Des palmiers tunisiens au plat du Ramadan : le voyage d’une datte
Si vous vivez en Europe, il est très probable que les dattes que vous achetez pour le Ramadan viennent de Tunisie, le plus gros exportateur au monde en termes de valeur.
Pourtant, au sud du pays, 40 000 hectares de palmeraie sont menacées. Le changement climatique et la surexploitation des nappes phréatiques ont compromis les ressources en eau de cette région aride. De plus, l’utilisation d'engrais chimiques pollue le sol.
Par conséquent, les palmiers produisaient moins de dattes et de moins bonne qualité qu’autrefois. Pour relever ces défis, les agriculteurs d’Hazoua, village au sud-est de la Tunisie, se sont mobilisés pour monter une coopérative. Ensemble, ils ont développé des techniques agricoles et d'irrigation innovantes, respectueuses de l'environnement.
En 1963, un forage a été effectué à Hazoua pour faire d’une partie du village une oasis de 1 000 hectares. Un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, pour la plupart des 4 700 habitants, les dattes sont la principale source de revenus. « Il n’y a rien à Hazoua, sauf des dattes », déplore un jeune ingénieur agronome à MEE.
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La Deglet Nour est la variété la plus largement produite à Hazoua, comme dans toute l'Afrique du Nord. Ces dattes délicieuses pendent en grappes entre les frondes de palmiers de 20 mètres de haut ; de septembre à décembre, elles sont cueillies à la main par les « gatta », comme on appelle ici les travailleurs saisonniers.
Une fois récoltées, ces dattes sont vendues à Beni Ghreb. Fondée en 2002, cette société est devenue en 2004 l'un des premiers producteurs au monde du commerce équitable de la datte. « Notre objectif était de rassembler les producteurs et de créer une chaîne d’approvisionnement complète et durable, afin d’exporter nos dattes sur les marchés haut de gamme », explique Saïd Maatoug, directeur de la coopérative. « Nos producteurs peuvent vendre leurs dattes pour plus de deux dinars le kilo (un dollar), alors que certains agriculteurs dans d'autres villes sont obligés de vendre pour un dinar (0,47 dollar), voire moins », ajoute Saïd Maatoug.
Pour compenser la mauvaise qualité du sol et le manque de ressources en eau, les agriculteurs se sont tournés vers la culture biodynamique. Pratiquée à Hazoua depuis le début des années 1990, cette méthode n’utilise pas de produits chimiques et accorde la plus grande importance à l’entretien d’une terre saine. Ils expérimentent aussi de nouvelles techniques d'irrigation qui permettent d'économiser jusqu'à 40 % d'eau par rapport aux méthodes habituelles.
À Hazoua, les agriculteurs pratiquent le système agricole traditionnel à « trois étages » : au sol, cultures fourragères et légumes (luzerne, oignons et poivrons) ; au deuxième niveau, arbres fruitiers (citronniers, grenadiers et figuiers) et au troisième niveau, les palmiers dattiers.
Chaque étage ombrage partiellement le sol en dessous de lui, créant ainsi un microclimat. Cela permet des cultures qui ne pourraient prospérer sans cette technique dans la région désertique ; et donne également aux agriculteurs la possibilité de diversifier leurs productions et ce tout au long de l’année, pas seulement pendant la saison de la datte.
Après deux mois d’une récolte pénible, les saisonniers agricoles perçoivent leur salaire. Les mieux payés sont les « grimpeurs » (40 dinars par jour, 19 dollars), alors que les travailleurs au sol reçoivent 20 dinars (9,5 dollars) par jour. « Le commerce équitable n’a aucun impact négatif sur mon salaire. Je suis bien payé de toute façon », affirme Slim, grimpeur de 27 ans, qui parvient à peine à joindre les deux bouts en dehors de la saison de la datte. « Pendant le reste de l'année, je me loue comme ouvrier agricole, mais c’est une source de revenu insuffisante. Vous comprenez pourquoi la saison de la datte est si importante pour moi. »
En effet, la certification « commerce équitable » garantit un revenu décent aux producteurs, mais ne leur impose aucune obligation de payer des revenus décents à leurs employés.
Après la récolte, les dattes sont apportées à un entrepôt, où un groupe de femmes élimine celles qui sont abimées. Ces ouvrières peuvent gagner jusqu’à 12 dinars (5,7 dollars) par jour, et elles travaillent dans une atmosphère détendue. Aicha est venue travailler ici avec sa fillette de six ans, tranquillement assise à côté d'elle. « Vous voyez, on trouve surtout de dames âgées ici, car elles ont le temps. Elles n’ont pas à s’occuper d’enfants ou d’une maison. Je viens ici quand je peux. C’est un revenu supplémentaire pour ma famille », indique-t-elle.
Les dattes sont ensuite triées une seconde fois dans une usine d'emballage, où elles sont calibrées, lavées et congelées pendant 24 heures pour éliminer toute présence d’insecte. Pour libérer pleinement leur saveur, les dattes doivent être suffisamment humides – mais pas trop, si l’on veut qu’elles restent fraiches jusqu'au jour de la vente. Pendant la saison de la datte, Beni Ghreb emploie jusqu’à 440 personnes et fournit un moyen de subsistance à un tiers des familles d’Hazoua.
« Nous ne comptons pas sur la quantité, mais sur la qualité. Et ça fonctionne. La demande en dattes biologiques est six fois plus élevée que ce que nous pouvons fournir », explique Noureddine Saïd, ingénieur principal de l'entreprise. Nous avons exporté 990 tonnes de dattes l’an dernier. On sait ainsi comment produire de la bonne qualité, créer de l'emploi, dans le respect de l'environnement et des employés, tout en restant rentable », ajoute Nourredine Said. Il espère que l’évolution d’Hazoua ouvrira la voie à un modèle alternatif de développement dans la région et à d'autres exemples de production de dattes conformes aux règles du commerce équitable.
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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