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En Algérie, la mort de Khaled Nezzar éloigne tout procès autour des années de guerre civile

Décédé le 29 décembre dernier, l’ancien ministre algérien de la Défense Khaled Nezzar a eu droit, le lendemain, à des funérailles officielles, au grand désarroi de ses adversaires qui voulaient le juger
L’ancien chef d’état-major de l’armée et ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar s’exprime lors d’une conférence de presse à Alger, le 9 janvier 2016 (Ryad Kramdi/AFP)
Par Ali Boukhlef à ALGER, Algérie

Rarement la mort d’un homme public a-t-elle suscité autant de polémiques que le décès de Khaled Nezzar. L’ancien chef d’état-major de l’armée algérienne, disparu vendredi 29 décembre à l’âge de 86 ans à Alger, devenu ministre de la Défense de 1990 à 1993, est le principal artisan de l’arrêt du processus électoral de décembre 1991-janvier 1992.

Cette année-là, il est à la tête d’un groupe de militaires qui ont poussé le président d’alors, Chadli Bendjedid, à remettre sa démission, ouvrant la voie à l’annulation du deuxième tour des élections législatives gagnées par le Front islamique du salut (FIS, parti islamiste radical aujourd’hui dissout).

« Personne, parmi les politiques, ne voulaient assumer ses responsabilités. Je l’ai fait », expliquera-t-il plus tard. Parce qu’avant d’intervenir par la force, l’armée avait d’abord senti la situation échapper à tout contrôle depuis que des militants islamistes occupaient les places publiques et s’adonnaient à des démonstrations de force dans les rues.

« Pour moi, le dossier des disparus n’est pas mort avec Nezzar »

-  Nacera Dutour, présidente du collectif des associations de disparus

Des actes de violence avaient commencé bien avant les élections. Mais l’historiographie officielle considère que l’arrêt du processus électoral a été l’élément déclencheur des violences de la décennie 1990 qui ont coûté la vie à plus de 200 000 personnes selon les chiffres officiels.

Une fois la « décennie noire » terminée en 2002, le débat sur la responsabilité des meurtres collectifs et des assassinats attribués aux islamistes est revenu sur le devant de la scène. Des activistes islamistes et des transfuges de l’armée désignent alors, directement, Khaled Nezzar comme le responsable de tout.

Il est le seul à être poursuivi en justice, d’abord en France, où celle-ci n’a pas voulu trancher, estimant qu’elle ne pouvait se prononcer sur des événements qui s’étaient produits en Algérie, puis en Suisse, pour des faits de « crimes de guerre » et actes de torture.

Le symbole d’une justice difficile à obtenir

« Je suis moi aussi soucieux de la nécessité de faire la lumière sur la décennie noire. […] j’appelle à la mise en place de mécanismes pour que tous ceux, moi compris, qui ont côtoyé la tragédie nationale rendent des comptes », écrivait-il en 2019 dans un post sur Twitter.

Or, depuis une loi portant sur la « concorde civile » adoptée en 1999 et une autre sur la « réconciliation nationale » votée en 2005, qui ont notamment offert une amnistie autant aux islamistes qu’aux militaires, le dossier de la guerre civile est quasiment clos en Algérie.

Seules les familles de disparus, dont le nombre est estimé à près de 4 000 personnes, réclament toujours « la vérité » sur le sort de leurs enfants, déclarés officiellement « morts » par la loi sur la réconciliation nationale en 2006.

« Pour moi, le dossier des disparus n’est pas mort avec Nezzar. J’aurais bien aimé qu’il [le dossier des disparus] meure mais dans le bon sens », a réagi Nacera Dutour, présidente du collectif des associations de disparus, auprès de Middle East Eye.

Des personnes, appartenant pour la plupart au collectif des familles de disparus en Algérie, manifestent, avec des masques blancs pour symboliser les disparus, le 25 avril 2001 devant le Centre culturel algérien à Paris, contre la présence à Paris du général algérien Khaled Nezzar (Thomas Coex/AFP)
Des personnes, appartenant pour la plupart au collectif des familles de disparus en Algérie, manifestent, avec des masques blancs pour symboliser les disparus, le 25 avril 2001 devant le Centre culturel algérien à Paris, contre la présence à Paris du général algérien Khaled Nezzar (Thomas Coex/AFP)

Du côté des autorités, les funérailles officielles offertes à l’ancien ministre de la Défense, tout comme son rapatriement en décembre 2020 de son exil espagnol – imposé par les poursuites diligentées contre lui pour des faits de « complot contre l’État » par l’ancien chef d’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah (décédé un an auparavant), devenu son rival – à bord d’un avion présidentiel, ne laissent plus de doute sur l’intention des autorités de ne pas changer le cap tracé depuis une vingtaine d’années : la guerre civile est terminée et la responsabilité des crimes incombe aux groupes islamistes armés.

Une orientation rappelée, avec vigueur, par Alger lors de l’inculpation, fin août, du général Nezzar par la justice suisse. « La justice suisse a offert avec beaucoup de légèreté une tribune aux terroristes, à leurs alliés et à leurs soutiens pour tenter de discréditer le combat honorable de notre pays contre le terrorisme », avait indiqué le ministère des Affaires étrangères, estimant que la justice suisse faisait du « révisionnisme » sur la décennie noire.

Pour les familles de disparus et d’autres activistes, la disparition de Khaled Nezzar, intervenue, hasard du calendrier, au lendemain de la fixation par la justice helvétique de son procès, est une preuve supplémentaire qu’obtenir justice sur cette question est quasiment impossible.

Après sa mort, certains ont estimé sur les réseaux sociaux que la justice divine s’était occupée de celui qu’ils considèrent comme le « responsable des tueries » des années 1990. Le général Nezzar a laissé une pléthore de livres où il donne sa version des faits, qu’il appartiendra désormais à l’Histoire de juger.

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