Chine-Algérie : les espoirs déçus du partenariat économique
Confrontées à une situation économique et financière toujours plus délicate, les autorités algériennes se tournent de plus en plus vers le partenaire chinois.
Les visites croisées entre délégations officielles algériennes et chinoises ponctuées par la signature d’accords de coopération se sont multipliées au cours des dernières années.
En octobre, le directeur de la commission des Affaires étrangères du comité central du Parti communiste chinois (PCC), Yang Jiechi, a effectué une visite de deux jours en Algérie. Les communiqués publiés à la suite de la rencontre avec le président Abdelmadjid Tebboune saluaient très classiquement l’amitié algéro-chinoise et « l’excellence des liens » entre les deux pays.
La qualité des relations entre la Chine et l’Algérie est d’abord en effet une réalité politique et le gouvernement algérien, à l’image de nombreux pays africains, semble apprécier particulièrement le fait que les autorités chinoises ne tentent pas d’imposer leur façon de voir le monde et l’économie ou de s’immiscer dans la gestion des affaires de leurs partenaires.
C’est sans doute une des raisons essentielles du succès et de la faveur dont bénéficient les entreprises chinoises auprès des dirigeants algériens.
La seule problématique qui semble intéresser les dirigeants chinois est d’ordre économique et leur stratégie de coopération paraît avoir pour seul objectif de sauvegarder pour leurs entreprises un accès privilégié aux marchés (et éventuellement aux ressources) du pays partenaire.
À vrai dire, si les relations économiques entre l’Algérie et la Chine sont en effet « excellentes », elles le sont surtout pour le partenaire chinois en raison d’abord d’un très fort déséquilibre commercial.
Depuis 2013, la Chine est devenue le premier fournisseur de l’Algérie. Et ce loin devant les partenaires européens traditionnels, français notamment, qui occupaient de longue date cette position.
Entre 2016 et 2019, elle a renforcé sa présence commerciale avec une part de marché de 18 à 20 % et, en moyenne, plus de 8 milliards de dollars d’exportations annuelles, selon les chiffres officiels des douanes algériennes.
« Elle ne nous achète rien ou quasiment rien »
Un responsable de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie note pour Middle East Eye que « si la Chine exporte beaucoup en Algérie, en revanche, elle ne nous achète rien ou quasiment rien. Par ailleurs, elle est loin d’être le premier investisseur malgré la présence de très nombreuses entreprises chinoises en Algérie ».
Cette solidité de la performance commerciale chinoise semble cependant, ces derniers temps, être mise à l’épreuve. En 2019, la part de marché chinoise s’est en effet réduite sensiblement et ne représente plus que 15 à 16 % des approvisionnements extérieurs algériens.
Les explications de ce récent recul semblent venir des mesures de suspension d’importation adoptées par les autorités algériennes (pour réduire la dépendance aux importations) qui, en ciblant les produits finis, auraient pénalisé particulièrement les produits chinois.
Autre explication possible : les mesures adoptées par la Banque d’Algérie en matière de domiciliation des importations, qui auraient rendu plus compliquée la pratique courante de surfacturation des marchandises importées dans un contexte de fonte des réserves de change.
La Chine ne fait pas seulement de bonnes affaires commerciales avec l’Algérie. Les entreprises chinoises sont également depuis plus d’une décennie les premières bénéficiaires des importants programmes d’investissements publics lancés par le gouvernement algérien.
Depuis les autoroutes et les aéroports jusqu’aux programmes de logements publics, en passant par le chantier de la Grande mosquée, les entreprises chinoises ont quasiment tout raflé en ne laissant que des « miettes » aux concurrents.
Le China Global Investment Tracker, un site d’intelligence économique mis en place par l’American Enterprise Institute et la très conservatrice Heritage Foundation pour mesurer la présence chinoise dans le monde, estimait récemment que de janvier 2005 à juin 2016, la Chine avait obtenu 29 contrats en Algérie pour une valeur totale de 22,2 milliards de dollars.
Ces contrats obtenus au cours d’une décennie ont fait de l’Algérie le deuxième marché le plus important pour la Chine dans la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA).
Les contrats obtenus au cours d’une décennie ont fait de l’Algérie le deuxième marché le plus important pour la Chine dans la zone MENA
De nombreux observateurs relèvent que ces contrats, qui se chiffrent sur la décennie écoulée à plusieurs dizaines de milliards de dollars, ne constituent bien sûr pas des « investissements » réalisés par les entreprises chinoises, qui déménagent leurs bases de vie et rapatrient la main d’œuvre dès que le chantier est terminé.
Ajoutons que ces contrats qui ont eu la faveur des autorités algériennes depuis près de quinze ans ont par ailleurs la particularité d’utiliser le plus souvent une main d’œuvre exclusivement chinoise, ce qui renseigne sur le « transfert de savoir-faire » qui s’effectue à l’occasion de leur réalisation...
Jusqu’à une date récente, la relation se faisait tellement à sens unique qu’en forme de remerciement, le partenaire chinois n’hésitait pas à faire des présents spectaculaires au pays d’accueil. C’est ainsi que l’Algérie a bénéficié de la réalisation « à titre gracieux » de la nouvelle salle d’opéra d’Ouled Fayet, dans la banlieue de la capitale.
L’Algérie sur la route de la soie
Les autorités algériennes, qui ont pris tardivement conscience du caractère asymétrique de la relation avec le partenaire chinois, ont commencé à le lui faire savoir au cours des toutes dernières années.
« Il faut aller au-delà du simple commerce », a plaidé récemment le ministre de l’Industrie, Ferhat Ait Ali, estimant que l’Algérie devait constituer « un tremplin stratégique et dynamique pour aller vers l’Afrique ».
Le climat dans ce domaine semble changer progressivement, notamment depuis qu’Abdelaziz Bouteflika et Xi Jinping ont exprimé officiellement en 2014 la volonté de porter les relations bilatérales au niveau d’un « partenariat global ».
Dans le prolongement de cette orientation et d’une visite officielle effectuée en Chine par le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal, un accord relatif à la coopération entre l’Algérie et la Chine a été signé en 2016 à Alger et ratifié en août 2017 par un décret présidentiel.
Quelques mois plus tard, début 2018, l’inamovible ambassadeur de Chine en Algérie, Yang Guangyu, mentionnait les premières répercussions de cet accord avec le décollage de l’implication des opérateurs chinois dans le secteur algérien des hydrocarbures et « des investissements de 2,6 milliards de dollars essentiellement dans les domaines pétrolier et gazier », estimant que le climat d’affaires était « favorable » pour rehausser le partenariat économique bilatéral.
Il déclarait également que les deux pays auraient encore des projets « extrêmement importants dans la période et les années à venir », précisant que des « discussions étaient en cours entre les deux pays ».
Au deuxième semestre 2018, les événements semblaient s’accélérer et les choses passer à une vitesse supérieure.
Le Premier ministre Ahmed Ouyahia signait le 4 septembre à Beijing un « mémorandum d’entente » généralement interprété comme une adhésion au gigantesque projet chinois de « nouvelle route de la soie » (l’Initiative route et ceinture).
L’ancien chef du gouvernement algérien faisait notamment allusion à deux projets phare de coopération (port Centre d’El Hamdania et le complexe de phosphate) sur lesquels les autorités algériennes ont beaucoup misé au cours des dernières années dans le but de faire franchir une étape décisive à leur partenariat avec la Chine.
La réalisation d’un port commercial sur le site d’El Hamdania, à l’est de la ville de Cherchell (centre), afin, entre autres, « de briser l’isolement des pays africains qui n’ont pas de ports maritimes », avait déjà fait l’objet d’un protocole d’accord, signé en 2016 à Alger.
Il stipulait la création d’une société de droit algérien composée du Groupe public algérien des services portuaires et de deux compagnies chinoises : la CSCEC (China State Construction Engineering Corporation) et CHEC (China Harbour Engineering Company).
« Ce projet, dont le coût est estimé à 3,3 milliards de dollars, sera financé dans le cadre d’un crédit chinois à long terme », a fait savoir le directeur des ports au ministère des Transports, Mohamed Benboushaki, lors de la signature du mémorandum, lequel prévoit la réalisation du futur port d’El Hamdania dans un délai de sept ans avec la participation prévue d’une entreprise chinoise, Shanghai Ports, qui assurera son exploitation.
En novembre 2018, c’est une nouvelle étape qui a été franchie avec l’implication, pour la première fois en Algérie, de partenaires chinois dans la réalisation d’un très vaste complexe industriel.
L’accord de partenariat signé entre Sonatrach et Asmidal du côté algérien et des partenaires chinois conduits par les entreprises Citic et Wengfu pour l’exploitation des gisements de phosphate de la région de Tebessa, à l’extrême est du pays, semblait avoir mis fin à un feuilleton vieux de plus de dix ans au cours duquel des partenaires de nationalités diverses s’étaient désistés successivement au grand dam des autorités algériennes.
Ce projet intégré d’exploitation et de transformation du phosphate et du gaz naturel est sensé mobiliser des investissements d’un niveau considérable, qui ont été estimés à six milliards de dollars.
Sa mise en exploitation était prévue initialement en 2022 et devait « garantir », annonçait-on, des revenus en devises à hauteur de 1,9 milliard de dollars par an. La façon dont ce projet sera géré et financé n’a cependant pas donné lieu jusqu’ici à des explications très précises de la part des autorités algériennes.
Des objectifs d’ampleurs différentes
On peut ajouter à cette ambition affichée de rehausser la coopération entre l’Algérie et la Chine trois autres projets de partenariats industriels d’une taille plus modeste conclus entre des entreprises publiques algériennes et chinoises dans les domaines des véhicules utilitaires, de la production de terminaux électroniques de paiement et dans l’industrie du marbre.
Côtés chinois et algérien, les objectifs ne sont pas de la même ampleur. À l’échelle, colossale, du géant chinois, il est question de bousculer tout simplement de nombreuses règles et habitudes prises depuis la fin de la dernière guerre mondiale en matière de financement du développement.
Les premiers jalons de cette démarche ont été posés au cours des dernières années avec la création, à l’initiative de la Chine, d’institutions financières internationales qui ont souvent été présentées comme concurrentes des institutions sous influence occidentale.
À l’échelle, colossale, du géant chinois, il est question de bousculer tout simplement de nombreuses règles et habitudes prises depuis la fin de la dernière guerre mondiale en matière de financement du développement
La Banque d’investissement asiatique (BIA), qui a été dotée d’un capital de 40 milliards de dollars, marche clairement sur les traces de la Banque mondiale. De création plus récente, la Banque de développement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), avec une dotation de 100 milliards de dollars, envisage de financer des plans de stabilisation à l’image des activités du Fonds monétaire international (FMI).
La montée en puissance de ce nouveau dispositif financier s’ajoute aux activités plus anciennes des banques de développement chinoises Exim Bank, la Banque de l’agriculture ou même des banques des provinces chinoises, qui ont déjà été à l’origine de financements de plus de 850 milliards de dollars de projets à travers le monde.
Le 4 janvier 2019, on annonçait l’adhésion de l’Algérie à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) : une autre institution portée par des capitaux à dominante chinoise créée en 2016 avec pour mission d’« intervenir dans ses pays membres, en investissant principalement dans les infrastructures durables ainsi que dans les secteurs de production ».
Son président, Jin Liqun, avait fait lui-même le voyage à Alger fin 2018. Il avait rencontré notamment plusieurs ministres algériens dont celui des Finances ainsi que celui des Ressources en eau, des Travaux publics et des Transports.
« L’Algérie se joindra officiellement à la BAII une fois qu’elle aura complété les processus domestiques requis et déposé le premier versement de capital à la banque », précisait le communiqué de l’institution publié en janvier 2019.
Pour l’Algérie, les enjeux sont considérables et ils sont doubles.
Le premier est de nature financière. L’Algérie, qui depuis une quinzaine d’années payait comptant et rubis sur l’ongle le prix de ses équipements publics, pourrait au cours des prochaines années recourir à des crédits chinois pour financer la réalisation de beaucoup de ses infrastructures économiques dans le but de soulager ses finances publiques et de préserver ses réserves de change.
Un expert algérien, Mouloud Hedir, explicite à MEE le second d’entre eux. « Du fait de la qualité de sa relation politique avec la Chine, mais aussi du fait de son poids économique, de son potentiel énergétique et de son positionnement stratégique à l’intersection entre Europe, Afrique et monde arabe, l’Algérie semble particulièrement bien placée pour se positionner en partenaire pivot pour de gros investissements en infrastructures orientés notamment vers le désenclavement du continent africain. »
Zone franche d’exportation
L’optimisme provoqué par l’ampleur et l’ambition affichée par le projet chinois a conduit, au cours des dernières années, un certain nombre de spécialistes algériens à tenter d’identifier les nouveaux projets qui pourraient faire l’objet de financements dans des domaines où les pays voisins ont déjà avancé leurs pions.
L’économiste Mouloud Hedir suggère à MEE quelques pistes dans une réflexion qui n’en est encore qu’à ses débuts et à propos de laquelle les autorités algériennes se montrent encore très avares en communication.
Il mentionne notamment la réalisation d’une zone franche d’exportation au sud du pays, à l’image des expériences de « Zones économiques spéciales » qui ont permis de booster les exportations chinoises.
Elle permettrait notamment, selon l’expert algérien, de « rentabiliser la route transsaharienne Alger-Lagos [Nigeria], dont la partie algérienne est quasiment achevée. Dans le même esprit, la construction d’une voie ferrée Alger-Tamanrasset-Lagos pourrait favoriser les débouchés africains du futur port de Cherchell ».
Par ailleurs, les investissements chinois pourraient permettre de faire décoller le programme algérien des énergies renouvelables, notamment solaires, qui dispose d’atouts naturels évidents avec une moyenne de 3 000 heures d’ensoleillement par an.
Des sources non officielles ont évoqué à plusieurs reprises les réticences des banques chinoises à s’impliquer dans le financement de la construction du port de Cherchell
Mouloud Hedir rappelle que la Chine a déjà investi plus de 40 milliards de dollars à l’international dans ce domaine.
Le développement, avec des partenaires chinois, du transport maritime national, actuellement assuré en quasi-totalité par des compagnies étrangères et qui engendre la plus grande partie du déficit de la balance algérienne des services, est une autre piste avancée par l’expert algérien.
Ces perspectives prometteuses semblent avoir connu un coup d’arrêt depuis le début de l’année 2019. L’Algérie a d’abord traversé une période d’instabilité politique liée au hirak, soulèvement populaire qui a conduit à la démission du président Bouteflika.
La pandémie mondiale de coronavirus a pris le relais en 2020 en contribuant à geler la plupart des projets en cours de négociation entre l’Algérie et des partenaires chinois.
Les projets les plus avancés, y compris ceux qui avaient été présentés comme entièrement « ficelés », n’ont pas été épargnés. Des sources non officielles ont évoqué à plusieurs reprises les réticences non justifiées des banques chinoises à s’impliquer dans le financement de la construction du port de Cherchell dont les travaux, entamés en 2017, sont à l’arrêt depuis plus d’un an.
Dans le cas de l’exploitation des phosphates de l’Est algérien, c’est le partenaire chinois Wengfu, principal opérateur technique du projet, qui s’est retiré du projet de façon encore inexpliquée en provoquant l’interruption de sa mise en œuvre.
Depuis l’été, le président Tebboune tente de relancer la machine de la coopération avec la Chine. Il a manifesté publiquement à plusieurs reprises son impatience.
Au mois de juin, un communiqué officiel du Conseil des ministres indiquait que le chef de l’État algérien avait accordé un délai de trois mois au Premier ministre afin de remettre sur les rails la réalisation du port Centre, dont le retard a causé des pertes à l’économie nationale en général.
Le 12 juillet, c’est au cours d’un autre Conseil des ministres que le président Tebboune a « enjoint le gouvernement d’entamer l’exploitation optimale et transparente de toutes les ressources minières du pays, en accordant la primeur au gisement de phosphate de Tébessa ».
Dans le prolongement de ces déclarations du président algérien, la visite en octobre d’une délégation chinoise de très haut niveau a fait naître l’espoir d’une relance spectaculaire de la coopération.
Bien que la transparence ne soit pas la qualité principale des relations entre les deux régimes, il ne semble pas que l’« accord de coopération économique et technique assorti d’un don estimé à 100 millions de yuans [12 millions d’euros] pour le financement des projets » conclu officiellement au terme de cette visite soit à la hauteur des attentes de l’Algérie.
En réalité, l’instabilité politique et économique que traverse l’Algérie depuis près de deux ans semble manifestement encourager l’« attentisme » du partenaire chinois, qui ne répond que timidement aux appels du pied des dirigeants algériens.
Dans ce domaine, l’épisode récent de la maladie du président Tebboune et les nouvelles incertitudes qu’elle fait peser sur les perspectives de stabilité politique du pays ne sont sans doute pas de nature à provoquer un changement prochain dans l’attitude du partenaire chinois.
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