Ptolémée, al-Soufi et l’influence du Moyen-Orient sur la cosmologie
Un éleveur de chameaux au turban rouge poursuit sa bien-aimée dans le ciel jusqu’à ce qu’elle transcende l’horizon dans la nuit, restant ainsi hors de portée pour l’éternité. C’est l’histoire ancienne d’Al-Thuraya – les Pléiades –, l’objet indifférent de l’affection d’un Aldébaran – « le suiveur » en arabe – déterminé.
Cette légende est l’une des nombreuses explications anciennes de la position de l’étoile Aldébaran, qui semble suivre l’amas d’étoiles des Pléiades à travers le ciel.
Région de l’espace composée de 800 étoiles dans la constellation du Taureau, les Pléiades ont inspiré des mythes dans de nombreuses cultures du monde entier. Certains spécialistes de l’islam suggèrent même que les objets mentionnés dans la sourate An-Najm (« L’Étoile ») du Coran font référence à l’amas, également appelé The Seven Sisters en anglais, Parveen en persan et Ülker en turc.
Le mythe d’Al-Thuraya et d’Aldébaran n’est qu’un des nombreux contes entourant les étoiles. Dans un autre, Suhail (le nom arabe de Canopus, la deuxième étoile la plus brillante du ciel) est le meurtrier d’un homme nommé Naash et est poursuivi par les filles de sa victime, les Banat al-Naash.
En 1899, Richard Hinckley Allen, un astronome américain, a publié un ouvrage intitulé Star-Names and Their Meanings : couvrant la cosmologie gréco-romaine antique ainsi que celle de la majeure partie de l’Asie, ce livre a mis en évidence l’universalité de la mythologie stellaire.
Ces fables donnent un aperçu des vies et des croyances qui étaient considérées comme sacrées par les communautés anciennes et sont empreintes d’un symbolisme dont la valeur se mesure encore aujourd’hui.
Elles forment un aspect universel de l’histoire de l’humanité : de nombreuses cultures, des Incas d’Amérique du Sud aux Égyptiens de l’Antiquité, développèrent ainsi leur propre tradition cosmologique.
Babyloniens, Iraniens et Arabes
Les Babyloniens furent probablement les premiers à rendre compte de leur étude du cosmos. Sous le règne des Kassites (1595-1155 av. J.-C.), ils gravèrent leurs découvertes sur des tablettes en écriture cunéiforme, formant ainsi leurs propres catalogues stellaires.
Le MUL. APIN, un recueil mésopotamien, est le catalogue le plus connu et le plus ancien découvert à ce jour.
Les preuves écrites de l’importance des étoiles en Élam (pays antique situé dans l’actuel Iran) sont rares, mais au Ier siècle de notre ère, les rois sassanides s’intéressaient à l’astrologie et traduisaient en persan des textes astrologiques grecs et hindous.
Le « jeune » Avesta – un texte actualisé de l’Avesta, livre sacré originel des zoroastriens – mentionne deux constellations, les Pléiades et la Grande Ourse.
Selon la croyance, la Grande Ourse était censée protéger la Terre des démons rebelles qui tentaient de pénétrer dans le système solaire depuis les profondeurs de l’enfer.
Les Grecs avaient également leur propre cosmologie bien établie, associant les étoiles aux divinités de leur panthéon.
S’appuyant sur les anciens contes babyloniens et l’astronomie grecque, les astronomes arabes puis islamiques identifièrent de nouveaux objets célestes, laissant leur empreinte sur l’astronomie avec au moins 260 étoiles portant des noms arabes encore utilisés aujourd’hui.
Al-Soufi et le catalogue du ciel
Pour les premiers astronomes arabes, les légendes qui s’étaient constituées autour des étoiles n’étaient pas seulement intrigantes du fait de leur symbolisme, mais servaient aussi de méthode d’identification.
Les mythes sur les meurtriers poursuivis dans le ciel étaient un moyen plus facile d’expliquer le cosmos que le simple fait d’identifier et de nommer les lointains scintillements visibles la nuit.
Des contes bédouins furent incorporés dans les écrits d’Abd al-Rahman al-Soufi, qui était également connu sous son nom latinisé d’Azophi dans le monde occidental.
Al-Soufi était un astronome perse du Xe siècle qui dirigeait un observatoire à Chiraz (Iran), où il étudiait les étoiles et les travaux antérieurs de Claude Ptolémée, un astronome grec alexandrin du Ier siècle.
Ptolémée vécut 800 ans avant al-Soufi et rédigea Syntaxis Mathematica, qui décrit et illustre plus d’un millier d’étoiles, classées dans 48 constellations.
Al-Soufi corrigea certaines des observations de Ptolémée et développa ses conclusions, qui avaient été traduites en arabe aux VIIIe et IXe siècles dans un livre connu sous le nom d’Al-Magesti, qui signifie « la plus grande » en arabe (Almageste en français).
Dans son propre ouvrage, le Livre des étoiles fixes (Kitab al-Kawakib al-Thabitah), l’astronome persan adopta les illustrations de Ptolémée représentant les constellations, comme une ourse pour représenter la Grande Ourse et un lion pour la constellation du Lion.
Pour chaque constellation, al-Soufi réalisa deux dessins, l’un montrant comment la constellation se présente dans le ciel, et l’autre à quoi elle ressemblerait sur un globe céleste.
Parmi les autres illustrations notables réalisées par al-Soufi, citons Al-Maraa al-Musalsala, (« la femme enchaînée ») pour Andromède et Fum al-Hut (« bouche du poisson »), connue aujourd’hui en français sous le nom de Fomalhaut, qui se trouve dans la constellation du Poisson austral.
Pendant des siècles, l’ouvrage d’al-Soufi servit de manuel pour comprendre les constellations et contribua à la préservation de l’œuvre de Ptolémée pour les érudits occidentaux ultérieurs.
Le plus ancien exemplaire conservé du Kitab al-Kawakib al-Thabitah fut produit par le fils d’al-Soufi vers 1010 et se trouve à la bibliothèque Bodléienne de l’université d’Oxford.
Lorsque des textes arabes dont le codex d’al-Soufi furent traduits en latin vers le début du XIIe siècle, de nombreux noms d’origine furent complètement modifiés.
C’est le cas d’Achernar, l’étoile la plus brillante de la constellation d’Éridan, située à son extrémité sud. Son nom vient d’Akhir al-Nahr, signifiant « fin de la rivière ».
Les fans de Star Trek ou de Star Wars reconnaîtront peut-être Algol, un système stellaire – formation d’étoiles – situé dans la constellation de Persée. Parfois qualifiée d’« étoile du démon », cette formation porte un nom dérivé de l’arabe Ras al-Ghoul, qui signifie « tête du démon ». Le nom de Bételgeuse, une supergéante rouge située dans la constellation d’Orion, est dérivé de Yad al-Jauza, signifiant « main de la centrale » ou « main d’Orion ».
Un héritage normalisé
L’Union astronomique internationale (UAI), dont le siège se situe en France, est le seul organisme officiel habilité à nommer les étoiles. En 2016, afin d’éviter toute confusion découlant des différentes conventions de dénomination des étoiles, elle a normalisé les noms de centaines d’étoiles, y compris ceux dérivés de noms originaux arabes.
Les noms figurant dans le catalogue d’al-Soufi, écrit il y a un millénaire, étaient auparavant codifiés pour être utilisés par les futurs astronomes.
Plusieurs de ces étoiles forment la Grande Casserole, dans la Grande Ourse, également appelée Al-Dubb al-Akbar (« grand ours ») en arabe.
La principale étoile de la constellation est nommée Alkaïd, dérivé de l’arabe Al-Qaid (« chef »). Dans la tradition cosmologique arabe, elle est parfois appelée Al-Qaid Banat al-Naash, ou « chef des filles de Naash » auxquelles Suhail tente d’échapper.
Le long de la queue de la Grande Ourse, on retrouve Mizar (« pagne » en arabe). Avant celle-ci, on peut observer Merak, dont le nom est issu de maraqq (« échine »). Également dans la queue, là où elle s’élargit, se trouve Alioth, dont le nom viendrait d’alyat, signifiant « la queue grasse du mouton ». Le nom Megrez est tiré de maghraz, la « base » de la queue.
Il y a également Phecda, de fakhdha signifiant « cuisse », et Dubhé, qui signifie « ours » en arabe.
Au fil des siècles et à mesure que l’étude du ciel nocturne s’est mondialisée, les noms que les anciens utilisaient pour désigner les objets célestes ont convergé vers un lexique unifié formé de noms latins, grecs et arabes, entre autres langues.
Ainsi, le catalogue d’al-Soufi - inspiré de Ptolémée et des mythes des bédouins qui observaient les étoiles il y a des millénaires – continuera probablement d’influencer les astronomes pendant des siècles.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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