COP : l’armée américaine est « l’un des plus gros pollueurs au Moyen-Orient »
Le Moyen-Orient est l’une des régions les plus affectées au monde par les changements climatiques. De graves sécheresses, des feux de forêt dévastateurs, d’importantes inondations et la pollution affectent des millions de vies et rendent certaines régions quasi invivables.
Les émissions de gaz à effet de serre – cause majeure du réchauffement climatique – ont triplé dans le monde au cours des trente dernières années. La région MENA, qui s’étend du Maroc à l’Iran, se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale, avec une augmentation de 4°C.
Alors que les dirigeants du monde entier sont réunis pour la COP 26 (Conférence de l’ONU sur les changements climatiques) à Glasgow, il existe une source d’émission qui ne fera vraisemblablement l’objet d’aucune discussion : les émissions militaires que les États ne sont pas obligés de rendre publiques.
Les chercheurs et défenseurs du climat sont particulièrement inquiets de celles de l’armée américaine, le plus grand consommateur institutionnel de pétrole au monde et, de la même façon, le plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde.
D’ailleurs, ses émissions de gaz à effet de serre lors de ces vingt dernières années de guerres au Moyen-Orient ont endommagé la planète.
« À ma connaissance, les émissions de l’armée américaine sont les plus importantes au monde. Les émissions de l’armée américaine, parce que c’est le plus grand consommateur américain d’énergie, sont énormes », indique à Middle East Eye Neta Crawford, codirectrice du projet Costs of War à l’université Brown.
« Si les États-Unis sont véritablement sérieux en se positionnant comme leader mondial sur les changements climatiques, et en particulier la neutralité carbone, ils doivent s’intéresser à l’armée et à l’industrie de la défense. »
Consommation de carburant
Selon les estimations du projet Costs of War, l’armée américaine a produit 1,2 milliard de tonnes d’émissions de CO2 entre 2001 et 2017, dont 400 millions directement imputables aux guerres faisant suite au 11 septembre – en Afghanistan, en Irak, au Pakistan et en Syrie.
Crawford note que ces émissions de l’armée américaine sont « plus importantes que les émissions totales de certains pays en une année, de grands pays industrialisés comme le Danemark et le Portugal ».
Si l’armée américaine était une nation du Moyen-Orient, elle serait le 8e plus grand émetteur de gaz à effet de serre de la région.
En 2017, l’armée américaine a acheté 269 230 barils de pétrole par jour en moyenne, brûlant au total plus de 25 millions de tonnes de CO2 cette année-là, selon les données obtenues par les chercheurs des universités de Durham et de Lancaster au Royaume-Uni.
Si l’armée américaine était une nation du Moyen-Orient, elle serait le 8e plus grand émetteur de gaz à effet de serre de la région
La source la plus nocive d’émissions par l’armée américaine est la combustion de kérosène qui contribue deux à quatre fois plus au réchauffement climatique que les autres types de carburant, parce qu’il est brûlé à plus haute altitude.
Oliver Belcher, professeur agrégé à l’université de Durham et un des chercheurs, indique que « le kérosène est l’un des plus importants polluants en matière d’hydrocarbures. Il a les effets les plus nocifs sur l’atmosphère ».
La consommation de kérosène n’est toutefois qu’une partie du tableau. La chaîne logistique pour le ravitaillement de l’ensemble de l’armée américaine à travers le monde a une énorme empreinte carbone « qui est probablement sous-estimée », selon Belcher.
L’agence qui gère ces opérations, Defence Logistics Agency Energy (DLA-E), supervise la livraison de carburant à plus de 2 000 postes, camps et bases militaires dans 38 pays ainsi qu’à 230 sites où l’armée américaine a des contrats de ravitaillement, qui fournit des carburants de propulsion pour les navires militaires à travers le monde.
« La chaîne logistique gérée par cette agence a également sa propre empreinte carbone parce qu’il est évident que déplacer du matériel via la moindre infrastructure va avoir un coût carbone », explique Belcher.
Cependant, « calculer les missions militaires et les comptabiliser dans l’ensemble est extrêmement compliqué », selon le chercheur.
« Garder la trace du nombre de véhicules en mouvement, de la durée de mouvement et du nombre de pleins, tout ce qu’il faut au quotidien pour le maintien des opérations sur un théâtre militaire, c’est très difficile à chiffrer, pourtant c’est véritablement la base. »
Dans le même temps, les émissions de l’industrie de l’armement et de l’équipement ajoutent une couche supplémentaire à l’impact climatique de l’armée américaine.
« Même si les émissions [de l’armée américaine] ont diminué, l’armée reste un énorme émetteur. Parce qu’elle soutient et stimule l’industrie par ses processus d’acquisition, de recherche et de développement, elle est aussi un facteur d’émissions industrielles », assure Crawford.
Le projet Costs of War estime que la quantité de CO2 émis par l’industrie militaire américaine lors des guerres contre le terrorisme est d’environ 153 millions de tonnes chaque année.
« Pour toute année donnée, il est probable que les émissions du ministère de la Défense sont à peu près équivalentes à celle des émissions industrielles de l’armée », estime Crawford.
Combustion de déchets et exercices d’entraînement
Au-delà des contributions de l’armée américaine aux émissions de gaz à effet de serre et au réchauffement climatique, le climat et paysage du Moyen-Orient a également été profondément affecté par des actions plus directes, tels que la combustion de déchets et les exercices d’entraînement.
Sur les bases qui accueillent des troupes américaines à travers le Moyen-Orient, l’armée américaine a brûlé ses déchets afin de s’en débarrasser, relâchant une multitude de polluants toxiques dans l’atmosphère que tout le monde autour a respiré.
Le recours à des burn pits (fosse à feu) est une pratique commune de l’armée américaine en Irak, au Koweït, au Qatar, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Oman et à Bahreïn, selon le département des Anciens combattants des États-Unis.
Après avoir jeté leurs déchets (y compris produits chimiques, peintures, déchets médicaux et humains, munitions, pétrole, plastique et polystyrène extrudé) dans une fosse ouverte, du kérosène était jeté dessus et le tout était brûlé.
Une évaluation du Pentagone recense près d’une quarantaine de burn pits utilisées par l’armée, bien qu’il y en aurait eu plus d’une centaine selon certaines estimations d’associations d’anciens combattants.
De nombreuses études ont montré que la pollution qui découle de ces burn pits a provoqué de graves complications pour les anciens combattants américains et a probablement affecté des civils, des prestataires et des employés locaux de ces bases militaires.
Ces burn pits ont été qualifiées de « nouvel agent orange », en référence à l’herbicide chimique utilisé par les soldats américains au Vietnam, dont il a été prouvé plus tard qu’il a causé des cancers, des malformations congénitales et des problèmes neurologiques chez les Vietnamiens.
Et dans un mémo d’avril 2019 adressé au Congrès, le Pentagone reconnaissait qu’il avait toujours neuf burn pits actives dans des bases à travers le Moyen-Orient et en Afghanistan.
Au-delà de la pollution, les activités de l’armée américaine, les exercices et autres opérations qui ont eu lieu dans le désert et qui ont contribué aux tempêtes de sable qui peuvent voyager à travers la région. Il y a eu une multiplication subséquente du risque général de décès à cause de l’exposition aux poussières.
Barack Alahmed, doctorant en sciences de la santé publique à l’université de Harvard, indique à MEE qu’avec une équipe de chercheurs, ils ont constaté une augmentation annuelle des niveaux de poussière dans la région entourant l’Irak entre 2001 et 2017.
S’il ne peut épingler les opérations de l’armée américaine comme cause directe de ces tempêtes, il note qu’elles ont rendu la région plus susceptible d’en voir.
« Les véhicules militaires lourds et les explosions déstabilisent et désintègrent les sols du désert, ce qui le rend plus volatile et crée des tempêtes de sable qui peuvent voyager sur de longues distances et toucher de nombreux autres pays Moyen-Orient », selon Barack Alahmed.
« Nous avons réalisé de nombreuses études au Koweït, l’un des pays les plus affectés par les tempêtes de sable. Nous avons découvert que les tempêtes de sable multiplient le risque de mourir, et plus spécifiquement, nous avons découvert que les travailleurs migrants étaient les plus vulnérables à l’exposition aux poussières. »
Des comptes à rendre
En 1997, la communauté internationale s’est réunie pour aborder le sujet de la crise climatique et a signé le protocole de Kyoto qui contraignait 37 pays industrialisés et l’Union européenne à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, les États-Unis n’ont jamais ratifié cet accord et ont requis une exemption concernant la publication des émissions militaires, au motif de protéger la sécurité nationale.
Puis en 2015, l’accord de Paris sur le climat a été adopté, qui incluait une mesure stipulant que les pays pouvaient déclarer leurs émissions militaires sur la base du volontariat.
Cependant, les pays n’ont aucune incitation ou obligation de le faire et le sujet des émissions militaires reste absent du programme de la COP26.
Le seul moyen de véritablement réduire ces émissions, font valoir les climatologues, est de forcer les pays, en particulier les États-Unis, à déclarer leurs émissions de CO2 d’origine militaire et d’œuvrer à les réduire.
Le 9 novembre, des militants vont lancer un nouveau site web, dédié au signalement de ces émissions et permettant au public de voir ce qui est souvent exclu des discussions sur le climat.
« Il faut une sorte de mécanisme de responsabilité créée au sein de l’armée pour justifier ces contributions », affirme Oliver Belcher. « Et c’est un domaine où il faut faire pression. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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