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Escalade verbale et menaces déguisées : crise ouverte entre l’Algérie et les Émirats arabes unis

Après les propos d’Abdelmadjid Tebboune, qui accuse Abou Dabi (sans le nommer) de « pécher par orgueil », plusieurs personnalités émiraties dont l’ex-ministre des Affaires étrangères ont riposté sur X
Abdelmadjid Tebboune a lancé : « [l’Algérie] ne plie jamais », elle souhaite « la cohabitation pacifique avec toutes les nations » mais pour ceux qui la provoquent, « la patience a des limites » (Facebook/AlgerianPresidency)
Abdelmadjid Tebboune a lancé : « [l’Algérie] ne plie jamais », elle souhaite « la cohabitation pacifique avec toutes les nations » mais pour ceux qui la provoquent, « la patience a des limites » (Facebook/AlgerianPresidency)
Par MEE

« Il est étrange de voir comment un de nos frères lointains agit en faisant des allusions et des sous-entendus concernant ses relations avec les Émirats, continuant les insinuations voilées sans clarifications ni explications. » 

Alors que jusqu’à maintenant, les Émirats arabes unis n’avaient jamais réagi à la crise qui couve avec l’Algérie depuis des mois, Anwar Gargash, célèbre ex-ministre émirati des Affaires étrangères (de 2008 à 2021), aujourd’hui conseiller diplomatique du président Mohammed ben Zayed (MBZ), a rompu le silence sur X. 

Traduction : « Il est étrange de voir comment un de nos frères lointains agit en faisant des allusions et des sous-entendus concernant ses relations avec les Émirats, continuant les insinuations voilées sans clarifications ni explications. Pourtant, choisir de ne pas répondre et de patienter face à ces provocations restera notre voie, car la sagesse est un héritage de notre leadership qui considère les relations avec les pays frères comme une priorité et un pilier central de notre politique. »

À l’origine de cette sortie : les propos tenus par le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d’une rencontre avec les médias publics samedi 30 mars. 

« Si tu cherches à avoir avec nous les comportements que tu as avec les autres, tu te trompes. Nous avons 5,63 millions de chahid [martyrs] morts pour ce pays [pendant la guerre de libération contre la France]. Ceux qui veulent s’approcher de nous, qu’ils le fassent », a-t-il mis en garde. « Partout où il y a des conflits, l’argent de cet État est présent, au Mali, en Libye, au Soudan. »

Sans citer nommément les Émirats arabes unis, il leur a adressé plusieurs messages : « Leurs agissements ne sont pas logiques », estimant que les dirigeants du pays en question ont été conduits au « péché » par « l’orgueil », n’acceptant pas le fait qu’on leur « refuse ceci ou cela ». 

Et le chef de l’État algérien a ajouté, menaçant : « [l’Algérie] ne plie jamais », elle souhaite « la cohabitation pacifique avec toutes les nations » mais pour ceux qui la provoquent, « la patience a des limites ». 

Traduction : « Certaines nations arabes ont toutes les capacités pour réussir, progresser et prospérer, mais cherchez ceux qui sont ‘’responsables’’ de leur gestion et de leur planification, malheureusement ! Il est injuste qu’un pays de cette taille géographique, avec une population aussi nombreuse et d’abondantes ressources naturelles, soit dirigé par des responsables dont la mentalité est aussi décevante. »

Depuis plusieurs mois, la relation entre les deux pays membres de la Ligue arabe s’est détériorée. 

À l’issue d’une réunion du Haut Conseil de sécurité, le 10 janvier, l’Algérie avait fait part de ses regrets concernant « les agissements hostiles à l’Algérie, émanant d’un pays arabe frère ». Sans citer le pays en question, tout le monde avait compris qu’il s’agissait des Émirats arabes unis (EAU). 

Corruption, harga et financement du Polisario

Par « agissements hostiles », qu’entend exactement Alger ? 

D’abord, un lobbying pour généraliser la normalisation avec Israël aux autre pays de la Ligue arabe en s’appuyant sur des alliés : le MarocBahreïn, l’Égypte et, dans une certaine mesure, l’Arabie saoudite.  

Pourquoi l’Algérie accuse les Émirats arabes unis d’« agissements hostiles »
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À la suite de la signature des accords d’Abraham avec le Maroc, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat. Depuis, elle ne cesse de dénoncer l’« entrisme israélien » qui, selon elle, vise à la « déstabiliser ».

Ensuite, Alger reproche aux Émiratis des investissements au Sahara occidental, territoire non autonome selon les Nations unies, sur lequel le Maroc revendique sa souveraineté. 

Dans un article publié en février 2024, Ali Bensaad, professeur à l’Institut français de géopolitique de Paris, affirmait à Middle East Eye qu’Abou Dabi déployait en effet une politique « d’influence » dans toute la région africaine, à commencer par le Soudan, la Libye et, depuis quelques années, le Sahel.

Concrètement, les Émirats ont inauguré en novembre 2020 un consulat général à Laâyoune, au Sahara occidental, dans la partie contrôlée par le Maroc. Rabat et Abou Dabi ont aussi renforcé depuis quelques années leur coopération militaire, notamment à travers des manœuvres telles qu’« African Lion », mais aucune information officielle ne circule sur le financement effectif des Forces armées royales.  

Traduction : « Les propos du président d’un pays arabe sur un autre pays arabe sont décevants et malencontreux. Monsieur le Président, vous avez des crises internes complexes ; abordez-les avec sagesse et une bonne gestion, et ne les attribuez pas, même par insinuation ou de manière imprudente, à une partie externe dans une tentative machiavélique et évidente de fuir vers l’extérieur pour couvrir les erreurs internes. Nous prions pour qu’[Abdelmadjid Tebboune] soit mieux guidé au cours des dix derniers jours du Ramadan. »

Sur X, la réponse d’Anwar Gargash a suscité des centaines de réactions. 

D’autres personnalités émiraties, suivies par plusieurs centaines de milliers de personnes, ont critiqué les propos du président algérien, à l’instar d’Abdulkhaleq Abdulla, professeur de science politique (330 000 abonnés), qui a évoqué la corruption, la gestion des hydrocarbures, la harga (migration clandestine par la mer) et le financement du Front Polisario, mouvement indépendantiste armé sahraoui. 

Traduction : « C’est une grande faute de la part du président algérien de parler ainsi d’un pays frère du Golfe. Il n’a pas résolu les problèmes de son pays, riche en pétrole. Où vont leurs énormes richesses de gaz et de pétrole ? Le peuple meurt en mer pour atteindre la France, et leur argent va au Polisario. Est-ce que l’Algérie est envieuse d’un pays [les Émirats] qui a su investir ses richesses alors qu’elle est rongée par la corruption ? »

Des accusations auxquelles les Algériens ont répondu.

« Qui est la capitale des conspirations et des intrigues dans le monde arabe et islamique ? Demandez au Soudan [au sujet] de vos crimes à travers le soutien des milices des Forces de soutien rapide [FSR] et, avant cela, en Libye en finançant le rebelle Khalifa Haftar, en perpétuant la division libyenne, jusqu’au Yémen, où vous occupez ses îles avec des mercenaires indiens et bengalis. Et avant cela, n’oublions pas votre financement de la guerre entre frères en Syrie », s’insurge un internaute suivi par plus de 50 000 followers.

« Hommage à l’Algérie chère, qui défend le droit palestinien, résistant au courant de trahison et de normalisation, et au mal mené par les Émirats arabes unis », a répondu un Tunisien.

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