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Égypte : l’armée a « inutilement » détruit des écoles dans le Sinaï

Une génération d’élèves a été forcée de quitter l’école en raison de la destruction d’établissements par l’armée et du manque d’alternatives, selon une enquête
Une école à el-Arich, dans le nord du Sinaï, le 21 mars 2022 (AFP)
Une école à el-Arich, dans le nord du Sinaï, le 21 mars 2022 (AFP)

L’armée égyptienne a « inutilement » détruit des écoles dans la péninsule du Sinaï dans sa guerre contre les islamistes radicaux armés, forçant une génération d’élèves à quitter l’école, selon une enquête menée par un groupe de défense des droits.

Les résultats préliminaires après des mois de recherche par la Fondation du Sinaï pour les droits de l’homme (SFHR), qui ont été partagés avec Middle East Eye, montrent l’impact de l’opération de l’armée égyptienne sur l’éducation dans un Nord-Sinaï agité.

Le groupe, basé à Londres, a découvert qu’au moins 59 écoles avaient été démolies ou attaquées, et 37 écoles transformées en bases militaires au cours de cette guerre qui a duré dix ans, rapporte le média britannique The Guardian.

Les deux photos ci-dessous, en novembre 2017 et mars 2021, montrent des images avant et après de l’école primaire Arab Belli (capture)
Les deux photos ci-dessous, en novembre 2017 et mars 2021, montrent des images avant et après de l’école primaire Arab Belli (capture)

Les écoles les plus touchées sont les écoles publiques de niveau primaire et préparatoire (trois ans après le primaire).

Les cas documentés par SFHR incluent la destruction de deux écoles : l’école primaire et l’école préparatoire Arab Belli dans la communauté tribale Arab Belli, une partie de la ville d’al-Hasana, au sud de la ville d’el-Arich.

L’organisation ne dispose pas d’informations confirmées sur la date des démolitions. Mais selon Ahmed Salem, directeur exécutif de la SFHR, les témoignages disponibles indiquent que les écoles ont été démolies soit dans la seconde moitié de 2020, soit au début de 2021.

Une école alternative à... douze kilomètres 

Les écoles, estime la fondation, ont été inutilement détruites par l’armée, puisqu’elles se trouvaient à au moins quinze kilomètres de la zone tampon que l’État avait décrétée autour de l’aéroport d’el-Arich.

Selon Ahmed Salem, la démolition des deux écoles « a provoqué un choc dans toute la communauté », car cela s’est produit du jour au lendemain sans explication préalable et en conjonction avec les démolitions de maisons dans la région.

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« Les deux écoles ont été saisies puis utilisées comme base militaire par l’armée pendant une période allant jusqu’à un an et demi. L’armée a ensuite démoli les deux écoles et fait exploser les maisons des habitants d’Arab Belli », rapporte-t-il à MEE.

Toujours selon le responsable, la SFHR n’a enregistré aucune opération militaire pendant la période de prise de contrôle par l’armée des deux écoles, et aucune opération n’a été officiellement annoncée à l’époque. Les islamistes radicaux armés n’ont également revendiqué aucune attaque dans la région.

« Cela fait du bombardement des deux écoles après leur utilisation militaire, puis du bombardement des maisons civiles du village, une terrible violation [de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que l’Égypte a ratifiés] sans nécessité militaire urgente », souligne-t-il.

Le droit international humanitaire interdit également les attaques contre les écoles ou leur utilisation à des fins militaires, et les enfants ont le droit d’aller à l’école même pendant un conflit armé.

Selon Ahmed Salem, la démolition des deux écoles « a provoqué un choc dans toute la communauté », car cela s’est produit du jour au lendemain sans explication préalable

Il ajoute que les dommages causés aux écoles ont compromis le système éducatif, car des dizaines d’élèves n'ont plus reçu d’éducation, ce qui a eu pour conséquence d’augmenter l’analphabétisme.

Une nouvelle école a été désignée par les autorités locales comme alternative pour les élèves déplacés, l’école al-Raysan. Mais elle est située à douze kilomètres et la plupart des enfants, faute de transports en commun dans la région, ne peuvent donc pas s’y rendre.

Après la démolition des deux écoles, les familles ont été déplacées et n’ont reçu aucune compensation financière ni logement alternatif, elles ont donc dû quitter leur village.

Un ancien enseignant de l’école préparatoire Arab Belli, qui comptait 40 élèves inscrits, a déclaré à la SFHR que l’accès aux écoles était difficile avant et après l’opération militaire de 2018 contre le groupe État islamique (EI).

Onze points de contrôle

Avant l’opération, enseignants et élèves avaient été harcelés et fouillés par des combattants de l’EI qui avaient installé des postes de contrôle sur la route menant aux écoles.

Après le début de la guerre de 2018, c’est l’armée qui a rendu leur voyage jusqu’à l’école difficile.

Le trajet de l’enseignant, un habitant d’el-Arich, a été retardé de plus de trois heures en raison des onze points de contrôle de l’armée installés dans la région. Les enseignants étaient souvent soupçonnés d’être des combattants parce que les homme de l’EI portaient généralement des vêtements civils.

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L’enseignant explique que la guerre dans le nord du Sinaï et la destruction des écoles ont conduit une génération d’élèves à abandonner l’éducation en raison du manque d’alternatives.

« Les dix années de guerre ont été un désastre pour les élèves en raison de l’absence de parcours scolaire régulier. Cette génération a subi une véritable injustice dans l’accès à l’éducation », explique l’enseignant, cité par la SFHR.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, ancien général de l’armée en poste depuis 2014, a déclaré une « guerre contre le terrorisme » dans le nord du Sinaï après avoir évincé son prédécesseur civil démocratiquement élu Mohamed Morsi l’année précédente.

En février 2018, il a intensifié l’opération en annonçant une nouvelle offensive pour « mettre fin au terrorisme » dans la région, mais depuis, l’armée n’a toujours pas déclaré défaite ou victoire.

Des années d’opérations militaires dans la région entre les forces armées et la « province du Sinaï », la branche locale de l’EI, ont fait payer un lourd tribut aux civils et aux soldats.

Le gouvernement égyptien ne publie pas de statistiques sur l’impact du conflit sur les civils, mais Human Rights Watch estime que plus de 100 000 des 450 000 habitants du nord du Sinaï ont été déplacés ou ont quitté la région depuis 2013.

HRW a également signalé qu’entre fin 2013 et juillet 2020, l’armée a démoli au moins 12 350 bâtiments et détruit et fermé 6 000 hectares de terres agricoles, principalement depuis la mi-2016, dans la province.

Le Caire a justifié les démolitions et les expulsions comme nécessaires dans sa lutte contre l’EI.

La ville d’el-Arich a été l’un des foyers du conflit, avec des centaines de civils et de militaires tués depuis le début de l’opération en 2018.

La SFHR a déclaré avoir envoyé des lettres au ministre de l’Éducation et aux autorités locales du nord du Sinaï, en leur demandant de clarifier le point de vue gouvernemental et de commenter les premières conclusions, mais l’ONG n’a reçu aucune réponse.

MEE a contacté l’ambassade d’Égypte à Londres pour obtenir des commentaires.

Traduit de l’anglais (original).

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