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La Chine au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : un nouveau partenaire en matière de sécurité ?

Au-delà du vaste projet commercial que représente l’Initiative route et ceinture, la Chine souhaite renforcer ses relations avec les pays de la région dans le champ de la sécurité
Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Chen Xiaodong, prononce un discours lors du Forum sur la sécurité au Moyen-Orient à Beijing, le 27 novembre 2019 (AFP)

La Chine se rapproche davantage des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Il s’agit d’une nécessité puisque l’Initiative route et ceinture (BRI) – un hyperprojet de développement de routes commerciales allant de la Chine à l’Europe en passant par la Méditerranée – embrasse la région depuis 2013 et tend à s’accélérer ces derniers mois.

Il y a quelques semaines, les 26 et 27 novembre 2019, le ministère chinois des Affaires étrangères organisait à travers son centre de recherche, le China Institute for International Studies (CIIS), un forum spécial sur la sécurité au Moyen-Orient.

Ce n’est pas la première fois que la Chine organise des rencontres sur cette thématique, mais c’est bien la première fois qu’elle organise un événement de cette envergure, à savoir un forum officiel qui réunit à la fois des représentants politiques et des experts pour débattre de ces questions de manière semi-publique.

Il s’agit pour la diplomatie chinoise de montrer son intérêt grandissant pour la région et d’élargir son réseau de décideurs et d’experts. Le ministère a donc été très prudent à la fois dans le choix des invités et dans le protocole d’organisation. Pour montrer l’importance accordée au forum, ce dernier a été organisé dans la maison des hôtes d’État de Diaoyutai à Beijing, un complexe hôtelier gouvernemental qui fut la résidence de Mao Zedong et qui sert aujourd’hui à accueillir les chefs d’État et hautes personnalités étrangères.

Chaque intervention avait une tonalité politique tandis que celle des intervenants chinois en particulier rappelait l’étendue des intérêts, notamment économiques, de la Chine dans la région, et par conséquent la nécessité de s’assurer de la stabilité régionale. Les débats étaient dans l’ensemble assez positifs puisque la Chine ne souffre pas de déficit d’image dans l’espace arabophone, contrairement à l’espace occidental.

Une coopération croissante

La coopération entre la Chine et les différents pays de la région est croissante. C’est le cas notamment au Maroc. Fin décembre 2019, les autorités marocaines recevaient l’envoyé spécial de la Chine au Moyen-Orient, Zhai Jun. Depuis la signature de l’accord stratégique entre le Maroc et la Chine en 2016, le volume des échanges s’est démultiplié : entre les seules années 2016 et 2017, le taux de croissance des investissements chinois a augmenté de 1 000 %.

Entre les seules années 2016 et 2017, le taux de croissance des investissements chinois [au Maroc] a augmenté de 1 000 %

Par ailleurs, l’ambassade de Chine à Rabat est hyperactive dans le domaine culturel et le Maroc vient de supprimer les visas pour les futurs touristes chinois. Le 16 janvier 2020, la première ligne aérienne directe a en outre été inaugurée dans le royaume. On comprend mieux pourquoi l’ambassadeur chinois au Maroc, Li li, déclarait au début de l’année 2019 que « jamais les relations entre la Chine et le Maroc n’[avaient] été aussi bonnes ».  

Ainsi le Maroc a accueilli les 17 et 18 décembre 2019 la 8e édition de la Conférence des relations arabo-chinoises et du dialogue entre les civilisations arabe et chinoise, qui réunit les représentants de tous les États de la Ligue arabe pour discuter d’enjeux de coopération économique, culturelle et sécuritaire. À cette occasion, les chefs d’État arabes ont déclaré que la Chine était désormais un partenaire incontournable.

Le roi Mohammed VI salue Wang Chuanfu, fondateur du constructeur automobile BYD, avant la signature d’un accord qui fera de l’entreprise chinoise la 1e société étrangère à construire des voitures au Maroc après les français Renault et Peugeot, le 9 décembre 2017 (AFP)
Le roi Mohammed VI salue Wang Chuanfu, fondateur de BYD, 1e société étrangère à construire des voitures au Maroc après les français Renault et Peugeot, le 9 décembre 2017 (AFP)

Tandis que l’État chinois ou ses opérateurs économiques investissent dans plusieurs projets publics et privés, comme la construction de la toute nouvelle Académie de formation des diplomates de Tunisie ou encore un terminal de conteneurs en Égypte, les pays de la région multiplient les accords de coopération. Par exemple, l’Arabie saoudite a signé récemment pas moins de 35 accords économiques avec l’empire du Milieu.

La sécurité, nouveau champ de coopération

Il faut souligner que ces actions de coopération ne se limitent pas au domaine économique ou encore culturel : elles portent de plus en plus sur le domaine sécuritaire. En l’espace de quelques années, entre 2015 et 2019, la Chine a engagé des accords de partenariat stratégiques avec la plupart des pays de la région (la Jordanie, l’Irak, le Koweït, l’Arabie saoudite, le Qatar, Oman, les Émirats arabes unis, le Maroc, l’Algérie et l’Égypte).

Ces partenariats ont pour objectifs une collaboration plus étroite sur les affaires de sécurité régionale et le renforcement de la coopération bilatérale militaire. Ils ont parfois donné lieu à des accords bilatéraux de lutte contre le terrorisme, qui prévoient notamment le partage de renseignements, des entraînements conjoints ou encore la possibilité d’extrader des suspects. C’est le cas notamment avec l’Égypte, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

Zhai Jun, envoyé spécial du gouvernement chinois pour le Moyen-Orient, rencontre le président palestinien Mahmoud Abbas à Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 7 décembre 2019 (AFP)
Zhai Jun, envoyé spécial du gouvernement chinois pour le Moyen-Orient, rencontre le président palestinien Mahmoud Abbas à Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 7 décembre 2019 (AFP)

La Chine s’intéresse ainsi davantage aux questions de terrorisme tant pour mieux prévenir les menaces dont elle fait l’objet à l’intérieur de ses frontières (à l’exemple du Mouvement islamique du Turkestan oriental, proche d’al-Qaïda), que pour protéger ses investissements extérieurs et ses ressortissants à l’étranger.

Ainsi, tandis que les représentants chinois prennent davantage position sur les questions sécuritaires dans la région, les représentants des pays arabophones s’expriment de façon positive sur le potentiel stabilisateur de la Chine. Au-delà des discours, il faut dire que Pékin s’est déjà investi dans de nombreuses missions de médiation dans le cadre de la guerre civile en Syrie, du conflit palestino-israélien, ou encore du conflit yéménite.  

Vers une diplomatie de médiation selective

La Chine, on le sait, prône une politique de non-ingérence, que ce soit dans les discours ou dans les faits. Les représentants chinois ne cessent de le répéter. Pourtant, les missions chinoises de médiation pour la paix ou les propositions de sortie de crise se sont démultipliées depuis le lancement du projet de Nouvelle route de la soie (prédécesseur du BRI) en 2013, de même que les prises de positions, qui sont plus fortes et plus engagées. C’est le cas par exemple concernant la reconnaissance d’un État palestinien indépendant.

Pékin développe une diplomatie de la médiation sélective qu’il est encore en train de construire

Avant cette date, les représentants chinois étaient plus réticents à se prononcer de façon tranchée sur un conflit, afin, justement, de ne pas donner l’impression d’une ingérence. La Chine est-elle donc en train de redéfinir sa politique traditionnelle de non-ingérence ?

La réponse à cette question montre justement toute l’originalité et la subtilité de l’approche chinoise. La Chine ne déroge pas à sa doctrine de non-ingérence, qui reste encore fortement valable. Pékin développe plutôt une diplomatie de la médiation sélective qu’il est encore en train de construire.

En effet, le passé de la Chine, à savoir celui d’un pays qui n’a jamais colonisé la région, qui est sorti de la pauvreté par un effort politique et social considérable, et surtout qui ne cherche pas la diffusion d’une idéologie religieuse ou culturelle, en fait un médiateur idéal.

Néanmoins, l’interventionnisme chinois en matière de sécurité est encore faible pour deux raisons : d’abord, les efforts consentis pour éviter les inimitiés exigent sa prudence, en particulier dans une région stratégique pour les États-Unis ; ensuite, la Chine ne s’est pas encore forgé une expérience dans la médiation directe qui lui permettrait d’être plus confiante dans ses résultats ou dans son approche.

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Cette posture peut être clairement lue dans le discours du vice-ministre chinois des Affaires étrangères Chen Xiaodong, prononcé lors du Forum sur la sécurité au Moyen-Orient de novembre 2019 à Pékin.

Tout en décrivant clairement les États-Unis comme une superpuissance égoïste et unilatérale, principal facteur de l’insécurité au Moyen-Orient, Chen Xiaodong a souligné l’importance accordée par la Chine au fait de marquer sa différence par un attachement particulier aux solutions multilatérales à « bénéfices mutuels ».

Ainsi, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le vice-ministre chinois des Affaires étrangères proposait de mettre en place une stratégie anti-terroriste et de déradicalisation globale, qui ne définit pas le terrorisme par rapport à une religion et qui permet d’éviter les doubles standards (en référence à l’approche américaine) sur la question.  

Une posture crédible de médiateur diplomatique

La posture de la Chine comme nouveau partenaire de sécurité au Moyen-Orient paraît donc crédible, justement parce que la Chine, pragmatique, sait se faire désirer grâce à sa force économique tout en prenant son temps et en restant prudente dans la définition de sa posture et de sa pratique de la médiation des conflits.

L’interventionnisme chinois en matière de sécurité est encore faible

Le défi de la Chine réside à présent dans la définition d’une stratégie sécuritaire globale sophistiquée, suffisamment inclusive de l’ensemble des représentations et intérêts des États concernés, de façon à embrasser la proposition en quatre points du président Xi Jinping.

Celle-ci vise à remédier à « quatre déficits » dans les affaires mondiales : renforcer la gouvernance multilatérale, augmenter les consultations pour remédier aux conflits, développer une nouvelle approche de sécurité globale, revoir les règles du commerce international dans un sens plus équitable.

Cette stratégie globale devra proposer des mécanismes de résolution multilatéraux aux conflits du Moyen-Orient tout en marquant sa différence avec le cadre normatif qui contribue à stigmatiser l’islam et donc à cristalliser davantage les conflits identitaires. La Chine pourrait y arriver avec le temps, si elle maintient parallèlement sa politique d’accords sans conditions et sans contraintes, et si elle continue à s’investir parallèlement dans des diplomaties de niche valorisantes pour son image, à l’instar de sa diplomatie climatique.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Yousra Abourabi est professeure de relations internationales à Sciences Po Rabat, Université Internationale de Rabat. Sa thèse de doctorat a porté sur la politique africaine du Maroc. Elle est l’auteure de l’ouvrage Maroc aux éditions De Boeck (2019).
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