Pour les jeunes Palestiniens, la politique des partis n’importe pas dans l’actuelle insurrection
BETHLÉEM, Cisjordanie – On peut déchiffrer les orientations politiques d’un quartier palestinien en lisant les tags sur les murs. Une calligraphie arabe où les lignes tourbillonnent et se terminent par une flèche bien aiguisée qui pointe vers la gauche figurant à l’extérieur de la maison d’Abdel Aziz l’identifie comme soutenant le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Cependant, comme beaucoup des jeunes Palestiniens qui sont descendus dans la rue au cours des deux dernières semaines rythmées par les nombreuses émeutes, son récent activisme politique est isolé de toute influence partisane.
Les émeutes qui ont éclaté dans l’ensemble des territoires palestiniens occupés sont survenues sans l’influence des partis politiques, a-t-il déclaré.
« Ici, presque tout le monde est membre d’un parti ou soutient tout au moins un parti palestinien, mais c’est quelque chose de bien distinct de ce qui se passe en ce moment », a expliqué Abdel Aziz. « En ce moment, on descend dans la rue pour protester contre l’occupation israélienne et réclamer le respect de nos droits ; pour ça, on n’a pas besoin de nos partis politiques, et personne ne parle des partis, c’est une intifada qui vient du peuple et de lui seul. »
Les troubles sont apparus dans la région il y a plus de deux mois lorsque les juifs de droite se sont vu accorder plus de temps pour leurs visites sur le site de la mosquée al-Aqsa, qui est vénéré dans le judaïsme comme étant le Mont du Temple, un lieu sacré. Les Palestiniens ont perçu cette décision comme le début d’un projet des autorités israéliennes visant à permettre les pratiques religieuses non-musulmanes sur ce site.
Cependant, les tensions ont augmenté jusqu’atteindre le point de rupture le 1er octobre après que des Palestiniens ont été soupçonnés d’avoir tué par balles deux colons israéliens dans la partie nord de la Cisjordanie occupée, suscitant ce soir-là des attaques de représailles menées par des colons contre des communautés palestiniennes.
Le 2 octobre, des émeutes ont éclaté dans toute la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et ont continué à prendre chaque jour un peu plus d’ampleur. Des assaillants palestiniens ont tué quatre Israéliens depuis le début du mois, tandis que les forces israéliennes ont tué plus de 24 Palestiniens.
Les affrontements quotidiens et les violences aggravées semblent s’intensifier à un rythme ininterrompu.
Les enfants d’Oslo
Abdel Aziz et ses camarades qui sont descendus dans la rue font partie de la génération que beaucoup appellent les « enfants d’Oslo », une génération de Palestiniens qui ont grandi au gré des promesses de négociations et des processus de paix et qui ne se souviennent que peu, voire pas du tout, des intifada passées.
Moustafa Barghouti, dirigeant du parti de centre gauche Initiative nationale palestinienne, a déclaré à Middle East Eye qu’il avait constaté un changement dans cette jeune génération.
« Cette génération se sent complètement privée de ses droits ; ces jeunes souffrent de la pauvreté, du chômage et d’un manque absolu d’opportunités », a-t-il expliqué à MEE. « Je pense que les gens dans la rue ont le sentiment d’être passés à une étape complètement différente. Après 22 ans de négociations complètement inutiles, ils prennent les choses en main. »
Les jeunes qui sont à l’origine des récents soulèvements dans toute la Cisjordanie, à Jérusalem-Est, à Gaza et à l’intérieur d’Israël, sont conscients des implications politiques de leurs actions, a ajouté Moustafa Barghouti. Cependant, en faisant fi du processus politique actuel, ils créent un nouveau processus, le leur.
« Ce qui ce passe avec les jeunes en ce moment, c’est qu’ils font pression sur les instances politiques pour éviter toute manœuvre de leur part visant à tuer cette intifada dans l’œuf », a-t-il précisé. « Et ils exercent une pression très sérieuse pour mettre fin à cette terrible division entre les partis palestiniens et la vie courante des Palestiniens. »
Moustafa Barghouti pense qu’au lieu de se ranger derrière les partis politiques, les jeunes palestiniens « font pression sur les dirigeants pour que ce soit eux qui s’en remettent à la jeunesse ».
L’Autorité palestinienne, dirigée par le Fatah dans la Cisjordanie occupée, a fait clairement savoir qu’elle n’était pas favorable à un soulèvement. Elle part plutôt du principe qu’à terme, ce sont les négociations et la diplomatie, avec l’aide de la communauté internationale, qui pourront mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens par Israël.
Le porte-parole des services de sécurité de l’Autorité palestinienne, Adnan Damiri, a déclaré à MEE que bien que l’Autorité palestinienne soutienne « le projet du peuple » de manifester contre les violations israéliennes sur le site de la mosquée al-Aqsa, elle s’opposait à une intifada.
« Nous faisons notre possible pour empêcher une intifada armée car c’est une voie que nous avons déjà explorée, et nous en avons payé le prix fort », a affirmé Adnan Damiri.
George Abueed, 25 ans, est un jeune activiste qui a le sentiment d’avoir perdu ses illusions au sujet de l’actuel gouvernement et des autres partis politiques, qui, selon lui, trempent tous dans la corruption et s’intéressent plus aux carrières personnelles de leurs membres qu’à mettre fin à l’occupation.
« Je ne pense pas qu’il y ait un seul parti qui cherche à apporter un changement au statu quo », a déclaré George Abueed. « Ils ont tous amélioré leur situation personnelle, surtout le Fatah, et la seule manière pour eux de maintenir leur propre situation consiste à maintenir en place le statu quo. »
George Abueed a participé de temps à autre aux affrontements qui ont fait rage dans son quartier pendant les dix derniers jours. Cependant, contrairement à la plupart des jeunes gens qui s’emparent des pierres dans les rues qui bordent sa maison, George Abueed ne croit pas que l’intensification récente des émeutes et des attaques soit le début d’une troisième intifada.
Il pense que les Palestiniens ne sont tout simplement pas prêts pour la prochaine intifada, étant donné que les récentes manifestations ont surgi « spontanément et sans organisation préalable, sans une stratégie ou un but définis ».
« Ce dont on a besoin en ce moment, c’est une instance dirigeante unie qui pourrait faire des projets et organiser sont travail politique sur le terrain, et qui pourrait faire pression, à l’aide de la désobéissance civile, pour obtenir l’auto-détermination et la libération du joug de l’occupation israélienne », a-t-il affirmé. « Malheureusement, nos actuels dirigeants n’ont rien à offrir à leur peuple. »
Sous l’impulsion de la jeunesse
Mohammed Breijiya, porte-parole du FPLP, a déclaré que son mouvement travaillait en vue de créer une sorte d’organisation de manifestants qui coordonne leur action.
« Nous essayons actuellement de créer un nouveau groupe de dirigeants issus de tous les partis qui pourraient permettre de poursuivre cette intifada », a expliqué Mohammed Breijiya à MEE. « Il faut que les nouveaux leaders proviennent des camps [de réfugiés], des villages et des villes, afin qu’ils soient représentatifs de toutes les communautés qui constituent la Palestine, et qu’on puisse rapidement constater des évolutions pendant cette intifada. »
Mohammed Breijiya admet que les manifestations sont menées par des jeunes qui n’ont que faire des manœuvres politiques. Par conséquent, il affirme qu’au lieu de chercher à avoir une sorte de contrôle sur les événements, le mouvement du FPLP cherche à écouter les manifestants et à suivre leurs initiatives.
« Ce qu’on observe aujourd’hui est le fait du peuple, non des partis », a déclaré Mohammed Breijyia. « Seul le peuple peut être à l’origine d’un tel soulèvement, et il faut que les partis l’écoutent. »
Le Hamas est peut-être celui qui s’est le plus exprimé jusqu’à présent, non seulement pour soutenir l’intifada mais aussi pour appeler le peuple à la mener.
Khaled Tafech, qui est l’un des représentants du Hamas au Conseil législatif palestinien, a déclaré à Middle East Eye que les partis qui tenteront de prendre le contrôle des manifestants échoueront.
« Ce sont des adolescents, ils ne sont pas exactement dans la ligne des partis politiques ; ce sont des gens normaux, des enfants, mais ils sont ceux qui combattent l’occupation, et ce combat est la seule chose qui compte pour eux », a affirmé Khaled Tafech. « Ils n’ont que faire des partis politiques. »
« Maintenant, si tout cela continue, les partis vont devoir se frayer un chemin pour rattraper les jeunes et pouvoir participer à la prochaine insurrection », a-t-il ajouté.
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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