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« Chatstanbul », ou Constantinople : bienvenue dans la capitale mondiale des félins

Un mélange de religion, de culture et de pragmatisme confère aux chats un statut très spécial dans la hiérarchie sociale d’Istanbul
L’imam Mustafa Efe dans la mosquée avec l’un des chats du voisinage (avec l’aimable autorisation de Mustafa Efe)

ISTANBUL, Turquie – Alors qu’une vague de froid frappait la ville, les photos et la vidéo d’un imam ouvrant les portes de sa mosquée à une chatte du voisinage et à sa portée de chatons ont récemment fait sensation sur les réseaux sociaux.

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Les photos de chats dans des endroits insolites sont généralement populaires sur les réseaux sociaux, et celles-ci n’ont pas fait exception à la règle.

Mais pour quiconque connaît Istanbul, l’affection et le respect dont les habitants de la ville font preuve à l’égard des chats n’est guère surprenant.

Si on organisait un concours pour nommer la capitale mondiale des chats, Istanbul serait sans aucun doute bien placée pour remporter la palme. On trouve des chats dans presque toutes les ruelles et à chaque coin de rue, et la plupart sont bien traités.

Cette longue histoire d’amour entre les habitants d’Istanbul et ses chats se fonde sur un mélange de religion, de culture et de pragmatisme.

Mustafa Efe, l’imam représenté sur les photos qui se sont répandues comme une traînée de poudre, s’étonne que ces images aient autant attiré l’attention et affirme qu’il n’a fait que son devoir de musulman.

Mustafa Efe dans la mosquée avec l’un des chats locaux (avec l’aimable autorisation de Mustafa Efe)

« Notre foi repose sur la compassion et la pitié. Cela s’applique aussi aux animaux », déclare Mustafa Efe à Middle East Eye. « Notre religion nous enjoint de nous montrer compatissants envers tous les êtres vivants sur terre, même ceux que nous jugeons dangereux, comme les serpents, donc fournir un abri à des chats ce n’est vraiment pas grand-chose. »

« Les chats ne sont pas considérés comme impurs (najis) par l’Islam donc ils peuvent rester à l’intérieur de la mosquée sans aucun problème », ajoute-t-il.

Les histoires qui témoignent de l’affection du Prophète Mohammed pour les chats contribuent sans aucun doute au statut privilégié dont ils jouissent dans cette ville en majorité musulmane. L’une de ces histoires rapporte comment le prophète découpa la manche de sa tunique pour éviter de déranger un chat endormi, et une autre raconte comment un chat empêcha le prophète d’être mordu par un serpent.

Un chat allongé devant lui, un homme lit le Coran dans la principale salle de prière de la mosquée (avec l’aimable autorisation de Mustafa Efe)

Culture locale

Les pieux musulmans des mosquées d’Istanbul ne sont pas les seuls à traiter les chats comme des rois. Les chats règnent partout en maîtres, dans les cafés branchés et les quartiers huppés comme dans les faubourgs populaires. 

À travers la ville, de nombreux petits cafés et salons de thé possèdent leurs chats attitrés, qui occupent parfois les meilleurs sièges de la maison. Ni les clients, ni les propriétaires n’auraient l’idée de les déranger. Ils se contentent d’aller s’asseoir ailleurs.

« Ici ils sont les seuls à se faire servir », dit Gulsun Sozeri, montrant du doigt trois ou quatre chats paresseusement allongés. Elle travaille dans un petit café self-service de l’un des quartiers les plus à la mode, sur la rive asiatique de la ville.

« Nous n’avons que quelques tables et chaises. Parfois les chats accaparent une ou deux des tables les plus ensoleillées », raconte Gulsun Sozeri à MEE. « Personne n’y voit d’inconvénient. Ni nous, ni les clients n’essaieraient de les faire bouger. Ils sont ici chez eux. »

Gulsun Sozeri explique que même si le café a perdu quelques clients potentiels qui sont allergiques aux chats, il en a aussi attiré bien plus grâce à leur présence même.

« Quand les chats ont envie de jouer, ils amusent beaucoup les clients », dit-elle. « Une fois qu’ils les ont vus, les amateurs de chats ont souvent envie de passer même s’ils n’avaient pas prévu de le faire. »

Rien d’étonnant à ce que les chats les plus gras et les plus dodus se rencontrent aux alentours des restaurants de poisson et des boucheries ; mais il serait pratiquement impossible de trouver un chat sous-alimenté dans toute la ville.

Un des nombreux chats bien nourris d’Istanbul (MEE/Suraj Sharma)

Contrôler les chiens errants

La situation est complètement différente pour ce qui est des chiens errants d’Istanbul. Bien que beaucoup de gens les apprécient, ils sont loin de bénéficier du statut privilégié des chats. Et ils sont souvent la cible de mesures draconiennes à court terme imaginées par la municipalité et d’autres fonctionnaires

Suleyman Akif, qui fait du bénévolat à temps partiel dans un refuge pour animaux d’Istanbul, constate qu’à cause de cette affection de la population pour les chats, le refuge en accueille très peu. Selon lui, une autre explication pourrait être que les chiens demandent beaucoup plus d’attention.

« Les gens prennent un chien parce que leurs enfants ont insisté, sans réaliser à quel point il est prenant de s’en occuper.  Les chats se débrouillent pratiquement tous seuls et n’ont pas besoin de beaucoup d’attention », explique Suleyman Akif à MEE. « On découvre alors la cruauté de certaines personnes, qui se contentent souvent de mettre les chiens à la rue quand le fait de s’en occuper devient une corvée trop lourde pour eux. »

Selon Suleyman Akif, le fait que les chats sont moins susceptibles de se faire renverser par une voiture et de devenir incapables de subvenir à leurs besoins est une autre raison qui explique le petit nombre de félins dans les refuges.

« Je ne sais pas s’ils sont plus intelligents ou quoi, mais il y a beaucoup plus de cas de chiens qui se font renverser par des voitures. »

Preuve de l’attachement des habitants d’Istanbul aux animaux des rues – et en particulier aux chats – aucun fonctionnaire élu n’imaginerait lancer une opération pour en débarrasser la ville, car cela pourrait lui coûter sa réélection.

En 2012, une tentative au niveau national qui visait particulièrement les chiens errants a entraîné des protestations d’une telle ampleur que les responsables ont précipitamment fait marche arrière.

Les estimations du nombre de chiens errants à Istanbul varient pour la plupart entre 100 000 à 150 000. Cependant, trouver le moyen de contrôler cette importante population de chiens errants demeure un problème pressant pour les autorités. Le fait que beaucoup de ces chiens puissent avoir la rage s’avère particulièrement préoccupant. La méthode actuellement employée pour s’attaquer à ce problème comprend la castration ou la stérilisation de l’animal, que l’on marque à l’oreille avant de le relâcher dans son quartier d’origine.

Une autre mesure plus controversée, que l’on emploie de temps à autre et qui provoque toujours un tollé, consiste à rassembler ces chiens et à les relâcher dans les forêts inhabitées au nord de la ville.

Protecteurs des félins

Istanbul est restée pendant des siècles une ville portuaire dynamique à laquelle le commerce a apporté des richesses incalculables. Mais les cales des navires arrivant de tous les coins du monde renfermaient aussi une menace mortelle en plus de leurs précieuses cargaisons : des rats.

Les rats étaient porteurs de maladies, et notamment de la peste. Les chats restaient l’arme la plus efficace pour les combattre. Ce simple fait a grandement favorisé le lien étroit entre les chats d’Istanbul et les habitants de la ville qui subsiste encore de nos jours

Les chats sont tellement populaires à Istanbul qu’une foule de vidéos et même de documentaires leur sont consacrés.

« Venez, venez, qui que vous soyez »

Mustafa Efe affirme que les photos qui ont tellement fait sensation sur les médias sociaux ont réellement été prises l’hiver dernier et n’ont pas été diffusées en vue de modifier l’opinion publique, mais il se félicite du rôle qu’elles pourraient jouer pour changer les perceptions erronées au sujet des musulmans.  Les chats vivent toujours à l’intérieur de la mosquée.

Une chatte et ses petits se sont réfugiés dans la mosquée grâce à Mustafa Efe (avec l’aimable autorisation de Mustafa Efe)

« Les musulmans sont dépeints de façon négative depuis des années, et ils sont souvent stéréotypés comme de méchants barbares dans les films, à la télévision et partout. À tel point que ces photos ont suscité la surprise », constate Mustafa Efe.

Il ajoute : « Que je prenne soin d’animaux n’a rien d’extraordinaire. Pas un seul membre de la communauté n’a bronché quand ils ont vu les chats dans la mosquée. La compassion pour tous les êtres vivants est au cœur de notre foi. »

Mustafa Efe dit que la célèbre exhortation du saint soufi Mawlana Jalal-ad Din Rumi, « Venez, venez, qui que vous soyez » illustre parfaitement le fait d’ouvrir ses bras à tous, avec compassion. Il est également persuadé que cette invitation s’adresse à tous les êtres vivants, y compris les plantes.

C’est la mosquée Aziz Mahmud Hudayi Mosque, construite en 1594, que Mustafa Efe préside en temps qu’imam. Mais le rayonnement de la communauté ne s’arrête pas là. Dans l’enceinte de la mosquée se trouve aussi une soupe populaire pour nourrir les pauvres et les nécessiteux.

« Nos portes sont ouvertes à tous. Nous donnons à manger à tous ceux qui ont faim. Les sans-abri, les réfugiés, tout le monde. Cela comprend aussi les animaux. Aucun être vivant qui passe notre porte ne sera mis dehors », conclut Mustafa Efe.

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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