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« Un coup de poignard dans le dos » : les Palestiniens dénoncent l’accord de normalisation entre les Émirats et Israël

Les Palestiniens et leurs soutiens ont fustigé l’accord conclu par Abou Dabi avec Israël, qui a par ailleurs annoncé par la voix de son Premier ministre Benyamin Netanyahou que l’annulation du projet d’annexion censée être prévue par le pacte n’était pas garantie
Des Palestiniens piétinenent une pancarte affichant des photos du prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed, du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, du roi bahreïni Hamad al-Khalifa, du sultan Qaboos d’Oman, du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, du président américain Donald Trump et de son gendre et conseiller Jared Kushner, lors d’une manifestation dénonçant la conférence « De la paix à la prospérité » organisée par les États-Unis à Bahreïn, dans la ville de Gaza, le 24 juin 2019 (AFP)

L’Autorité palestinienne a dénoncé ce  jeudi dans un communiqué l’accord de normalisation  des relations entre Israël et les Emirats arabes unis (EAU) avec le soutien des États-Unis, le qualifiant de « trahison de Jérusalem, d’al-Aqsa et de la cause palestinienne », exigeant son retrait.

Cet accord, qui doit être signé dans trois semaines à Washington, ferait d’Abou Dabi la troisième capitale arabe à suivre cette voie depuis la création d’Israël.

« La direction [palestinienne] affirme que ni les EAU, ni aucune autre partie, n’ont le droit de parler au nom du peuple palestinien, ni ne permet à quiconque d’intervenir dans les affaires palestiniennes concernant leurs droits légitimes dans leur patrie. »

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L’Autorité palestinienne a rappelé son ambassadeur à Abou Dabi et appelé à une « réunion d’urgence » de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour dénoncer le projet.

La normalisation des relations entre Israël et des puissances du Golfe comme Bahreïn, l’Arabie saoudite et les Émirats est l’un des aspects du plan de l’administration Trump pour le Moyen-Orient, salué par les Israéliens mais étrillé par les Palestiniens.

Ce plan prévoit aussi l’annexion par Israël de la vallée du Jourdain et de la centaine de colonies juives en Cisjordanie, jugées illégales par le droit international. Jeudi soir, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a dit « reporter » ce projet sans toutefois y « renoncer ».

Le leadership palestinien « refuse cet échange entre une suspension de l’annexion illégale contre la normalisation des EAU qui se fait au dépens des Palestiniens », poursuit le communiqué, qualifiant l’accord israélo-émirati « d’agression contre les Palestiniens ».

Hanan Ashrawi, une haute responsable de l’Autorité palestinienne, qui gouverne la Cisjordanie, a déclaré qu’Israël avait ainsi été récompensé pour ses actions illégales dans les territoires palestiniens depuis 1967.

« Les EAU ont révélé au grand jour leurs relations secrètes/normalisation avec Israël. S’il vous plaît, ne nous rendez pas service. Nous ne sommes la feuille de vigne de personne ! », a-t-elle tweeté.

« Puissiez-vous ne jamais éprouver l’agonie de se faire voler son pays ; puissiez-vous ne jamais ressentir la douleur de vivre en captivité sous occupation ; puissiez-vous ne jamais assister à la démolition de votre maison ou au meurtre de vos proches. Puissiez-vous ne jamais être vendus par vos ‘‘copains’’ », a-t-elle ajouté.

Awni Almashni, un responsable du mouvement Fatah, du président palestinien Mahmoud Abbas, et activiste basé dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie, a déclaré à Middle East Eye que la paix dans la région ne pouvait être obtenue qu’en s’attaquant aux problèmes auxquels sont confrontés les Palestiniens.

« Les accords qu’Israël essaie de conclure avec les pays musulmans et arabes sont un moyen de contourner la question palestinienne et de l’éviter, mais tout plan de paix avec un pays arabe n’est qu’une illusion et ne résoudra pas le problème principal entre Israël et la Palestine », a-t-il prévenu.

« Israël a essayé dans le passé de construire la paix avec certains pays arabes, mais nous savons qu’il n’a accompli aucune sorte de paix dans la région »

- Awni Almashni, activiste du Fatah

« Israël a essayé dans le passé de construire la paix avec certains pays arabes, mais nous savons qu’il n’a accompli aucune sorte de paix dans la région. »

L’activiste note que l’annexion a été gelée, bien avant l’annonce de jeudi, et ce grâce au peuple palestinien et au rejet catégorique de la communauté internationale.

Selon lui, lier l’annexion à l’accord entre les EAU et Israël « est une tentative de présenter l’accord avec Israël comme un succès, ce qui n’est pas le cas ».

Le Hamas, le mouvement palestinien qui dirige la bande de Gaza assiégée par Israël, a qualifié l’accord israélo-émirati de « dangereux ».

« L’accord entre Israël et les Emirats arabes unis est une évolution dangereuse dans le rythme de la normalisation, et un coup traître aux sacrifices du peuple palestinien », a-t-il déclaré.

Pour les comités de résistance populaire basés à bande de Gaza, l’accord « révèle l’ampleur de la conspiration contre [le] peuple et [la] cause [palestinienne] ».

« Nous le considérons comme un coup de poignard perfide et empoisonné dans le dos de la nation et de son histoire », a ajouté le groupe.

Le Jihad islamique, un autre groupe de résistance opérant à partir de Gaza, a également condamné le pacte. « Quiconque ne soutient pas la Palestine avec une balle devrait avoir honte », a-t-il déclaré.

De son côté, l’Alliance nationale démocratique – également connue sous le nom de parti Balad – a déclaré que la décision « encourage[ait] Israël à poursuivre ses politiques existantes […] qui privent les Palestiniens de leurs droits historiques légitimes.

« Les EAU ont officiellement rejoint Israël contre la Palestine, et se sont placés dans le camp des ennemis du peuple palestinien. »

Une « stupidité stratégique d’Abou Dabi et de Tel Aviv »

Plusieurs pays de la région ont également condamné l’accord.

Ce vendredi, la Turquie a ainsi accusé les Émirats arabes unis de « trahir la cause palestinienne » en acceptant de le signer.

« Les Émirats arabes unis s’efforcent de présenter cela comme une sorte de sacrifice pour la Palestine, alors qu’ils trahissent la cause palestinienne pour servir leurs petits intérêts », a réagi dans un communiqué le ministère turc des Affaires étrangères.

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« L’histoire et la conscience des peuples de la région n’oublieront pas cette hypocrisie et ne la pardonneront jamais », a-t-il ajouté.

Ardent défenseur de la cause palestinienne, le président turc Recep Tayyip Erdoğan critique régulièrement les pays arabes qu’il accuse de ne pas adopter une attitude suffisamment ferme face à Israël.  

La vive réaction d’Ankara intervient aussi au moment où les relations entre la Turquie et les Émirats arabes unis, deux rivaux régionaux, sont tendues. Les deux pays s’opposent notamment en Libye, où ils soutiennent des camps opposés.

L’Iran a également fustigé l’accord, décrit comme une « stupidité stratégique d’Abou Dabi et de Tel Aviv qui renforcera sans aucun doute l’axe de résistance dans la région. Le peuple opprimé de Palestine et toutes les nations libres du monde ne pardonneront jamais la normalisation des relations avec l’occupant et le régime criminel d’Israël ainsi que la complicité des crimes du régime », a déclaré le ministère iranien dans un communiqué.

La Jordanie, qui a signé un accord de paix avec Israël en 1994, devenant le deuxième pays arabe après l’Egypte à le faire, n’a ni salué ni rejeté l’accord, jugeant que son avenir dépendrait des prochaines actions d’Israël et notamment du fait qu’il puisse pousser Israël à accepter un État palestinien sur la terre qu’il occupe depuis la guerre israélo-arabe de 1967.

« Si Israël l’a envisagé comme une incitation à mettre fin à l’occupation […] cela conduira la région vers une paix juste », a déclaré le ministre des Affaires étrangères Ayman Safadi dans un communiqué aux médias d’État.

Annulation ou simple report de l’annexion ?

Selon Abou Dabi, en échange de cet accord, Israël a accepté de « mettre fin à la poursuite de l’annexion des territoires palestiniens ».

« Lors d’un appel entre le président Trump et le Premier ministre Netanyahou, un accord a été trouvé pour mettre fin à toute annexion supplémentaire », a affirmé le prince héritier d’Abou Dabi, cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane sur son compte Twitter.

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Mais le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ne l’a pas confirmé, évoquant un simple « report ».

L’annexion de pans de ce territoire palestinien occupé est « reportée » mais Israël n’y a « pas renoncé », a affirmé Netanyahou. « J’ai apporté la paix, je réaliserai l’annexion », a-t-il même proclamé.

« La formulation a été choisie avec soin par les différentes parties. ‘’Pause temporaire’’, ce n’est pas écarté définitivement », a avancé pour sa part l’ambassadeur américain en Israël, David Friedman.

Malgré cela, l’accord a été salué par une grande partie de la communauté internationale.

La France a ainsi jugé que « la décision, prise dans ce cadre par les autorités israéliennes, de suspendre l’annexion de territoires palestiniens [était] une étape positive, qui [devait] devenir une mesure définitive », selon le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian.

Pour les Nations unies, cet accord pourrait créer « une occasion pour les dirigeants israéliens et palestiniens de reprendre des négociations substantielles, débouchant sur une solution à deux États conformément aux résolutions onusiennes en la matière », a déclaré le secrétaire général de l’organisation, António Guterres.

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