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Sahara occidental : à Alger, le brusque soutien de l’Espagne au Maroc est vécu comme une trahison

En apportant son soutien au projet d’autonomie marocain pour le Sahara, l’Espagne se réconcilie avec Rabat. Mais elle ouvre un nouveau front avec l’Algérie
« Les autorités algériennes, surprises par ce brusque revirement de position de l’ex-puissance administrante du Sahara occidental, ont décidé le rappel de leur ambassadeur à Madrid pour consultations avec effet immédiat », a déclaré le ministère des Affaires étrangères de Ramtane Lamamra (AFP)
« Les autorités algériennes, surprises par ce brusque revirement de position de l’ex-puissance administrante du Sahara occidental, ont décidé le rappel de leur ambassadeur à Madrid pour consultations avec effet immédiat », a déclaré le ministère des Affaires étrangères de Ramtane Lamamra (AFP)
Par Malek Bachir à ALGER, Algérie

« Nous savons tous pourquoi Madrid a plié devant Rabat. Le Maroc a fait ce qu’il réussit le mieux : du ‘’chantage aux migrants’’ ! »

Selon ce cadre algérien des Affaires étrangères, le volte-face diplomatique de l’Espagne, qui a subitement décidé, vendredi 18 mars, de soutenir le plan d’autonomie proposé par le Maroc pour le Sahara occidental, « trouve son explication dans la crise diplomatique du printemps 2021 », commente-t-il à Middle East Eye.

Après une série d’échanges tendus entre Rabat et Madrid, liés à l’hospitalisation de Brahim Ghali, leader du Front Polisario (mouvement politique armée réclamant l’indépendance du Sahara occidental), malade du covid, en Espagne, à l’insu du Maroc et avec la complicité de l’Algérie, 8 000 migrants avaient soudainement afflué à Ceuta, enclave espagnole au Maroc.

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Alors que plusieurs témoignages affirmaient que le passage des migrants avait été possible parce que le Maroc avait « cessé de surveiller la frontière », l’événement était présenté comme « une crise migratoire ».

Le statut de Ceuta et Melilla, seules frontières terrestres de l’Union européenne en Afrique, sous souveraineté espagnole depuis les XVIe et XVIIe siècles, est régulièrement utilisé par Rabat comme sujet de controverse, en particulier pour manifester son mécontentement face à la position traditionnelle de Madrid sur le Sahara occidental.

Jusqu’à maintenant, l’Espagne demandait le respect des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU considérant le Sahara occidental comme un « territoire non autonome » et prévoyant un référendum d’autodétermination.

Depuis mi-mai, plusieurs milliers de personnes – dont 2 500 début mars  ont réussi à entrer à Ceuta et Melilla, selon le ministère espagnol de l’Intérieur. Rappelée pour consultations en mai, l’ambassadrice du Maroc en Espagne n’est toujours pas revenue à Madrid.

Mais les responsables espagnols travaillaient en coulisses à dénouer la crise.  Il faut dire que la coopération entre les deux pays est important, l’Espagne représentant le deuxième pays d’installation des Marocains après la France (elle en compte environ 800 000).

En janvier, le roi Felipe VI d’Espagne avait notamment exprimé son souhait de redéfinir la relation avec le Maroc sur « des piliers plus solides ».

Rappel de l’ambassadeur algérien

La publication d’un communiqué du Palais royal marocain faisant état d’un message du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez (socialiste), selon lequel le plan marocain « d’autonomie » pour le territoire disputé du Sahara occidental est « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend », a provoqué la colère du Front Polisario et de l’Algérie, partisane d’un référendum.

Cette position « manque de crédibilité, de sérieux, de responsabilité et de réalisme », a estimé le Polisario, en la qualifiant de « dérive dangereuse ».

« Elle contredit la légalité internationale, elle soutient l’occupation, elle encourage l’agression et la politique du fait accompli et de la fuite en avant, et va légitimer la répression, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le pillage des richesses que le Maroc continue d’utiliser contre le peuple sahraoui, en violation des résolutions internationales », a dénoncé un communiqué.

Pour le représentant du Front Polisario en Espagne Abdullah Arabi, Pedro Sánchez a « cédé à la pression et au chantage » du Maroc. « Le gouvernement espagnol tente depuis des années de satisfaire le Maroc et entretient une certaine ambiguïté sur le dossier du Sahara occidental », a-t-il déclaré dans un entretien accordé à Europa Press.

Les Affaires étrangères algériennes, « surprises par ce brusque revirement de position », ont décidé le rappel de leur ambassadeur à Madrid pour consultations.

Le gouvernement espagnol assure de son côté avoir « informé en amont le gouvernement algérien de la position de l’Espagne concernant le Sahara ». « Pour l’Espagne, l’Algérie est un partenaire stratégique, prioritaire et fiable avec lequel nous souhaitons maintenir une relation privilégiée », ont assuré des sources gouvernementales.

Une source algérienne proche du dossier a toutefois démenti cette version des faits auprès de TSA, un média algérien : « À aucun moment et à quelque niveau que ce soit, les autorités algériennes n’ont été informées de ce vil marchandage conclu avec la puissance occupante marocaine sur le dos du peuple sahraoui. »

Samedi, une source diplomatique avait déjà taxé ce revirement de « deuxième trahison historique par Madrid après le funeste accord de 1975 », en référence à l’accord de partition du Sahara occidental entre le Maroc et la Mauritanie.

Le gaz au cœur des tractations ?

« L’Espagne trahit les Sahraouis », titre le quotidien algérien El Watan, pendant qu’un autre journal, L’Expression, s’étonne : « Le revirement de Madrid est d’autant plus incompréhensible qu’au même moment presque, le Parlement des États-Unis a refusé de céder sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Le Congrès a remis le Maroc à sa place, lui rappelant l’indécence d’annexer un territoire qui ne lui appartient pas, sans en référer à ses habitants. »

Mais quels seraient les moyens de rétorsion du côté algérien ? Les autorités peuvent-elles par exemple faire pression par des menaces sur l’approvisionnement en gaz ? Peu probable, estiment plusieurs observateurs de la scène diplomatique contactés par MEE, car cela occasionnerait des pertes financières trop importantes. 

Selon le quotidien espagnol El Mundo, le gouvernement espagnol espère d’ailleurs que les volumes d’importation achetés auprès de l’Algérie depuis le début de la guerre en Ukraine « calmeront » Alger.

L’Espagne était en 2020 le premier importateur, une place prise en 2021 par les États-Unis.

En septembre 2021, José Manuel Albares Bueno, le ministre espagnol des Affaires étrangères, s’était déplacé en Algérie pour exprimer les inquiétudes de son gouvernement. Après avoir rompu ses relations diplomatiques avec Rabat, Alger avait suspendu le contrat du Gazoduc Maghreb-Europe (GME), un pipeline alimentant l’Espagne en passant par le Maroc.

À cette époque, le chef de la diplomatie espagnole avait indiqué avoir reçu « des garanties » de la part des autorités algériennes pour l’approvisionnement de l’Espagne en gaz, via un autre gazoduc direct, Medgaz.

Selon le site d'information marocain Le Desk, la nouvelle position serait « en partie le fruit de négociations dans lesquelles le Maroc a posé comme condition la mise en marche du GME » dans le sens inverse, permettant au Maroc d’importer du gaz via son voisin du Nord.

La décision espagnole de soutenir le plan d’autonomie marocain survient alors que le 8 mars, la vice-secrétaire d’État américaine Wendy Sherman a réaffirmé le soutien américain au même plan, le qualifiant de « sérieux, crédible et réaliste ».

En visite à Alger deux jours plus tard, elle a plaidé pour la réouverture du GME, demande rejetée par les autorités algériennes.

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