Algérie : le procès Khaled Nezzar, difficile à mettre en œuvre
Après plusieurs années d’enquêtes et de procédures, la justice suisse a décidé, mardi 28 août, d’inculper l’ancien ministre algérien de la Défense, Khaled Nezzar, aujourd’hui âgé de 85 ans, pour « crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994 », selon TRIAL, ONG qui lutte contre l’impunité des crimes de guerre, basée en Suisse.
Dans un communiqué, le ministère public de la Confédération (MPC, procureur général) fait valoir que Khaled Nezzar « en tant que personne influente en Algérie en sa qualité de ministre de la Défense et membre du Haut Comité d’État a placé des personnes de confiance à des positions clés et créé sciemment et délibérément des structures visant à exterminer l’opposition islamiste ».
Le Haut Comité d’État est une autorité politique provisoire chargée de la gestion de l’État, mise en place du 14 janvier 1992 au 30 janvier 1994, à la suite de la vacance du pouvoir consécutive à la démission du président Chadli Bendjedid, après l’interruption du processus électoral de décembre 1991.
L’annulation, le 12 janvier 1992, du second tour des premières élections législatives pluralistes en Algérie, à la suite de la victoire du Front islamique du salut (FIS), allait marquer les prémices d’une terrible guerre civile, la « décennie noire », qui a fait officiellement 200 000 morts dont de nombreux civils. C’est au cours de cette période, plus précisément entre 1992 et 1994, que le MPC a documenté onze états de fait.
Pour élaborer son acte d’accusation, le parquet fédéral suisse s’est appuyé sur des témoignages d’anciens militants du Front islamique du salut (FIS, parti islamiste radical dissout par les autorités algériennes en mars 1992), qui accusent Khaled Nezzar de tortures et de sévices. C’est le cas d’Abdelouahab Boukezouha, qui vit actuellement en France, et de Seddik Daadi, réfugié en Suisse.
Le général major algérien avait été interpellé à Genève en octobre 2011 alors qu’il résidait en Suisse à la suite d’une plainte déposée par TRIAL. Relâché à la fin des auditions, il avait quitté la Suisse.
Le procès de l’État algérien
En 2017, le procureur général avait classé la procédure au motif que la guerre civile algérienne ne constituait pas un « conflit armé interne » et que la Suisse, en conséquence, n’était pas compétente pour juger d’éventuels crimes de guerre dans ce cadre.
Sur recours, le tribunal pénal fédéral avait toutefois indiqué en 2018 que les affrontements avaient présenté une telle intensité de violence qu’ils s’apparentaient à la notion de conflit armé telle que définie par les Conventions de Genève et la jurisprudence internationale, obligeant le MPC à reprendre la procédure.
Pour les opposants à l’armée, si ce procès a lieu, « ce n’est que justice rendue », commente pour Middle East Eye Nassera Dutour, présidente du Collectif des familles des disparus en Algérie. Cette militante, dont le fils a disparu depuis le milieu des années 1990, espère que ce procès sera « un long chemin de justice » qui viendra après « un long chemin d’injustice ».
Elle rappelle que l’État algérien a déjà gagné un procès similaire à Paris. Lors d’un procès pour diffamation, intenté par Khaled Nezzar contre un ancien sous-officier de l’armée qui accusait les généraux de torture, le tribunal correctionnel de Paris avait estimé lors d’un verdict rendu en août 2002 qu’il n’appartenait pas « au tribunal de se prononcer sur la véracité des thèses soumises à son appréciation, que seule l’histoire pourra déterminer ».
« J’espère que cette fois-ci, ce sera la bonne. J’espère que [Khaled Nezzar] et les autres [hauts gradés en poste à l’époque] rendront des comptes des crimes qu’ils ont commis », ajoute-t-elle, tout en refusant de s’inscrire dans une logique de vengeance.
« Je ne dis pas qu’il faut qu’il soit emprisonné, parce que cela ne sert à rien et ne nous rendra pas nos enfants », explique-t-elle, en souhaitant qu’il reconnaisse plutôt être à l’origine des disparitions, pour que, plus de 25 ans après celle de son fils, elle puisse enfin faire son deuil.
« La disparition forcée est le pire des crimes. C’est le début de toutes les atrocités. J’ai une boule permanente au ventre », soupire-t-elle.
Pour d’autres Algériens, plus proches des thèses de l’armée, ce procès n’est que « le fait de ceux qui n’ont pas pardonné » à Khaled Nezzar « l’arrêt du processus électoral de 1992 », accuse Khaled Bourayou, un avocat qui a défendu l’ancien ministre de la Défense à Paris en 2022, interrogé par MEE.
« La disparition forcée est le pire des crimes. C’est le début de toutes les atrocités. J’ai une boule permanente au ventre »
- Présidente du Collectif des familles des disparus en Algérie
Mercredi en fin de journée, les avocats de l’ancien ministre de la Défense ont diffusé un communiqué dans lequel ils remarquent qu’« au terme d’une instruction d’une exceptionnelle durée, le dossier de l’accusation comporte de nombreuses carences » et « est marqué par des violations répétées du droit d’être entendu du prévenu, en particulier le refus presque systématique des actes d’instruction sollicités à décharge ».
« Le général Khaled Nezzar s’est toujours opposé, en particulier, à la torture qu’il n’a pas hésité à condamner publiquement dans les années 1990 déjà », note encore le texte signé par les avocats Caroline Schumacher et Magali Buser.
Selon un connaisseur du dossier qui témoigne à MEE sous le couvert de l’anonymat, « le procès, qui est celui de l’État algérien, n’aura jamais lieu. D’abord, M. Nezzar est malade, il ne pourra donc pas se déplacer. La justice suisse devra donc envoyer une commission rogatoire pour l’interroger chez lui. Mais à la place d’un juge suisse, il sera entendu par un juge algérien. Et cela traînera en longueur ».
TRIAL plaide pour une ouverture du procès à bref délai, assurant que l’ancien ministre serait « mourant ».
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