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L’accord entre les Émirats et Israël vient couronner des années de liens croissants et de visites secrètes

Négociations secrètes, visites inopinées et coopération en matière de sécurité… les Émiratis et les Israéliens étaient proches bien avant l’annonce de jeudi
L’ancienne ministre des Sports et de la Culture israélienne Miri Regev (à droite) et Mohammed ben Thaaloob al-Derai, président de la fédération émiratie de lutte, de judo et de kick boxing (à gauche), photographiés à Abou Dabi (AFP)

L’accord de normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis annoncé jeudi vient couronner des années de liens croissants – à la fois manifestes et secrets –, notamment des visites dans cet État du Golfe du Premier ministre Benyamin Netanyahou.

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Netanyahou a effectué au moins deux visites de plusieurs heures ces deux dernières années, accompagné par Meir Ben-Shabbat, directeur du Conseil de sécurité nationale d’Israël, qui a mené les négociations, a annoncé Yisrael Hayom vendredi.

Le Premier ministre israélien n’a jamais caché son désir de normaliser les relations avec les pays arabes du Golfe. La normalisation a toujours été un objectif majeur de la politique étrangère israélienne.

Mais l’annonce de jeudi est le point culminant de plusieurs années de négociations secrètes, de visites inopinées et de coopération en matière de sécurité entre les deux pays, dans un contexte géopolitique changeant qui a vu les EAU et Israël se rapprocher en raison de multiples intérêts communs.

« La menace iranienne »

Un premier point de ralliement entre les deux pays est la menace perçue d’un Iran enhardi et potentiellement doté du nucléaire il y a plus de dix ans. En 2009, peu après l’investiture de Barack Obama, les deux pays ont joint leurs forces pour faire pression sur Washington afin que ce dernier adopte une posture plus dure contre Téhéran.

Puis, après des années de discussions via des intermédiaires, Netanyahou et le ministre des Affaires étrangères des EAU Abdallah ben Zayed se sont rencontrés en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York en 2012, afin d’aborder leurs préoccupations communes concernant l’influence de l’Iran dans la région.

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Une avancée a été réalisée en 2015, lorsqu’Israël a ouvert un bureau au siège de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) à Abou Dabi, au moment même où l’Iran, les États-Unis et une ribambelle de pays européens tentaient de venir à bout de l’accord sur le nucléaire (JCPOA). 

Pensé au plus haut niveau du ministère des Affaires étrangères d’Israël, cela a servi de couverture à plusieurs visites secrètes d’importants politiciens et responsables israéliens de la sécurité, ainsi qu’à des liens commerciaux florissants.

En 2019, le ministre israélien des Affaires étrangers Yisrael Katz a effectué une visite impromptue à Abou Dabi, où il a abordé la menace iranienne avec de hauts responsables émiratis. Autre signe d’un réchauffement des relations, les deux parties ont également abordé le renforcement des liens économiques, le ministre des Affaires étrangères allant jusqu’à qualifier cette visite d’« avancée significative » dans les liens entre les deux pays.

La visite de Katz est survenue un an après la venue de Miri Regev, qui était alors ministre de la Culture et des Sports d’Israël, dans la capitale émiratie pour assister à une visite publique de la grande mosquée du cheikh Zayed.

Falcon Eye

Il y a dix ans, un tel rapprochement semblait improbable. L’assassinat d’un agent du Hamas à Dubaï par des agents présumés du Mossad en 2010 avait semblé ébranler les relations entre les deux pays.

Cependant, un rapprochement négocié par Obama deux ans plus tard a ouvert la voie à des liens étroits entre les services de renseignement et de l’armée. Puis ils se sont trouvés du même côté, s’opposant à l’éruption soudaine du Printemps arabe en 2011 et à l’essor de l’islam politique. 

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Ni les EAU ni Israël n’ont apprécié l’ascension au pouvoir des Frères musulmans en Égypte ; les Israéliens étaient persuadés qu’ils servaient les intérêts du Hamas à Gaza. En 2013, un coup d’État soutenu par les Émiratis a évincé le président Mohamed Morsi, appartenant aux Frères musulmans, et placé l’armée, plus favorable à Israël, au pouvoir.

Tandis que les Émiratis collectaient des renseignements et surveillaient les dissidents, des sociétés assez obscures telles que la firme émiratie DarkMatter et la société israélienne NSO Group ont engagé des experts en cybersécurité, notamment des vétérans de l’Unité 8200, la société secrète de renseignement israélienne.

Middle East Eye avait signalé en 2015 qu’une société de sécurité israélienne était chargée de sécuriser les installations gazières ainsi que de mettre en place un réseau de surveillance à l’échelle des Émirats baptisé Falcon Eye, conçu par un ancien agent des renseignements israéliens, Mati Kochavi.

« Chaque personne est surveillée depuis le moment où elle passe le seuil de sa maison jusqu’au moment où elle y rentre », avait indiqué une source proche du projet à MEE à cette époque. « Leur travail, leurs modèles sociaux et comportementaux sont enregistrés, analysés et archivés. » 

Des signes de rapprochement militaire ont été constatés en 2017, lorsqu’il a été signalé que les forces armées des deux pays avaient participé à un exercice militaire conjoint en Grèce.

Coronavirus

La pandémie de COVID-19 semble avoir accéléré la normalisation, offrant des occasions fertiles de coopération entre les deux pays.

En juin, Abou Dabi a envoyé deux avions transportant des fournitures médicales à l’intention des Palestiniens à Israël, les premiers vols directs connus entre les deux pays. Les Palestiniens ont refusé de recevoir ces deux chargements, protestant contre le fait de ne pas avoir été associés à l’effort de coordination pour acheminer cette aide.

Quelques jours plus tard, Netanyahou a annoncé un partenariat majeur pour lutter contre la pandémie de coronavirus, considéré comme une étape majeure en vue de la normalisation entre les deux pays. 

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Au même moment, Rafael Advanced Defense Systems et Israel Aerospace Industries (IAI) – deux des plus grands fabricants d’armes au monde – concluaient un accord avec la société émiratie Group 42 (G42) pour effectuer des recherches et développer des équipements et des solutions pour lutter contre le coronavirus. Celui-ci a été décrit comme une « collaboration historique née de la crise mondiale ».

Cet accord a été annoncé moins d’une semaine avant la date limite du 1er juillet fixée par le gouvernement israélien pour commencer le processus d’annexion de certaines régions de Cisjordanie occupée.

Une semaine plus tôt, le diplomate émirati Anwar Gargash déclarait que même si Israël annexait des régions de Cisjordanie en violation du droit international et contre les protestations de la Ligue arabe, il restait une marge de coopération avec son pays. 

« Nous pouvons parvenir à un stade où nous nous tournons vers un gouvernement israélien donné […] pour lui dire “nous ne sommes pas d’accord avec vous sur ce point. Nous ne pensons pas que c’est une bonne idée, mais en même temps, il y a des domaines tels que le COVID, la technologie et d’autres choses sur lesquelles nous pouvons travailler ensemble” », a déclaré Gargash selon le Jerusalem Post.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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