Une « trahison des pays musulmans » : l’ONU refuse de débattre du traitement des Ouïghours
Jeudi, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a voté contre une motion occidentale pour l’organisation d’un débat sur les allégations d’abus généralisés contre les Ouïghours et autres musulmans dans la région chinoise du Xinjiang après un important lobbying de Beijing.
Le mois dernier, les États-Unis et leurs alliés avaient présenté à cette grande instance de défense des droits de l’homme de l’ONU un premier projet de décision visant la Chine, désirant au strict minimum une discussion sur le Xinjiang.
Cette initiative intervenait après la publication par l’ex-haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Michelle Bachelet de son rapport très attendu sur le Xinjiang, lequel mentionne de possibles crimes contre l’humanité à l’encontre des Ouïghours et des autres minorités musulmanes dans cette région occidentale de la Chine.
Les pays occidentaux pensaient qu’en se contentant de réclamer une simple discussion à propos de ces conclusions, ils pourraient obtenir un soutien suffisant pour que le sujet soit inscrit à l’ordre du jour.
Mais coup de théâtre à Genève : sur les 47 membres du Conseil, 19 se sont prononcés contre un débat sur les droits de l’homme au Xinjiang, 17 pour et 11 pays se sont abstenus.
Amnesty International a qualifié le vote de farce, tandis que Human Rights Watch estime que les victimes de violence ont été trahies.
« Les États-Unis condamnent le vote d’aujourd’hui qui empêche la discussion à propos du Xinjiang », a tweeté Michele Taylor, ambassadrice américaine au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
L’inaction « suggère honteusement que certains pays échappent à tout examen et sont autorisés à enfreindre les droits de l’homme en toute impunité ».
Coup majeur porté aux efforts occidentaux, les pays musulmans et partenaires des États-Unis ont voté contre ce débat, notamment le Pakistan, le Qatar, le Soudan et les Émirats arabes unis.
Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan – pays d’Asie centrale qui partagent des liens linguistiques, culturels et religieux avec les musulmans de la Chine occidentale – ont également voté contre la motion. La Malaisie et la Libye se sont abstenues.
« Nous sommes extrêmement déçus de la trahison des pays musulmans qui ont voté contre cette motion et soutenant ainsi honteusement les atrocités de la Chine contre la majorité musulmane turcique du Turkestan oriental », a réagi Salih Hudayar, Premier ministre du gouvernement en exil du Turkestan oriental, auprès de MEE.
Le gouvernement en exil du Turkestan oriental a été créé à Washington en 2004 et souhaite établir un État indépendant dans le Nord-Ouest de la Chine, dans ce qui est officiellement désigné comme la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Il n’est pas officiellement reconnu par les États-Unis.
Les membres de ce gouvernement en exil représentent une dizaine d’organisations différentes issues de la diaspora ouïghoure et du Turkestan oriental, selon leur site.
La première réaction du gouvernement chinois face au rapport a été de le qualifier de « soi-disant “évaluation”, reposant sur la présomption de culpabilité, [qui] utilise la désinformation et les mensonges inventés par les forces contre la Chine comme sources principales, ignore délibérément les renseignements faisant autorité et le matériel objectif fourni par le gouvernement chinois, déforme de façon malveillante les lois et politiques de la Chine, dénigre le combat contre le terrorisme et l’extrémisme au Xinjiang, et ferme les yeux sur les progrès énormes en matière de droits de l’homme réalisés par les gens de tous les groupes ethniques au Xinjiang ».
Aujourd’hui la Chine, vous demain
Le vote de jeudi est une victoire pour Beijing. L’ambassadeur chinois à l’ONU Chen Xu a déclaré que cette volonté de discussion « profitait » de l’ONU « pour s’ingérer dans les affaires internes de la Chine ».
« Ce projet de décision n’est pas en faveur des droits de l’homme mais à des fins de manipulation politique », a-t-il affirmé au Conseil.
« Aujourd’hui, c’est la Chine qui est visée ; demain, tout autre pays en développement pourrait l’être. »
Ce projet de décision a été porté par les États-Unis, l’Australie, le Canada, la France, l’Allemagne, la Norvège, la Suède et la Turquie – entre autres.
Un diplomate occidental a souligné que, indépendamment du résultat, « l’objectif numéro un a été atteint » en mettant le Xinjiang sous le feu des projecteurs.
Le rapport de Bachelet, publié quelques minutes avant la fin de son mandat le 31 août, mettait en lumière des allégations « crédibles » de torture, de détention arbitraire et de violation des droits religieux et reproducteurs de manière généralisée.
« En tant que plus grand pays musulman et démocratie dynamique, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le sort de nos frères et sœurs musulmans », a déclaré Febrian Ruddyard, ambassadeur indonésien à l’ONU.
Mais, étant donné que la Chine n’a pas donné son consentement, une discussion « n’engendrera aucun progrès significatif », l’Indonésie a donc voté « contre ».
L’ambassadeur qatari Hend al-Muftah a fait écho à ce sentiment.
La Chine a lancé une offensive en règle pour discréditer le rapport de Bachelet.
Les pays africains, dont la Chine est le principal créancier après avoir investi massivement dans les infrastructures, ont fait l’objet d’un lobbying très pressant, rapportent des observateurs.
Au final, seule la Somalie a voté « pour » sur les treize pays africains.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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