie et passer en Jordanie. Je l’ai rencontré à Amman, où je l’ai interrogé sur les conditions de vie au sein des forces d’Assad.

« Je vivais un cauchemar, a-t-il confié. J’ai besoin d’un formatage après tout ce que j’ai vu et vécu. La plupart des gens comme moi veulent partir, mais c’est la peur accablante qui nous en empêche. »

Il a décrit ce à quoi ressemblait la vie au sein de l’armée d’Assad.

« Il est important de comprendre qu’il n’y a plus d’armée syrienne : ce sont seulement des milices, en grande partie des Iraniens et des Libanais. »

La composition des forces armées

La 9e division est la plus grande et la plus importante force militaire d’Assad dans le sud de la Syrie. Elle comporte la seule division de chars et compte environ 4 000 soldats répartis dans quatre brigades.

Cependant, la plupart des soldats au sein de la division sont aujourd’hui étrangers : « Sans le Corps des Gardiens de la révolution islamique iraniens (GRI) et le Hezbollah libanais, l’armée ne pourrait pas tenir debout. Soixante-dix pour cent des soldats de la 9e division sont des soldats iraniens ou du Hezbollah libanais, et les autres sont des shabiha. Seulement deux à trois pour cent des soldats sont des soldats réguliers syriens », a expliqué Khaled.

Les shabiha désignent les forces paramilitaires alaouites connues pour leur brutalité et leur nature sectaire. Khaled a décrit la dynamique entre ces différents éléments prenant part aux combats : « Les Iraniens et le Hezbollah ne sont pas sous le contrôle de l’armée syrienne ; c’est tout le contraire. »

Il a expliqué comment les troupes étaient organisées et déployées : « Dix officiers iraniens de haut rang contrôlent la division et planifient les opérations. Seules les forces iraniennes ou du Hezbollah peuvent accéder aux salles d’opérations, aucun soldat syrien n’est autorisé à y entrer. »

Pour les batailles, des groupes de 50 combattants sont déployés : 15 membres des GRI, 15 du Hezbollah et 20 Syriens dont une majorité de shabiha. Au cours des batailles, la hiérarchie est claire : le commandant est un officier iranien des GRI et son adjoint est un officier du Hezbollah, a affirmé Khaled.

La hiérarchie

Un officier syrien qui a fait défection et qui se trouve désormais à Amman m’a rapporté sous couvert d’anonymat les propos d’un ami qui est toujours officier au sein des forces d’Assad : « Nous sommes au cinquième rang, a-t-il dit. Même les milices civiles libanaises ont le pouvoir de dire à un général syrien ce qu’il doit faire et de le renvoyer à son bureau. Ils ont de la meilleure nourriture et de meilleures armes que nous, et ils sont plus respectés. »

Il a expliqué que les Syriens sont maintenant isolés des activités militaires et n’ont aucune confiance : « Ce sont les milices qui mènent la barque de nos jours. Ces milices croient qu’elles sont là pour défendre la Syrie, où l’armée régulière a échoué, alors elles nous traitent comme des incapables et sans nous montrer le moindre respect. »

La différence de rémunération entre les groupes est saisissante : Khaled était payé 60 dollars par mois en tant que soldat syrien régulier, tandis que les shabiha étaient payés 180 dollars par mois, soit trois fois plus. Les membres du Hezbollah libanais étaient payés environ 400 dollars.

Défections, désertions et morts

Le major Abou Oussama al-Jolani, commandant de l’Armée syrienne libre (ASL) et officier ayant fait défection, m’a raconté comment la guerre a changé au cours des douze derniers mois.

« Les milices chiites mènent une action militaire pour soutenir le régime dans toutes les batailles depuis l’année dernière [...] Tous ceux que nous combattons aujourd’hui sont des étrangers. »

Christopher Kozak, de l’Institute for the Study of War, a écrit en décembre 2014 que « les défections, les désertions et les plus de 44 000 morts au combat » avaient considérablement réduit les forces d’Assad.

Il a expliqué que la pression primordiale reste liée à la grogne au sein de la base de soutien alaouite du régime qui « a montré des signes de mécontentement de plus en plus forts vis-à-vis du régime syrien ».

Assad a reconnu publiquement une pénurie d’hommes dans un discours prononcé en juillet dernier : « L’énergie de l’armée est celle de ses hommes, et si nous voulons que l’armée donne le meilleur d’elle-même, alors nous devons lui donner le meilleur de nous-mêmes. »

La stratégie d’occupation

L’afflux de combattants étrangers, dont beaucoup viennent en Syrie pour faire le djihad chiite, ajoute un caractère sectaire dangereux aux forces d’Assad.

Khaled a raconté que ces derniers occupent les mosquées dans les zones qu’ils contrôlent, enlèvent les icônes sunnites et les remplacent par des photos de figures chiites telles que l’ancien ayatollah iranien Rouhollah Khomeini et le chef du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah.

« Leur stratégie est de diffuser la religion chiite. Quand ils occupent les mosquées, ils empêchent les sunnites d’y prier. Ils font même exploser la mosquée s’ils pensent que l’ASL s’en sert », a expliqué Khaled.

On a fait état cette année de cas dans lesquels des milices chiite irakiennes et libanaises sont entrées dans la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas, où ils ont accroché au mur des drapeaux chiites et se sont mis à entonner des chants considérés comme blasphématoires par les sunnites.

De même, lorsque le Hezbollah a pris la ville de Qousseir, située entre Homs et la frontière libanaise, une vidéo dans laquelle des combattants du Hezbollah accrochent un grand drapeau indiquant « Ô Hussein » au minaret de la principale mosquée sunnite de la ville a été publiée.

Récemment, un groupe de miliciens chiites irakiens a occupé une mosquée à Tal al-Eis, au sud d’Alep, et a publié des photos sur son site.

Abu Salah al-Shami, chef de la brigade Saif al-Sham de l’ASL, a commenté cette pratique en expliquant ce dont ses combattants sont témoins sur le terrain : « Ces milices essaient souvent d’occuper et de contrôler les symboles religieux au sein de la communauté sunnite pour remporter une victoire non seulement territoriale mais aussi sectaire. »

Ces forces ont été accusées à plusieurs reprises d’atrocités commises à l’encontre des droits de l’homme, dont beaucoup auraient eu un caractère sectaire. Lorsqu’il combattait aux côtés du Hezbollah, Khaled a été témoin de crimes commis par ces forces, dont le viol et l’exécution de civils dans la ville de Deir al-Adas après la prise de celle-ci par les forces d’Assad en février 2015.

Le Réseau syrien pour les droits de l’homme a publié une série de rapports sur les violations des droits de l’homme commises par ces milices, notamment des massacres décrits comme des actes de nettoyage ethnique. Dans un rapport, le groupe de défense des droits de l’homme rend compte d’une série de massacres sectaires perpétrés entre mars 2011 et janvier 2014 qui ont tué 962 civils.

Le rôle de l’Iran

Alors que les Syriens avec qui j’ai discuté estiment qu’une trentaine de groupes différents de combattants étrangers opèrent sur le terrain en Syrie pour soutenir Assad, l’essentiel de leurs effectifs se compose de combattants du Corps des Gardiens de la révolution islamique iraniens et du Hezbollah, comme Khaled a pu l’observer au sein de la 9e division dans le sud du pays.

Le major général Qasem Soleimani, chef de la force al-Qods qui gère les missions des GRI à l’étranger, se rend régulièrement en Syrie où on le voit rassembler ses soldats et leurs compagnons de lutte.

Un flot de commandants iraniens et du Hezbollah de haut rang ont été tués en Syrie. Le major Abou Oussama al-Jolani de l’ASL a déclaré que ses forces détiennent les corps de deux commandants iraniens tués lors de combats à Quneitra, dans le sud de la Syrie.

Dans la presse traditionnelle, ces forces reçoivent une fraction de l’attention dont font l’objet les combattants étrangers sunnites comme ceux du Front al-Nosra, en dépit du fait que certains de ces groupes, dont le Hezbollah libanais mais aussi le Hezbollah irakien, apparaissent sur la liste américaine des organisations terroristes étrangères.

En 2007, le gouvernement américain a désigné les GRI et leur force al-Qods comme étant une source de préoccupation quant à la prolifération du terrorisme. Le rôle de ces forces dans le conflit syrien a été retracé par Phillip Smyth, chercheur à l’université du Maryland, qui a publié un rapport détaillé sur le djihad chiite en Syrie.

Une importante campagne de recrutement de djihadistes a été mise en place dans les cercles radicaux chiites afin de combattre pour le sanctuaire de Zaynab en Syrie, lieu de sépulture de la fille d’Ali, petite-fille du Prophète Mohammed. Dans une récente interview, Smyth a indiqué que les objectifs de l’Iran ne consistent pas uniquement à sécuriser les intérêts géopolitiques en Syrie et à protéger le croissant d’influence du Hezbollah libanais, mais que l’Iran a également comme objectif idéologique de répandre la révolution islamique iranienne dans la région.

Le témoignage de Khaled met en lumière le fonctionnement de ces forces qui soutiennent le pouvoir du régime syrien dans le pays. Alors que beaucoup se réfèrent encore à l’« Armée arabe syrienne » (AAS), il est clair que la plupart des combattants qui soutiennent aujourd’hui Assad ne sont pas syriens, que beaucoup d’entre eux ne sont pas arabes et que la structure des forces relève plus d’un conglomérat de milices que d’une armée.

Tandis que les médias traditionnels sont hypnotisés par les productions d’horreur hollywoodiennes de l’État islamique et par les activités des autres groupes djihadistes sunnites en Syrie, les djihadistes chiites se sont multipliés dans un éventail de groupes militants. Leurs politiques sectaires et leurs violations des droits de l’homme, bien que dangereuses, ont fait l’objet de peu d’attention. Cette vague du djihad chiite en Syrie ne fait pas que s’ajouter au chaos et à l’effusion de sang dans le pays, elle a également des répercussions importantes pour les tensions sectaires à plus large échelle dans la région pour les temps à venir.

- Lara Nelson est consultante pour les composantes politiques et militaires de l’opposition syrienne depuis 2013. Auparavant, elle a officié en tant que conseillère politique principale en charge des questions du Moyen-Orient au parlement britannique. Elle a également travaillé en Palestine – en Cisjordanie et dans la bande de Gaza – après l’opération « Plomb durci » de 2008-2009. Bilingue en arabe, elle est titulaire d’un diplôme en Théologie de l’université d’Oxford avec une spécialisation dans l’islam, ainsi que d’une maîtrise en Relations internationales et diplomatie de l’École des études orientales et africaines de l’université de Londres. Au cours de l’année 2013, elle a été chercheuse invitée à la Middle East Initiative de la Harvard Kennedy School.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le commandant de la Force al-Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique iraniens, le général Qasem Soleimani, lors d’une cérémonie religieuse à Téhéran (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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