L’évitement par la Chine des conflits au Moyen-Orient pourrait bientôt prendre fin
Comment la Chine réagit-elle aux conflits au Moyen-Orient et pourquoi ? Que cela nous apprend-il sur l’approche que Pékin pourrait adopter à l’avenir dans la région ? Ces questions sont au cœur de mon nouveau livre, China and Middle East Conflicts, publié en juillet dernier.
Cet ouvrage fait contrepoids à une grande partie des travaux récents sur la Chine et le Moyen-Orient, lesquels se concentrent sur la dimension économique, notamment les projets associés à l’Initiative route et ceinture. Il se distingue aussi en se concentrant non seulement sur les conflits sous la forme de guerres et de rivalités, mais aussi en dressant le bilan historique des relations de la Chine avec la région.
Une position ambivalente
Cette approche alternative apporte un certain nombre d’enseignements. Le premier est que la Chine n’est pas un acteur nouveau dans la région. Un autre est que le bilan de la Chine au Moyen-Orient est varié, tant dans son approche que dans ses résultats.
Au début, la Chine a épousé les conflits, avant de s’en éloigner. Aujourd’hui, sa position est ambivalente : elle préférerait éviter toute implication, mais s’engage parfois dans la gestion et la résolution des crises.
Le rôle de la Chine dans les conflits de la région peut donc être caractérisé de plusieurs manières : comme un « spoiler » (fauteuse de troubles, lorsqu’elle soutient ou exacerbe un conflit), un « shirker » (absentéiste, quand elle cherche à éviter les conflits) ou un partisan de leur gestion et de leur résolution.
Si la Chine a su se démarquer des conflits et rivalités régionales, c’est parce qu’elle n’y avait pas été profondément impliquée. Mais cette époque touche peut-être à sa fin
Les premiers contacts de la Chine avec le Moyen-Orient remontent au milieu des années 1950, lorsqu’elle a soutenu des mouvements et dirigeants nationalistes comme l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser et le Front de libération nationale (FLN) algérien. Elle les a appuyés dans leurs luttes anticoloniales et anti-impériales contre les puissances occidentales et Israël, leur fournissant des armes ou leur y donnant accès.
L’enthousiasme de la Chine pour les groupes nationalistes insurgés a atteint son apogée entre le milieu et la fin des années 1960, lorsqu’elle a équipé et entraîné des groupes en Palestine, en Érythrée et dans le Golfe.
Le comportement de la Chine en tant que « spoiler » était motivé par la conviction partagée que ces mouvements affrontaient des puissances et régimes régionaux établis ; pour Pékin, l’aide militaire était également un moyen de contrer et défier la suprématie soviétique.
Diplomatie et commerce
Au cours de la décennie suivante, cependant, certains changements dans le pays et à l’étranger ont conduit Pékin à réduire son soutien aux insurrections régionales. La fin de la révolution culturelle, la mort du président Mao et la montée en puissance d’un leadership plus pragmatique sous Deng Xiaoping, axé sur les affaires et le développement, ont conduit, à la fin des années 1970, à une diplomatie chinoise moins conflictuelle.
À partir des années 1980, la Chine est devenue moins ambitieuse dans sa politique étrangère. Elle a donné de plus en plus la priorité aux relations diplomatiques et aux opportunités commerciales.
Cela a inclus l’augmentation de ses ventes d’armes aux deux belligérants de la guerre Iran-Irak dans les années 1980, alors même qu’elle accusait les deux grandes puissances – États-Unis et URSS – de perpétuer le conflit.
La Chine a également été impliquée dans un commerce d’armes clandestin avec Israël, ce qui a conduit les deux pays à établir des relations diplomatiques en 1992.
La Chine a maintenu son rôle de « shirker » face aux conflits après la fin de la guerre froide. Comme le reste de la communauté internationale, elle a adhéré au processus d’Oslo entre Israël et les Palestiniens, exhortant les deux parties à poursuivre les pourparlers – alors même que la perspective d’un règlement de paix final devenait de plus en plus éloignée.
Ailleurs, elle s’est opposée à la fois à l’invasion du Koweït par l’Irak et à la résolution de la crise par la force en 1991. Mais contrairement à la France et à la Russie, elle a décidé de ne pas utiliser son veto à l’ONU pour contester l’hégémonie américaine avant l’invasion de l’Irak en 2003.
Malgré ses réserves sur la guerre, les entreprises chinoises ont beaucoup gagné par la suite. Beaucoup d’entre elles ont remporté d’importants contrats et opportunités d’investissements en Irak, au grand dam des Américains, qui supportaient les coûts financiers et militaires de l’occupation. L’ancien président Barack Obama a même accusé la Chine de « profiter gratuitement » de la sécurité fournie par les États-Unis.
Importance économique
L’évitement des conflits par Pékin s’est poursuivi dans le cadre des guerres et rivalités des dix dernières années. Comme la plupart des autres pays, la Chine a été prise de court par la décision de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis (EAU) d’imposer un blocus au Qatar en 2017.
Pourtant, les craintes que ses perspectives commerciales puissent être endommagées se sont révélées exagérées ; les deux parties ont reconnu l’importance de la Chine en tant que partenaire commercial et d’investissement majeur.
L’importance économique de la Chine est également évidente parmi les parties belligérantes en Syrie, en Libye et au Yémen.
Publiquement, la Chine appelle au dialogue politique comme moyen de résoudre les différends, tout en exigeant que les puissances occidentales mettent fin à leurs ingérences. Pékin reste fermement attaché à la souveraineté étatique, tout en acceptant en même temps la présence russe et iranienne en Syrie et celle des Saoudiens au Yémen.
Jusqu’à présent, ce jeu d’équilibriste ne lui a fait perdre aucun ami : le président syrien Bachar al-Assad qualifie la Chine d’« amie » et espère qu’elle deviendra un partenaire financier clé de la reconstruction d’après-guerre.
Malgré cet enthousiasme côté syrien, les réticences chinoises sont à l’ordre du jour, reflétant le faible niveau d’échanges et d’intérêts économiques entre les deux pays, ce qui est également le cas en Libye et au Yémen.
En revanche, là où les investissements chinois sont plus conséquents, Pékin s’est montré davantage favorable à la gestion et à la résolution des conflits.
Ainsi, en réponse tant à la crise du Darfour au Soudan qu’au programme nucléaire iranien, la Chine a servi de médiateur pour trouver un compromis. Elle était en cela motivée notamment par le fait qu’elle avait l’oreille des deux gouvernements et par la crainte que les sanctions occidentales ne nuisent à ses intérêts commerciaux dans ces pays.
Que réserve l’avenir ?
Il n’est en aucun cas certain que la typologie de réponse actuelle se maintienne à l’avenir. Si la Chine a su se démarquer des conflits et rivalités régionales, c’est parce qu’elle n’y avait pas été profondément impliquée. Mais cette époque touche peut-être à sa fin. Comme le montrent les cas du Soudan et de l’Iran, une telle approche devient plus difficile là où les investissements chinois sont plus profonds.
Cette situation pourrait prévaloir dans le futur, à mesure que prend racine l’Initiative route et ceinture. Les pays de la région se trouveront en concurrence les uns avec les autres pour obtenir de la part de la Chine des capitaux et des ressources limitées (qui devraient d’ailleurs s’amoindrir encore davantage dans la période post-coronavirus), tandis que le financement et la construction de tels projets lieront plus étroitement Pékin à la région.
Cela pourrait conduire la Chine à devenir moins un observateur de conflits qu’une de leurs causes.
- Guy Burton est professeur adjoint de relations internationales au Vesalius College de Bruxelles et membre du projet sectarisme, acteurs par procuration et désectarisation à l’Université de Lancaster. Il a précédemment occupé des postes de chercheur et d’enseignant à Dubaï, en Malaisie, en Irak et en Palestine. Il est l’auteur de China and Middle East Conflicts (Routledge, 2020) et Rising Powers and the Arab-Israeli Conflict since 1947 (Lexington, 2018).
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Traduit de l’anglais (original).
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