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Égypte : des enfants recrutés pour combattre l’État islamique dans le nord du Sinaï

Une ONG de défense des droits de l’homme appelle le gouvernement égyptien à cesser de recruter des enfants dès l’âge de 12 ans, ajoutant que le conflit devrait faire l’objet d’une enquête de la CPI pour d’éventuels crimes de guerre
Des soldats dans le nord du Sinaï, en Égypte, le 1er décembre 2017 (Reuters)

Les forces armées égyptiennes et les milices pro-gouvernementales combattant l’État islamique (EI) dans le nord du Sinaï recrutent des enfants en violation du droit international, selon un groupe de défense des droits de l’homme.

La Sinai Foundation for Human Rights (SFHR), basée au Royaume-Uni, indique qu’entre 2013 et 2022, des enfants ont été enrôlés dès l’âge de 12 ans et certains âgés de moins de 18 ans ont participé directement aux hostilités. D’autres ont été chargés d’espionner, de livrer de la nourriture aux points de contrôle militaires et d’embuscades, de rechercher et de désassembler des explosifs, a découvert l’ONG.

Les conclusions de SFHR ont été publiées mardi après une enquête de plusieurs mois basée en partie sur des témoignages de proches des enfants, de membres de la milice pro-gouvernementale et d’un mineur qui aurait été enrôlé par les forces armées.

Wilayat Sina (Province du Sinaï), la branche de l’EI dans le nord du Sinaï, a tué certains des enfants, notamment un jeune de 17 ans, assassiné devant son père avec un scalpel, sa tête abandonnée près d’un passage à niveau dans son village. D’autres ont été grièvement blessés au cours de leur travail, dont plusieurs blessés par la détonation d’explosifs, selon SFHR.

En vertu du droit international, les gouvernements sont tenus de ne pas recruter ou enrôler des enfants de moins de 15 ans. Un tel recrutement par un gouvernement ou des groupes armés est répertorié en tant que crime de guerre dans le statut de la Cour pénale internationale (CPI).

SFHR appelle le gouvernement égyptien à « mettre immédiatement fin au recrutement, à l’enrôlement et à l’utilisation d’enfants de moins de 18 ans comme combattants ou dans des rôles de soutien militaire qui les exposent au danger ».

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L’ONG recommande également que le Conseil de sécurité de l’ONU renvoie le conflit dans le nord du Sinaï à la Cour pénale internationale pour qu’elle enquête sur d’éventuels crimes de guerre.

SFHR demande en outre à d’autres gouvernements de « tenir l’Égypte responsable de ses engagements internationaux liés à l’enrôlement d’enfants dans les conflits armés ».

« Les responsables politiques aux États-Unis et dans les capitales occidentales devraient faire peser ces actions en défaveur de l’aide étrangère [qu’ils fournissent à l’Égypte], en particulier l’aide militaire, pour s’assurer que les fonds ne sont pas complices de ces pratiques », souligne le rapport.

Coût du conflit dans le nord du Sinaï

Les forces armées égyptiennes combattent Wilayat Sina dans le nord du Sinaï depuis 2013, année durant laquelle le groupe a attaqué des forces de sécurité et des civils.

En 2015, une milice pro-gouvernementale, composée de tribus de la région, a commencé à se battre en soutien aux autorités égyptiennes.

Le conflit a gravement touché les soldats et les civils, bien qu’il soit difficile d’avoir une vue d’ensemble car les journalistes ont souvent été exclus de la zone.

D’après Human Rights Watch, entre 2013 et 2020, plus de 100 000 des 450 000 habitants du nord du Sinaï ont été déplacés ou ont quitté la région. En outre, au moins 12 530 bâtiments ont été démolis et 6 000 hectares de terres agricoles ont été fermés.

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SFHR a signalé plus tôt cette année qu’au moins 59 écoles avaient été démolies ou attaquées, et 37 transformées en bases militaires, causant la déscolarisation de toute une génération d’enfants. La détérioration de la situation dans la région, en particulier son déclin économique, a entraîné le recrutement d’enfants, d’après SFHR.

Dans certains cas, l’armée et les milices ont promis aux enfants du carburant et de la nourriture, ou la possibilité de retourner dans les villages d’où ils avaient été déplacés, indique le rapport.

« L’armée et les milices ont utilisé cette stratégie, en particulier avec les enfants issus de familles longtemps marginalisées qui n’appartenaient à aucune des tribus du Sinaï.

« Les enfants ont trouvé dans leur collaboration avec l’armée une chance d’acquérir du pouvoir et des privilèges en se rapprochant des officiers de l’armée. »

Deux enfants se sont vu promettre des cartes de membre de la Sinai Fighters Association, qui, selon les explications d’un habitant à SFHR, étaient censées apporter « une sorte d’impunité et de pouvoir ».

« J’avais peur »

Des proches de Jaseer al-Batin ont déclaré qu’il avait été recruté de manière informelle par les autorités égyptiennes alors qu’il avait 12 ans. Pendant les quatre années suivantes, il a été chargé d’espionner dans son quartier de la ville de Sheikh Zuweid.

À 16 ans, des officiers lui ont dit de livrer de la nourriture sur des sites militaires dans sa propre voiture en échange d’un « salaire négligeable » et de carburant ou de nourriture pour lui et sa famille.

En novembre 2019, il a été tué par un engin explosif, probablement placé par Wilayat Sina, qui a fait exploser sa voiture, rapporte SFHR.

Jaseer al-Batin a été recruté de manière informelle par les autorités égyptiennes à l’âge de 12 ans, selon ses proches. Il a fini tué par l’État islamique (Facebook)
Jaseer al-Batin a été recruté de manière informelle par les autorités égyptiennes à l’âge de 12 ans, selon ses proches. Il a fini tué par l’État islamique (Facebook)

Partageant une vidéo de ses funérailles sur Facebook, l’Union des tribus du Sinaï, l’une des plus grandes milices pro-gouvernementales du nord du Sinaï, a écrit qu’il était « tombé en martyr [pendant] qu’il livrait de l’eau aux conscrits et aux institutions de l’État ».

Un enfant du village de Bir Abid a déclaré à SFHR que son oncle l’avait persuadé de commencer à travailler pour l’armée égyptienne en 2018.

Au début, le garçon, dont l’identité n’a pas été divulguée pour sa propre sécurité, a été chargé de livrer de la nourriture aux points de contrôle. Mais deux ans plus tard, son oncle a déclaré qu’il pouvait « participer à la guerre ».

« J’avais peur. Je n’avais que 17 ans, mais mon oncle et un officier m’ont entraîné [à tirer] pendant près de deux mois », a raconté le garçon à SFHR. « Quand j’ai su faire, j’ai voulu participer [aux combats] alors j’ai quitté l’école. »

Middle East Eye a fait une demande de commentaires auprès du ministère égyptien des Affaires étrangères mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication de cet article.

Traduit de l’anglais (original).

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