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Colère et accusations réciproques suite au massacre d’Ankara

Les personnes qui étaient présentes lors du plus terrible attentat vécu par la Turquie ont fait part de leur colère contre le gouvernement, et ont exprimé la ténacité de leur espoir de paix
Des femmes portant le cercueil d’une des victimes du double attentat d’Ankara, le 12 octobre 2015 (AFP)

ISTANBUL, Turquie – « Vous savez, non seulement nous ne céderons pas à la peur, mais nous ne laisserons pas nos espoirs de paix mourir à cause de ces lâches. »

Voilà le principal sentiment de Münevver İltemur, qui assistait au rassemblement pacifiste de la capitale turque le 10 octobre lorsqu’un double attentat-suicide a provoqué la mort de plus de 100 personnes.

Münevver İltemur faisait partie des milliers de Turcs qui étaient venus de tout le pays afin de participer à un rassemblement pacifiste appelant à la fin des hostilités entre l’État turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Elle faisait partie d’un cortège de cinq autocars remplis de collègues et d’amis qui étaient venus à Ankara depuis la province occidentale de Tunceli pour, selon ses propres termes, chanter et danser pour la paix et la démocratie.

Münevver İltemur est membre du groupe des Communautés de femmes socialistes. Elle et son amie ont toutes deux été blessées à la jambe par un projectile issu de l’explosion.

« Après le premier moment de panique, je me suis dit que ça recommençait comme à Suruç, et quand j’ai regardé mon amie pour lui faire signe de quitter les lieux avec moi, je me suis rendu compte qu’aucune de nous deux n’était en état de marcher », a déclaré Münevver İltemur à Middle East Eye.

« Il n’y avait pas d’ambulances sur place, et nous étions entourées de cadavres. D’autres amis ont réussi à nous mettre dans un taxi et à nous emmener jusqu’à l’hôpital », a-t-elle expliqué.

C’est la troisième attaque majeure perpétrée en Turquie depuis le mois de juin, et, pour chacune d’entre elles, c’étaient les Kurdes et les groupes orientés à gauche qui étaient visés.

La condamnation officielle

Tandis que les représentants de l’État ont rapidement condamné le dernier attentat, beaucoup perçoivent leur attitude comme une tentative hypocrite et superficielle de se blanchir de toute responsabilité.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui se montre souvent vif et éloquent quand il s’agit de commenter toutes sortes de problèmes, a seulement publié un court communiqué sur le site de la présidence dans lequel il condamnait l’attaque et appelait à l’unité.

Le Premier ministre Ahmet Davutoğlu a répété que le gouvernement avait pris toutes les mesures nécessaires pour traîner les responsables des précédents attentats devant la justice, et qu’il ne ménagerait aucun effort pour faire juger également ceux qui se cachent dernière cette nouvelle attaque.

Beaucoup ont été irrités par les propos du ministre de l’Intérieur par intérim, Selami Altınok, selon lesquels il n’y avait pas eu de manquement à la sécurité de la part de l’État, et par son refus de reconnaître que le gouvernement n’avait pas réussi à prendre les mesures de sécurité adéquates pour une manifestation qui était organisée en toute légalité.

« Chacune de ses paroles est un mensonge. C’est du fascisme pur et simple. Il n’y a aucune différence avec le fascisme d’Hitler ou de Mussolini », a affirmé Münevver İltemur.

Yucel, 35 ans, qui vit à Ankara, était également présent au rassemblement, et il lui était difficile de retenir ses larmes en nous parlant.

« J’ai perdu un ami proche. Tout ce que je ressens, c’est une violente colère. Ils s’en sont pris à l’humanité, à la paix et à la démocratie », a-t-il déclaré à MEE.

« Les mesures de sécurité devaient être invisibles ce jour-là, car je n’ai rien vu du tout », a-t-il ajouté.

Des répercussions politiques

Tandis que les représentants de l’État pointent du doigt le groupe État islamique comme étant le plus probable responsable de l’attentat, Selahattin Demirtaş, coprésident du Parti démocratique des peuples (HDP), un parti pro-Kurdes, n’a pas mâché ses mots et a directement accusé l’État.

Il aurait déclaré que quel que soit le responsable principal de cet attentat, ce dernier ne serait jamais parvenu à ses fins sans le soutien de l’État.

Can Dündar, rédacteur en chef du journal d’opposition résolument laïque Cumhuriyet, s’est interrogé dans un éditorial : « Comment se fait-il que les militants de Daech, qui ont du sang sur les mains, aient été armés, entraînés et mis sur un piédestal des années durant ? »

Dans les médias pro-gouvernementaux, la plupart des commentateurs semblent penser que cette attaque est le fait d’une sorte de complot étranger.

L’un d’eux, Etyen Mahçupyan, ancien conseiller du Premier ministre, a écrit ces mots dans le journal pro-gouvernemental Daily Sabah : « Le but pourrait être de priver la Turquie de son efficacité au Moyen-Orient en l’obligeant à se concentrer sur ses problèmes nationaux. Il est évident que certains veulent contraindre la Turquie à endosser un rôle passif dans l’avenir proche.

« De plus, on peut avancer l’idée que quelqu’un recherche également certaines conséquences en matière de politique intérieure, comme le fait de pousser le peuple au désespoir, de susciter un manque de confiance envers l’État, de paralyser le gouvernement, de créer un problème d’autorité et de rendre impossible la paix à l’intérieur du pays. »

Un climat de terreur

Le sentiment général au sein du camp pro-gouvernemental est que l’implication du gouvernement dans un tel attentat serait préjudiciable pour ses espoirs électoraux, tandis que beaucoup dans l’opposition pensent que le gouvernement est bien décidé à créer un climat de terreur depuis qu’il a échoué lors des élections du 7 juin, alors qu’il souhaitait conserver la majorité.

Ce climat de terreur, selon des membres proéminents de l’opposition, a pour objectif de prouver que le pays devra affronter une période d’instabilité prolongée si le Parti pour la justice et le développement (AKP), actuellement au pouvoir, ne parvient pas à gouverner seul suite aux nouvelles élections du 1er novembre.

Lors de son entretien avec MEE le 12 octobre, Burhan Kayatürk, membre du Parti pour la justice et le développement qui représente la province occidentale de Van au Parlement, a déclaré que le simple fait d’entretenir le doute sur la participation du gouvernement ou de ses dirigeants dans les attentats était ridicule.

« Pourquoi le gouvernement s’impliquerait-il dans des actes qui sont à l’opposé de ses propres intérêts et qui le feraient dégringoler dans les sondages ? Notre peuple est bien instruit et bien informé, et il sera lucide vis-à-vis de ces accusations fallacieuses. »

Nuray Mert, politologue connue pour ses critiques véhémentes à l’encontre du gouvernement, a déclaré à MEE que la Turquie était devenue un pays d’esprits troublés où tout le monde s’attaque mutuellement sur la base de notions vagues et abstraites.

« La bonne manière, ce serait de tenir le gouvernement pour responsable de n’avoir pas réussi à assurer la sécurité de ses citoyens. C’est un recours et une question légitimes puisque le gouvernement contrôle tous les mécanismes étatiques depuis treize ans et qu’il a transformé le pays en une sorte d’État policier géré par un appareil de renseignement. »

La réponse de la police

La colère du peuple est aussi nourrie par le fait que la police empêche la population de défiler pour commémorer les morts survenues lors des différents événements qui ont eu lieu dans le pays. On a rapporté que des arrestations ainsi que des affrontements entre la police et des citoyens avaient eu lieu à Istanbul suite à l’appel des syndicats à participer à une marche dans le centre de la ville pour condamner l’attaque d’Ankara.

« Notre gouvernement se préoccupe de ses propres intérêts, pas de ceux du peuple. Il veut répandre la guerre pour mieux s’agripper au pouvoir », a déclaré Münevver İltemur.

« Maintenant, nous allons pleurer ceux que nous avons perdus, mais nous ne laisserons jamais personne anéantir notre espoir de paix, ne serait-ce que pour honorer leur souvenir. »

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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