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Égypte : besoin de lait maternisé ? « Il vous faudra passer un examen des seins d’abord »

De l’examen des seins pour les mères décrété par le ministère égyptien de la Santé aux tests de virginité pour les manifestantes, les Égyptiennes subissent ce qui relève souvent de l’oppression sexuelle approuvée par l’État
En Égypte, les mères sont descendues dans les rues pour protester contre la pénurie de lait subventionné (contributeur de MEE)

LE CAIRE – Um Ahmed a eu l’impression d’avoir été bénie de Dieu quand, peu de temps après avoir perdu son fils de dix ans dans un accident de voiture, elle a donné naissance à un autre enfant.

Aussi heureuse qu’elle puisse être à élever son deuxième enfant, elle a toujours peur pour la santé et le bien-être de son petit dernier, aujourd’hui âgé de huit mois.

Habitant à Fayoum – une ville à environ 100 km au sud-ouest du Caire – Um Ahmed ne parvient pas à trouver le lait maternisé subventionné dont elle a besoin et chaque jour est une lutte. « Je suis diabétique », explique-t-elle, « et mon mari travaille au jour le jour. Un jour, il a du travail et pas le suivant. »

Um Ahmed et son mari tentent désespérément de trouver du lait subventionné, demandant à tous ceux qu’ils connaissent d’en acheter pour eux s’ils arrivent à en trouver.

« J’ai dû acheter la marque chère, mais même celui-là est parfois en rupture de stock », dit-elle. Le lait non subventionné coûte 65 livres égyptiennes (6,50 €) contre 17 livres égyptiennes (1,70 €) pour les paquets subventionnés, une différence significative pour les familles à faible revenu.

« Quand je ne peux pas en trouver, je dois faire bouillir du riz et le nourrir avec. Parfois, je lui donne du yaourt », explique-t-elle à Middle East Eye. « Que pouvons-nous faire d’autre ? »

Les femmes et leurs nourrissons à travers l’Égypte subissent les conséquences de cette pénurie nationale de lait infantile subventionné.

Les mères descendent dans les rues en signe de protestation

Plus tôt ce mois-ci, des dizaines de mères mécontentes ont manifesté devant le siège de l’entreprise Egyptian Pharmaceutical Trading Company au Caire. Bon nombre d’entre elles, comme Um Ahmed, venaient de gouvernorats éloignés du Caire et avaient fait le voyage dans l’espoir de trouver enfin du lait pour leurs bébés. Certaines familles font le déplacement chaque semaine avec un succès mitigé.

En réaction aux manifestations, l’armée a rapidement annoncé qu’elle fournirait du lait à la place des entreprises qui le fournissaient, indiquant que les sociétés pharmaceutiques « monopolisent » le marché. Le lait ne sera disponible que dans les magasins affiliés au gouvernement et coûtera 30 livres égyptiennes (3 €).

https://www.youtube.com/watch?v=5wtbEovEfII

L’armée a également annoncé que le lait sera en magasin d’ici la mi-septembre, une promesse qui a soulevé des questions quant à la raison pour laquelle l’armée s’implique économiquement dans les affaires de lait maternisé en premier lieu.

Examen mammaire

Pour sa part, le ministère de la Santé a indiqué que les femmes qui souhaitent acheter du lait pour nourrissons devront être examinées au préalable afin d’en établir la « nécessité ». Ces femmes devront se faire examiner la poitrine par des médecins et devront obtenir une confirmation écrite de l’équipe médicale afin d’être autorisées à acheter du lait subventionné.

Um Ahmed, comme beaucoup d’autres, est irritée par cette condition qui, dit-elle, est « injuste et inéquitable ».

« Il se peut qu’une femme produise du lait, mais en quantité insuffisante. Ou elle pourrait être physiquement capable d’allaiter, mais doit travailler et n’en a pas le temps. C’est injuste », insiste-t-elle.

Rasha Hassan, mère d’un nourrisson de trois mois, critique également les autorités et est irritée par leurs commentaires sexistes. « Le ministre de la Santé déclare que les femmes devraient allaiter. Bien, ce n’est pas un problème, mais dans ce cas-là, il nous faudrait six mois de congé maternité au lieu de trois. »

Bien que Rasha Hassan n’ait pas nécessairement besoin de lait subventionné, la pénurie l’inquiète également. La dernière fois qu’elle a trouvé du lait remonte à deux semaines et son congé maternité se termine bientôt.

Le dernier espoir de Rasha est de trouver quelqu’un revenant de l’étranger pour rapporter du lait, soit cela ou elle espère que le lait réapparaîtra bientôt sur les marchés.

« C’est un très gros problème pour les femmes qui travaillent », déclare-t-elle à MEE. « Je viens de parler avec mon mari ce que nous ferons quand je reprendrai le travail. »

« Pour l’instant j’allaite partout où je suis, dans les transports, dans les clubs de sport… partout », explique-t-elle.

Même pour les femmes qui n’occupent pas d'emplois à faible revenu, la situation reste difficile et « il n’y a pas de garderies au travail ».

« La moitié des Égyptiennes travaillent et la moitié d’entre elles sont les principaux soutiens de leur famille », estime Rasha Hassan, qui est aussi sociologue. « Veulent-ils que nous n’ayons pas d’enfants du tout ou quoi ? »


Dans une vidéo pour Egypt Daily News, un père présent lors d’une récente manifestation explique pourquoi il est si contrarié. « J’ai trois bébés. Je viens ici chaque semaine pour obtenir du lait car aucune femme sur terre ne peut allaiter trois bébés à la fois », mais une fois au magasin, on lui dit qu’il n’y a pas de lait. « Que faisons-nous avec nos bébés ? Avec quoi devons-nous les nourrir ? » demande-t-il, frustré.

2017, « l’année de la femme »

Le Conseil national égyptien pour les femmes appelle le président Abdel Fattah el-Sissi à faire de 2017 « l’année de la femme », après avoir fait de 2016 « l’année de la jeunesse ». Les utilisateurs des réseaux sociaux plaisantent sur le fait que cela ne peut être qu’un présage.

« L’État auquel nous faisons face pratique une sorte de féminisme d’État. En apparence, il affirme vouloir protéger les femmes. Il a par exemple des policières luttant contre le harcèlement sexuel dans les rues », explique Dalia Abdel Hamid, directrice du programme de l’égalité des genres et des droits des femmes à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). « Pourtant, la situation sur le terrain est différente », poursuit-elle.

« Il s’agit d’une défaite pour la révolution, un moment de totale militarisation de la vie publique, et ainsi il y a peu de possibilité que la vulgarité qu’on voyait publiquement en 2012 [avec les tests de virginité de l’armée], se produise aujourd’hui », estime Dalia Abdel Hamid, ajoutant que ce type de violence physique est plus susceptible de se produire derrière les portes fermées des commissariats et des prisons.

Néanmoins, le contrôle public sur les femmes se produit via d’autres moyens, à la fois dans la société et au niveau de l’État, et les responsables égyptiens ont souvent fait la une avec leur rhétorique et leur symbolisme sexués.

Plus tôt ce mois-ci, une sculpture représentant une femme svelte – censée symboliser l’Égypte – enlacée par un soldat égyptien se tenant derrière elle a été vivement critiquée par les habitants de Sohag, où la statue a été construite. Selon eux, il s’agissait d’une manifestation injurieuse de harcèlement sexuel.

« La statue de Sohag », déclare Dalia Abdel Hamid, « s’est véritablement surpassée en termes de connotations sexuelles. On avait l’impression que le soldat pelotait l’Égypte. »

La statue est actuellement « modifiée » après la vive controverse avant son dévoilement officiel (Twitter)

Les représentations de l’Égypte en tant que femme ont un long passif lié à l’imagerie anticoloniale, explique Dalia Abdel Hamid. Le colonialisme a été décrit comme le viol d’une femme par un homme. Cette notion a ainsi été également reliée au viol des Égyptiennes par des soldats anglais et l’idée était : « Ils violent les femmes, tout comme ils violent la nation. »

Comme cette imagerie sociale s’est alignée avec le discours nationaliste contemporain, l’incarnation de l’Égypte en tant que femme s’éloigne de la dimension maternelle pour des représentations plus sexuelles destinées à glorifier l’armée. Abdel Hamid donne des exemples de caricatures de Mustafa Hussein montrant Sissi épousant l’Égypte ou encore Sissi en surhomme sauvant l’Égypte – deux extensions de la rhétorique de l’État selon laquelle Sissi « a sauvé l’Égypte ».

Contrôler le corps des femmes

Autre incident ayant suscité l’indignation : Elhamy Agina, membre du parlement, a déclaré que les Égyptiennes devaient subir des mutilations génitales féminines (MGF) parce que les hommes en Égypte sont « faibles sur le plan sexuel ».

« D’habitude, quand les parlementaires évoquent les MGF, ils disent : "Nous devons nous adresser à des gens de science et de religion". Ce qui s’est produit a été utile dans le sens où cela a montré à quel point cette rhétorique est problématique », dit Dalia Abdel Hamid.

Elle ajoute que, même sur les réseaux sociaux, les utilisateurs commentent les campagnes de sensibilisation sociale aux MGF en affirmant que si les femmes ne subissaient pas de MGF, elles seraient constamment excitées.

« Et ces commentaires sont révélateurs de la façon dont la société considère les femmes. »

Les pratiques et le symbolisme patriarcaux de l’État, ou encore les pratiques sociétales qui sont soutenues et entretenues par l’État, tournent tous autour du contrôle du corps des femmes, quel que soit leur âge.

Comme le dit Um Ahmed, l’espace d’expression des gens ne fait que se resserrer à mesure que les conditions empirent. « Il y a tellement de choses à dire, tellement de choses à écrire, mais vous connaissez les circonstances. On doit se taire un point c’est tout. »

« Je suis juste une mère débordée. Je n’ai pas d’éducation, mais je comprends, je suis au courant, je tiens à mes enfants… et j’ai peur. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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