« Ils ont utilisé un bébé comme appât pour nous tuer » : dernières heures de guerre à Syrte
SYRTE, Libye - La main de Mofth Ali a été blessée ce week-end. Il se considère toutefois chanceux : quatre de ses camarades de l’armée ont été tués dans un acte qui a démontré le désespoir de l’État islamique qui vit ses derniers jours dans la ville libyenne de Syrte.
Le soldat, 20 ans, raconte comment un groupe de soldats a été approché par une femme seule.
« Nous l’avons vue marcher vers nous avec un bébé dans les bras. Nous lui avons dit que nous l’aiderions à sortir, nous lui avons dit qu’elle devait nous donner le bébé. »
« Elle s’est approchée de nous, a tendu ses bras pour donner l’enfant à un soldat et puis s’est fait sauter. Quatre de nos hommes ont été tués et vingt blessés, dont moi. »
Il explique que les troupes libyennes ont demandé à toutes les femmes de la région d’écarter les bras et de montrer qu’elles ne sont pas armées.
« Quand elle nous a donné l’enfant, nous avons vu sa ceinture explosive sous la couverture qui le couvrait. Certains d’entre nous ont commencé à courir. J’ai perdu des camarades et des amis. »
« Nous avons été confrontés à des dizaines de voitures piégées, des snipers, des combattants mieux formés que nous. Le pire, ce sont les ceintures explosives. Quand je regarde maintenant ma main, je me sens chanceux – mais si je ferme les yeux, je vois cette scène et je pense à mes camarades morts. »
Le dilemme auquel ils sont confrontés est insoutenable.
« Pour nous, il est impossible de faire la distinction entre un civil et une femme. Donc, si je vois une femme devant moi avec un bébé dans les bras, que faire ? Est-ce que je tire ou pas ? »
Les combats se résument à une douzaine de maisons
Syrte était le dernier avant-poste du groupe État islamique (EI) en Libye.
Depuis le début du mois de mai, l’armée al-Bunyan al-Marsous – la force militaire sous le contrôle du Gouvernement d’union nationale (GNA) – combat pour reprendre cette ville côtière au prix de 600 morts et plus de 3 000 blessés, selon ses responsables. Le nombre de décès dans les rangs de l’EI a été estimé à environ 1 200 par les forces libyennes. Personne ne connaît le nombre de victimes civiles.
Après six mois de combats et plus de 400 frappes aériennes américaines visant les positions de l’EI, les dernières heures de combat ne se concentrent plus que sur une douzaine de maisons près de la mer dans le quartier d’al-Giza.
Ce qui reste du quartier n’est plus qu’un amas de décombres, jonchées de dizaines de cadavres.
« Ils voulaient utiliser le bébé comme appât pour nous tuer. Ils sacrifieraient la vie de l’enfant. Et nous avons dû laisser le bébé là-bas »
– Abdalh Ahmed, soldat libyen
Mohamed al Ghasri, porte-parole de l’opération, explique que la lenteur de l’avance était due à la présence de civils dans les maisons encore contrôlées par l’EI. Les femmes kamikazes représentaient une menace supplémentaire.
« Notre priorité est de sauver des civils », souligne-t-il, « mais nous ne savons pas combien d’entre eux sont encore là, ni combien de milices. »
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Abdalh Ahmed, un autre jeune soldat, se souvient : « Il y a quelques jours, nous avancions. Une femme et un enfant ont essayé de marcher vers nos positions, mais un sniper a tiré sur la femme, la tuant. »
« L’enfant est resté à côté de sa mère morte et nous ne pouvions rien faire. Nous ne pouvions pas le sauver, parce que le fait d’aller vers lui signifiait aller vers une mort certaine, devenir une cible pour le sniper. »
« Ils voulaient utiliser le bébé comme appât pour nous tuer. Ils sacrifieraient la vie de l’enfant. Et nous avons dû laisser le bébé là-bas. »
« Ces enfants seront marqués à jamais »
Et puis il y avait les fils et les filles des membres de l’EI. Ce week-end, des soldats libyens ont dégagé une dizaine d’enfants des décombres. Leurs pères étaient encore quelque part dans Syrte, en train de combattre.
Ali al-Zawhiri, spécialisé dans le déminage, raconte que la nuit après que les deux femmes se sont fait sauter, il a entendu les cris de femmes emprisonnées, suivies par des voix masculines.
« Les hommes de l’État islamique leur ont dit : “Taisez-vous ou nous vous tuerons.” Ils les retenaient en otages. Nous sommes si proches qu’on peut tout entendre, surtout la nuit. »
« Le plus terrible est qu’ils ont même menacé leurs propres femmes et leurs enfants. Ces gens sont censés être leur famille. »
« Ils n’avaient rien à boire ou à manger », poursuit Ali. « Il y a deux nuits, à l’aide de jumelles, j’ai vu un enfant, je lui ai jeté une bouteille d’eau et de jus de fruit, j’ai utilisé une torche pour lui montrer où ils étaient. Je voulais l’aider à s’échapper, mais il les a pris et est retourné à l’intérieur en criant : “J’ai peur, je ne peux pas m’échapper.” »
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« Le lendemain, nous avons pris cette maison et j’ai réussi à sauver l’enfant et à l’emmener à l’hôpital. Ça me rend fier, mais la vie de ces enfants sera marquée à jamais. »
Il évoque la façon dont les enfants sont devenus les premières victimes de la guerre. « J’ai vu des femmes, épouses de combattants de l’EI, sortir avec un bébé dans leurs bras, disant qu’elles avaient laissé derrière elles deux ou trois enfants. »
Des combattants au milieu des décombres
Tôt ce lundi, des soldats libyens ont trouvé dans les décombres les corps de quinze miliciens et affirment qu’une vingtaine d’entre eux se sont rendus.
Le même jour, quatre combattants de l’EI ont été tués. Tandis que les soldats libyens emportaient le corps de l’un d’eux, un autre combattant caché dans les décombres d’une maison est sorti en courant et s’est fait sauter. Des morceaux de son corps ont été projetés à plusieurs mètres dans les airs.
Ce sont les derniers actes désespérés de l’EI à Syrte : un groupe qui sait que la lutte est perdue, mais est toujours déterminé à tout faire pour rendre la vie aussi difficile que possible à ses ennemis, résistant à la faim et à la soif pour tuer ne serait-ce qu’un soldat de l’armée libyenne.
MEE a été témoin de la capture d’un combattant de l’EI, découvert par des soldats libyens alors qu’ils fouillaient les décombres à la recherche de femmes et d’enfants.
Son visage était marqué par la faim, tandis qu’autour de lui des soldats criaient et tiraient en l’air.
Quelques heures plus tard, il était couché au sol, mort.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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