RÉVÉLATION : Comment le président palestinien s’est fait un ennemi des Émirats arabes unis
Middle East Eye est en mesure de révéler que la dispute grandissante qui oppose depuis cinq ans les Émirats arabes unis (EAU) et le président palestinien Mahmoud Abbas est à l’origine de la récente décision de l’État du Golfe de geler des centaines de millions de dollars de l’Autorité palestinienne (AP).
Le chroniqueur libanais Jihad al-Khazen a publié une interview en juin avec un responsable du Golfe anonyme qui décrivait l’AP comme un « fatras d’échec et de corruption » et l’appelait à démissionner.
Une source proche de Khazen a confié à MEE sous couvert d’anonymat que ce responsable du Golfe était le prince héritier d’Abu Dhabi Mohammed ben Zayed al-Nahyane – une allégation également reprise par l’agence de presse palestinienne officielle WAFA.
Ben Zayed a déclaré à Khazen que les EAU avaient donné 500 millions de dollars à l’autorité chaque année pendant quatre ans et qu’il avait « personnellement arboré un insigne portant le keffieh palestinien comme symbole de solidarité ».
Cependant, ce financement a récemment été suspendu en raison d’une dispute grandissante entre Ben Zayed et Abbas, qui a vu l’ancien Premier ministre palestinien Salam Fayyad soumis à une enquête concernant des allégations de blanchiment d’argent par rapport à ses liens financiers avec les Émirats arabes unis.
En juin 2015, le procureur général palestinien, Abdul Ghani Oweiwi, a ordonné la confiscation d’un don de 700 000 dollars effectué par les Émirats Arabes Unis à Palestine Tomorrow for Social Development – une organisation de développement fondée par Fayyad et qui vise à réduire la pauvreté en Cisjordanie occupée.
Fayyad a été accusé de blanchir l’argent et d’utiliser les fonds émiratis à des fins politiques dans le cadre d’un coup d’État en douce visant à renverser la direction de l’AP.
Cependant, un mois après la confiscation du don, la Cour suprême palestinienne a ordonné qu’il soit restitué à l’organisation de l’ancien Premier ministre.
Malgré la restitution de l’argent, Ben Zayed n’a pas pardonné à Abbas et, selon Khazen, il exige des excuses publiques du président palestinien pour les allégations formulées contre Fayyad et les EAU.
« Croyez-vous que les Émirats arabes unis choisiraient de blanchir de l’argent en Palestine et que ce montant serait seulement de 700 000 dollars ? » a demandé le prince héritier à Khazen, lequel a précisé que le chef de file des EAU était « visiblement en colère ».
Ben Zayed a déclaré qu’Abu Dhabi avait donné 10 millions de dollars à l’organisation de Fayyad, qu’il a créée après avoir démissionné de ses fonctions de Premier ministre en juin 2013.
Le prince émirati a poursuivi en disant que l’AP « dans son ensemble doit démissionner, car elle n’inspire aucune confiance. »
L’origine du conflit entre Ben Zayed et Abbas est liée à Mohammed Dahlan, ancien responsable du Fatah exilé, qui a été expulsé du mouvement du président palestinien en juin 2011 après avoir été accusé à plusieurs reprises d’avoir assassiné le défunt dirigeant palestinien Yasser Arafat.
Après son expulsion, Dahlan a déménagé aux EAU où il travaille en tant que conseiller de Ben Zayed, avec lequel il a construit une étroite relation personnelle et professionnelle.
Une source proche de Dahlan a confié à MEE que le Palestinien avait impressionné Ben Zayed par son « intelligence et ses capacités » et aussi sa « bonne relation avec les Israéliens ».
Cependant, avant le départ de Dahlan pour les EAU, Ben Zayed avait tenté d’empêcher Abbas de l’expulser et avait exhorté le président palestinien à mettre fin à leurs divisions.
Dans un voyage à Abu Dhabi en 2011, Abbas a promis à Ben Zayed qu’il résoudrait le désaccord avec Dahlan et qu’il ne l’expulserait pas, a déclaré une source palestinienne à MEE.
Toutefois, lorsque Abbas est rentré en Cisjordanie, il est revenu sur sa parole et a renvoyé Dahlan du Fatah.
« [Ben Zayed] a réagi avec colère », a déclaré la source palestinienne. « Il a dit qu’Abbas n’était pas un homme, n’avait pas de dignité ou de respect et que c’était fini entre eux. Il a dit à Dahlan que les EAU étaient désormais son pays. »
Dans une tentative visant à éviter de se faire un ennemi puissant, Abbas a essayé d’intercéder auprès de Ben Zayed à travers son fils Yasser qu’il a envoyé à Abu Dhabi pour essayer de convaincre les Émiratis de ne pas donner refuge à Dahlan.
Ces tentatives se sont avérées vaines et Ben Zayed a dit à Yasser Abbas de rentrer chez lui et de transmettre un message à son père : « Écoute, la maison de Zayed est la maison de tous les Arabes. Va dire cela à ton père ».
Par la suite, Dahlan a rapidement fait d’Abu Dhabi son foyer et, au cours des cinq dernières années, il a été autorisé à accéder aux imposantes caisses émiraties, dont il s’est servi pour renforcer son influence chez lui dans les territoires palestiniens occupés.
Une source au sein du Hamas a rapporté à MEE que, en 2014 et 2015, Dahlan avait dépensé 25 millions de dollars à Gaza. L’argent, selon cette source, a été utilisé pour soutenir des familles ayant perdu des proches lors de l’offensive d’Israël sur Gaza en 2014 ainsi que pour financer des mariages collectifs.
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le Hamas permettrait à Dahlan – un adversaire de longue date du mouvement islamiste – d’opérer à Gaza, la source a répondu : « Il y a deux raisons à cela : la première est que nous sommes pauvres et la seconde est de provoquer Abbas. »
Abbas est en conflit ouvert avec le Hamas depuis 2007, après que ce dernier a vaincu le mouvement Fatah aux élections législatives de l’année précédente, ce qui conduit à des violences entre les deux groupes provoquant une scission politique qui est toujours d’actualité.
Dahlan a également dépensé un montant inconnu en Cisjordanie, principalement dans les camps de réfugiés, où il s’est bâti un soutien dans une tentative qui viserait à devenir le prochain président palestinien.
Une source proche de Dahlan a dit qu’il avait construit un système parallèle de direction du Fatah en Cisjordanie qui reflète la structure organisationnelle du mouvement.
Il préside ce « système dans le système » et supervise personnellement un conseil révolutionnaire composé de dix-huit personnes. Les sections locales basées dans les camps de réfugiés opèrent dans le cadre du conseil, élisant leurs propres dirigeants et possédant un budget fourni par Dahlan.
Cette structure est en cours d’élaboration en vue des projets de Dahlan consistant à finalement rentrer chez lui et prendre le pouvoir à Abbas, a indiqué la source.
« Il veut être président. Dahlan a dit : ‘’Je vais suivre, mais pas immédiatement’’. Il pense qu’il devrait y avoir un chef intérimaire qui lui remettra rapidement le pouvoir », a ajouté la source.
La capacité de Dahlan à dépenser de grosses sommes d’argent dans les communautés palestiniennes pauvres lui a permis de s’assurer un soutien public important, mais sa position de plus en plus puissante était loin d’être inévitable.
La source proche de Dahlan a rapporté que, lorsqu’il a été expulsé en 2011, il n’était pas en position de force, et que, en l’expulsant, Abbas avait rendu son ennemi plus fort que ce qu’il aurait pu devenir autrement.
« Dahlan était impuissant, c’était un lion blessé », a déclaré cette source. « Quand il a été expulsé [de Cisjordanie], il avait été marginalisé. »
Cependant, depuis 2011, Dahlan s’est transformé en l’un des plus grands hommes d’influence de la région, conseillant les EAU sur la façon de « gagner de l’argent et d’accroître leur influence ».
La puissance croissante de Dahlan a engendré un sentiment de paranoïa chez Abbas, qui voit désormais partout l’influence de son ennemi. Et partout où il voit Dahlan comploter, il croit également voir l’argent émirati.
Les accusations portées contre Fayyad ne sont guère surprenantes pour ceux qui savent que l’ancien Premier ministre palestinien est connu pour entretenir de bonnes relations avec Dahlan – bien que de multiples sources aient rapporté à MEE que Fayyad ne fait pas partie d’un quelconque prétendu complot contre l’AP.
« Mais Abbas pense que Fayyad est l’homme de Dahlan », a indiqué la source proche de Dahlan. « Ce problème avec les EAU est une affaire personnelle pour Abbas. Il considère toute personne ayant des liens avec les EAU comme son ennemi. »
Autre responsable palestinien de premier plan ayant eu des ennuis en raison de la prise de bec d’Abbas avec les EAU : l’ancien secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Abed Rabbo.
Rabbo a été limogé de son poste en juin 2015, accusé en privé par Abbas d’avoir disparu pendant un mois pour aller aux Émirats arabes unis, où le président est persuadé qu’il conspirait avec Ben Zayed contre l’AP.
« Mais Rabbo n’était pas aux Émirats arabes unis, il était sur une île grecque avec sa famille », a déclaré une source proche de l’ancien secrétaire général de l’OLP.
En juin, le Fatah a exigé que Ben Zayed adopte une « position sans équivoque » concernant l’article de Khazen, mais le dirigeant d’Abu Dhabi ne l’a pas commenté.
Dahlan, Fayyad et Rabbo ont tous trois refusé de commenter cet article. Plusieurs conseillers d’Abbas ont déclaré qu’ils ne commenteraient pas cette prise de bec, faisant valoir que tout ce qu’ils pourraient dire ne ferait « qu’empirer la situation ».
Cependant, un responsable du Fatah, Muwaffaq Matter, a récemment déclaré à Al Monitor que Dahlan cherchait à causer des problèmes entre l’AP et les Émirats arabes unis depuis son déménagement à Abu Dhabi.
« Nous ne sommes pas concernés par un différend avec un pays arabe », a déclaré le membre du Conseil révolutionnaire du Fatah.
« Néanmoins, Dahlan – qui travaille comme consultant en sécurité aux EAU, ce qui a contribué à renforcer ses liens avec l’Égypte – cherche, depuis qu’il a trouvé refuge aux EAU, à semer le trouble entre la direction de l’AP et les pays arabes, à savoir les EAU. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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