Al-Farabi, le célèbre philosophe et musicologue musulman
Si les origines d’Abou Nasr al-Farabi sont méconnues, de nombreux historiens pensent qu’il est né quelque part en Asie centrale vers 878 et qu’il était probablement d’origine persane.
Connu sous le nom d’Alpharabius par les érudits médiévaux de langue latine, Farabi est un érudit musulman qui vécut au début de ce qu’on appelle l’« âge d’or de l’islam ».
L’expression fait référence à la période allant de la fin du IXe siècle au milieu du XIIIe, au cours de laquelle les érudits musulmans, travaillant principalement en langue arabe, accomplirent de grands progrès en sciences, philosophie et mathématiques, entre autres.
Si Farabi contribua de manière significative à ces domaines d’étude, son travail le plus remarquable concerne la philosophie aristotélicienne.
À l’image d’autres intellectuels musulmans de cette époque, l’influence d’al-Farabi réside non seulement dans ses idées originales, mais également dans le fait qu’il contribua à préserver le savoir grec antique, que la conquête islamique du Levant au VIIe siècle avait rendu accessible au monde musulman.
En particulier, Farabi et ses pairs rendirent les œuvres des philosophes grecs plus accessibles grâce à leurs commentaires et explications.
Qui était al-Farabi ?
L’érudit musulman passa son enfance à Damas sous le règne des califes abbassides, auxquels il offrit plus tard ses services.
N’ayant pas écrit son autobiographie, ses idées sont davantage connues que l’homme lui-même.
Néanmoins, son nom suggère une origine persane. Il vécut à une époque où les officiers non arabes pouvaient accéder à des grades supérieurs au sein des armées musulmanes. De nombreux historiens pensent que son père était un officier militaire d’origine persane.
Certains experts supposent que Farabi vit le jour dans ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan, tandis que d’autres estiment que le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan sont des candidats plus probables.
Des sources secondaires décrivent al-Farabi comme un homme introverti qui passait le plus clair de son temps à étudier, dans la capitale abbasside Bagdad.
Certaines sources suggèrent qu’il fut influencé par la tradition soufie de l’islam et qu’il séjourna dans la ville de Boukhara (dans l’actuel Ouzbékistan), centre majeur d’apprentissage islamique à l’époque.
Sa carrière fut prolifique : Farabi travailla comme juriste et universitaire, produisant des ouvrages sur la logique, la métaphysique, l’éthique, la politique, la musique et la médecine, entre autres.
Inspiration grecque
Farabi est surtout connu pour ses commentaires des œuvres d’Aristote et de Platon, qu’il publia dans un recueil dédié aux deux philosophes grecs. Le livre comprend des résumés et des interprétations de leurs travaux et aborde des sujets tels que les origines de la philosophie.
Au sujet de la logique (mantiq en arabe), le philosophe musulman affirme que la notion provient du concept de parole. Les philosophes de l’Antiquité utilisaient un discours intérieur pour articuler des concepts dépourvus de forme physique.
Dans son livre De l’obtention du bonheur, Farabi écrit que le but ultime de la logique est d’atteindre le bonheur parce que tel est le but de la vie et la raison principale de l’existence humaine. En conséquence, tout ce qui empêche une personne d’atteindre le bonheur est mauvais.
La poursuite du bonheur est composée de quatre vertus : théorique (savoir ce qui est vrai et bien), délibérative (savoir comment atteindre ce qui est bien), morale (désirer le bien) et pratique (se conduire de manière à atteindre le bien).
Son travail fut également influencé par la théologie islamique. Il faisait notamment la distinction entre le bonheur terrestre et celui de l’au-delà, vers lequel les musulmans sont censés tendre.
Lorsqu’il décrit l’âme, Farabi combine religion et science. Il souscrit à l’idée de Platon selon laquelle l’âme humaine est composée de trois parties principales – appétitive (nos désirs), ardente (nos émotions) et rationnelle (notre raison) – qui devraient toutes œuvrer en harmonie pour nous permettre d’être le meilleur de nous-mêmes.
Le meilleur exemple de cette harmonie est selon lui le prophète Mohammed, que les musulmans considèrent comme l’idéal humain.
Tous les autres êtres humains, selon Farabi, peuvent évoluer vers cet idéal mais sans être intrinsèquement en harmonie.
Autre influence grecque dans la pensée d’al-Farabi : la communauté idéale de Platon telle que décrite dans La République.
Interagir avec d’autres êtres humains fait partie de la poursuite du bonheur selon al-Farabi, qui décrit sa propre société idéale dans un ouvrage intitulé Opinions des habitants de la ville vertueuse.
Dans cette vision de l’État idéal, le monde est composé de nations, elles-mêmes constituées de cités-États qui soutiennent un mélange de vertus platoniciennes et islamiques, telles que la piété, la modération, l’unité et la justice.
Une telle communauté contraste avec les villes défectueuses, dans lesquelles les citoyens ne recherchent pas le savoir mais la richesse, le pouvoir et le plaisir.
Farabi condamne ces sociétés pour leur rejet de Dieu, de la moralité et de l’idée de l’au-delà.
Dans son modèle, les dirigeants des sociétés vertueuses sont les héritiers des prophètes et sont chargés d’assurer le bonheur du groupe.
Sur la musique
L’une des contributions les plus connues d’al-Farabi est son livre Kitab al-Musiqa al-Kabir (Le Grand Livre de la musique).
Ce traité musical est l’un des plus complets produits dans le monde islamique. Il traite des éléments de la composition musicale et du rôle des instruments, ainsi que de la philosophie, de la théorie et de la pratique de la musique.
Farabi fut l’un des premiers musicologues à étudier la musique du peuple turcique et l’un des premiers à systématiser l’étude de la musique par le biais d’un système de notations et de règles communes servant à écrire les compositions et les rythmes.
Linguiste et logicien, l’érudit voyait des similitudes entre la structure de la musique et celles de la poésie et de la logique.
D’après lui, tout comme la poésie est composée d’un groupement fini de lettres sous la forme d’un alphabet, la musique est également composée d’une palette finie de sons. Le concept de ce catalogue de sons est déterminé par la nature.
Selon al-Farabi, la musique d’un peuple particulier permet d’en savoir davantage sur ce peuple, car sa nature et ses caractéristiques ont un impact sur ses goûts musicaux.
Ces idées, tout comme le reste de son œuvre, inspireront les érudits musulmans et occidentaux pour les siècles à venir, après sa mort à l’âge de 80 ans à Damas.
Aujourd’hui, des timbres-poste sont émis en son hommage dans certaines parties du monde musulman et une ceinture d’astéroïdes porte son nom.
Les autorités du Kazakhstan, l’un des pays où il pourrait avoir vu le jour, ont également construit une statue du polymathe dans la capitale, Noursoultan.
Traduit de l’anglais (original).
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