Le dragon et le lion : les liens croissants de la Chine avec la Syrie
En mars dernier, la Chine a déployé discrètement des troupes en Syrie. Ces soldats, selon les autorités chinoises, ont formé des membres de l’armée syrienne, apportant des conseils médicaux et logistiques. Malgré la discrétion entourant cette initiative, elle revêtait une grande importance : c’est la première fois que la Chine envoie des troupes au Moyen-Orient pour toute autre raison que la protection de projets commerciaux en cours.
La guerre en Syrie a eu un impact significatif sur la stabilité mondiale, avec de graves implications pour la sécurité européenne, les élections présidentielles américaines de 2016 et les groupes islamistes non étatiques opérant dans des pays asiatiques tels que la Chine, les Philippines, la Malaisie et même la cité-État habituellement sûre de Singapour.
L’effet de la guerre sur la politique chinoise au Moyen-Orient depuis 2014, en particulier en Syrie, a fait passer celle-ci de la prudence à la proactivité.
Alors que l’engagement de Pékin a d’abord été motivé par des problèmes de sécurité – notamment la crainte que des ressortissants chinois ne partent combattre en Syrie et ne reviennent dans leur pays pour commettre des attentats –, au cours des deux dernières années, les relations bilatérales florissantes entre les deux pays ont vu les intérêts économiques de la Chine en Syrie et l’emprise chinoise dans le Levant se développer plus fortement.
Résolution de conflit
Alors que le conflit syrien évolue quotidiennement, les enjeux sécuritaires pour l’Asie orientale sont élevés. Avec notamment l’arrestation en mars d’agents de l’État islamique (EI) en Malaisie et en juin à Singapour, ainsi que les liens entre les combattants séparatistes islamistes aux Philippines et au Myanmar et les groupes opérant en Syrie, la guerre ne peut plus être considérée comme détachée de troubles potentiels en Asie orientale.
Les quelque 5 000 Ouïghours qui combattraient en Syrie constituent une motivation majeure expliquant l’activité de médiation de Pékin dans ce pays
Par conséquent, la Chine a, pour la première fois sur la scène mondiale, encouragé la résolution de conflit en tant que participant tiers, prenant l’initiative de négocier avec toutes les parties en Syrie. Ce mois-ci, l’envoyé spécial chinois en Syrie, Xie Xiaoyan, s’est rendu à Damas, à Beyrouth et à Amman afin de consolider les efforts de la Chine pour tenter de résoudre le conflit en Syrie.
Sa visite suit la nomination par la Chine de son premier envoyé dans une zone de conflit du Moyen-Orient en mars dernier. Celui-ci a participé activement au processus de paix syrien dirigé par l’ONU à Genève et aux pourparlers de paix d’Astana. Après le Sud-Soudan, où Pékin a déployé un bataillon dans le cadre d’une mission de maintien de la paix de l’ONU, c’était la première fois que la Chine nommait un envoyé dans une zone de guerre et jouait un rôle prépondérant dans une guerre civile lointaine.
Les quelque 5 000 Ouïghours qui combattraient en Syrie constituent une motivation majeure expliquant l’activité de médiation de Pékin dans ce pays. Les Ouïghours, l’une des 55 minorités ethniques reconnues en Chine, sont des musulmans turcophones, principalement sunnites, vivant dans la province du Xinjiang, au nord-ouest du pays – qui a bénéficié d’une autonomie intermittente au cours des derniers siècles. Ils considèrent Pékin comme un colonisateur.
Pékin, d’autre part, considère les Ouïghours et la province du Xinjiang comme le foyer de ce qui pourrait être, selon ses craintes, une insurrection réussie contre le régime. Ces dernières années, les Ouïghours ont été liés à des mouvements mondiaux tels qu’al-Qaïda.
Historiquement, la Turquie a été partisane du mouvement panturc qui vise à rassembler tous les peuples turciques d’Asie centrale, notamment les Ouïghours, et a servi de foyer spirituel pour les dissidents musulmans chinois, y compris les Ouïghours.
Les Ouïghours et les tensions en Asie orientale
Les Ouïghours rejoignant de plus en plus des mouvements armés, la Chine et d’autres pays d’Asie orientale ont tenté de mettre fin à cette activité.
En juillet 2015, les liens turco-chinois ont atteint leur plus bas niveau. Les touristes chinois ont été ouvertement attaqués par une campagne menée par le gouvernement turc pour critiquer les politiques répressives de la Chine vis-à-vis des Ouïghours. La Chine a à son tour accusé les diplomates turcs de fournir de faux passeports aux Ouïghours, qui, selon eux, ne deviendraient que de la « chair à canon » pour les milices combattant en Irak et en Syrie. Ensuite, en mai, trois citoyens turcs ont été arrêtés en Malaisie, soupçonnés de financer l’État islamique.
Les tensions entre la Turquie et la Chine ont donné l’occasion au gouvernement syrien d’exploiter une lacune dans les services de renseignement chinois qui poursuivaient les combattants ouïghours en Syrie. Le sud de la Turquie aurait été un lieu de rassemblement pour les combattants ouïghours partis se battre en Syrie.
Cela a sans aucun doute conduit la Chine à envoyer 300 conseillers militaires à Damas en avril 2016 avec l’objectif déclaré d’apporter une formation médicale et technique à l’armée syrienne. Au cours de l’année dernière, l’armée syrienne a également accueilli plusieurs délégations militaires chinoises à mesure que la Chine intensifiait son aide en Syrie.
En août 2016, un officier de haut-rang de la marine chinoise s’est rendu à Damas pour signer des protocoles d’accord et élaborer un mécanisme commun pour lutter contre le terrorisme et traquer non seulement les militants chinois, mais aussi d’autres Asiatiques de l’Est dans les prisons syriennes.
Au cours de cette période, les gouvernements du Myanmar et des Philippines – qui allèguent que leurs propres citoyens ont combattu en Syrie ou ont manifesté leur intérêt à rejoindre des groupes – se sont également rapprochés de la Chine en comparant leurs propres insurrections à celles en Syrie. Il a certes été prouvé dans le passé qu’al-Qaïda en Afghanistan était actif aux Philippines et au Myanmar, et qu’il a cherché à semer la discorde entre les musulmans souvent privés de leurs droits en Asie orientale et leurs concitoyens chinois.
La Malaisie a souffert du même problème et a de ce fait une présence diplomatique de haut niveau à Damas afin de coopérer avec les services de renseignements syriens. Cependant, la plupart des petits pays asiatiques comme le Myanmar et les Philippines ont une très faible présence sécuritaire à Damas. Lorsque la guerre a commencé en Syrie, la plupart des pays asiatiques ont fermé leurs ambassades à l’exception de la Chine, de l’Indonésie et de la Malaisie. Les Philippines avaient ouvert un consulat en raison du grand nombre de travailleurs domestiques qui travaillent encore aujourd’hui dans les foyers syriens.
Aujourd’hui, ces pays comptent donc de plus en plus sur la Chine pour aider à résoudre les lacunes dans leurs propres relations sécuritaires avec la Syrie et surveiller les liens entre la guerre et leurs propres problèmes liés au militantisme violent.
Efforts de reconstruction
Une autre dimension de l’ascendant chinois en Syrie est économique. La guerre en Syrie en est apparemment à ses derniers chapitres et le gouvernement syrien contrôle onze des quatorze capitales provinciales ; les efforts de reconstruction ont donc été encouragés activement dans des villes comme Homs, Hama et Alep.
Alors que la Russie et l’Iran semblent être les candidats évidents pour la reconstruction, ces deux pays ont leurs propres problèmes économiques et il n’est pas certain qu’ils puissent avoir une incidence sur l’économie syrienne et bénéficier d’accords commerciaux autres que les contrats de défense. Depuis 2016, l’Inde et la Chine ont tiré leur épingle du jeu dans l’obtention de projets économiques en Syrie en envoyant plusieurs délégations commerciales de haut niveau et en participant à des expositions commerciales non seulement à Damas, mais aussi dans les villes côtières de Latakieh et de Tartous.
L’essor de la Chine en Syrie est significatif ; c’est l’un des premiers conflits véritablement mondiaux où les Chinois mènent une diplomatie politique, défensive et économique
Les intérêts économiques chinois en Syrie remontent à 2004, lorsque Pékin a associé des régions stratégiques clés en Syrie et au Liban à son projet One Belt and One Road (OBOR). En mars dernier, le président Bachar al-Assad a accordé une interview très médiatisée à un média chinois dans laquelle il a confirmé les visites de délégations commerciales et l’élargissement des liens académiques avec la Chine. La Chine a également soutenu le gouvernement syrien en votant et faisant du lobbying pour le compte de Damas aux Nations unies dans tous les différents forums et ateliers.
Damas a énormément bénéficié d’un accroissement continu de l’intérêt chinois en Syrie. Une relation globale entre Damas et Pékin axée sur la sécurité, l’économie et la géopolitique a lentement placé la Chine dans une position intéressante au Levant. La présence et les relations de Pékin avec Damas ont connu une augmentation mûrement réfléchie tout en maintenant la Chine en marge du conflit actuel.
Flatter Assad
Assad a été représenté dans les médias chinois comme un libéral qui croit au potentiel de la Chine au Moyen-Orient, ce qui a été affirmé par un présentateur chinois lui posant des questions légères telles que les raisons pour lesquelles son fils apprend le chinois. Les délégations commerciales chinoises ont également été très proactives dans la recherche de marchés publics syriens dans le domaine de la reconstruction, mais aussi pour l’obtention d’accords commerciaux bilatéraux.
Les diplomates chinois à Damas surveillent discrètement mais résolument les domaines clés d’investissement susceptibles d’assurer à leur pays des bénéfices régionaux au-delà de la Syrie
Fondamentalement, la Chine présente une connexion idéologique avec la République arabe syrienne en raison de sa nature laïque et de son mépris pour tout ce qui peut être un culte ou une identité religieuse ainsi que pour les mouvements sociaux basés sur le populisme. Des éléments culturels comme les échanges éducatifs entre les universités chinoises et syriennes, par exemple, ont également été inscrits dans les priorités de l’approfondissement des liens entre Damas et Pékin.
Damas a renforcé le soutien chinois dans sa guerre contre le terrorisme. Il l’a fait lentement, en travaillant avec les Chinois sur la liaison One Belt One Road au Levant et en exploitant le vide laissé par les Turcs dans le partage de renseignements.
Les Chinois considèrent encore Damas et le gouvernement syrien comme la clé de la prospérité économique dans la région, et même les Libanais se rendent compte de cette situation et veulent tirer profit de leur proximité avec la Syrie. Les diplomates chinois à Damas sont tout à fait ouverts concernant leurs opinions sur la menace sécuritaire et, sur le front économique, surveillent discrètement mais résolument les domaines clés d’investissement susceptibles d’assurer à leur pays des bénéfices régionaux au-delà de la Syrie.
L’essor de la Chine en Syrie est significatif ; c’est l’un des premiers conflits véritablement mondiaux où les Chinois mènent une diplomatie politique, défensive et économique. En outre, ils ont précisé aux autres parties prenantes comme la Russie et les États-Unis que la République arabe syrienne et l’État syrien sont légitimes et que son territoire ne doit pas être divisé. La Chine a bénéficié des querelles entre la Russie, les États-Unis et la Turquie.
En Syrie, la Chine ne s’est pas contentée d’observer la lutte acharnée entre la Russie et les États-Unis, elle a tracé son propre chemin, évitant une confrontation militaire et se concentrant plutôt sur la consolidation et l’action tranquille, en coulisses.
- Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est également chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il donne en outre régulièrement des conférences dans plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient et au Royaume-Uni.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : photo fournie par l’agence de presse arabe syrienne (SANA) montrant le président syrien Bachar al-Assad (à droite) discutant avec une journaliste de la télévision chinoise Phoenix, le 22 novembre 2015, à Damas (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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