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France-Algérie : le rapport Stora « en deçà de ce qu’on aurait pu attendre »

Le refus français de présenter des « excuses » concernant la période coloniale en Algérie jette un doute sur l’avancement des questions mémorielles entre les deux pays
Pour un ancien ministre algérien, le rapport Stora ne prend pas en compte « la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation » (AFP)
Pour un ancien ministre algérien, le rapport Stora ne prend pas en compte « la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation » (AFP)

La publication du rapport de l’historien français Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie n’a encore suscité aucune réaction officielle à Alger, mais certains médias et personnalités déplorent que le principe d’ « excuses », exigées par les anciens combattants algériens, ait été écarté.

« La France ne veut ni s’excuser… ni se repentir », résume en une le quotidien arabophone El Khabar.

« Le président [Macron] ferme le dossier des ‘’excuses’’ de la France », renchérit un autre journal arabophone, Echourrouk, qui accuse le chef de l’État français de renier ses engagements.

« Le président Macron ne tient pas, encore une fois, ses promesses de candidat, lui qui avait déclaré ici en Algérie que la colonisation était un crime contre l’humanité. Il préfère jouer sur tous les tableaux pour ne pas tout perdre », regrette le quotidien conservateur.

Le rapport Stora permettra-t-il une « paix des mémoires ? », s’interroge, de son côté, le quotidien francophone Liberté, à l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance en 2022, en soulignant que l’historien, spécialiste reconnu de l’Algérie, a tenté de « trouver un équilibre entre les exigences historiques et les susceptibilités politiques ».

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Le même quotidien fait réagir plusieurs historiens, algériens et français.

Olivier Le Cour Grandmaison estime, pour sa part, que le rapport Stora « demeure en deçà de ce qu’on aurait pu attendre » sur deux points essentiels.

D’abord la question des archives : « Le rapport recommande d’appliquer la loi de 2008, mais il reste muet sur les dispositions actuelles qui entravent l’accès aux archives. »   

Ensuite, l’historien regrette aussi qu’il n’y ait pas de reconnaissance des crimes coloniaux. « Benjamin Stora les euphémise sinistrement en les qualifiant d’exactions. »

Pour l’ancien ministre et ex-diplomate Abdelaziz Rahabi, « le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, à savoir la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation. Il ne s’agit ni de repentance, notion étrangère aux relations entre États, ni de fonder une mémoire commune, les deux pays étant héritiers de deux mémoires antagoniques sur cette question ».    

Les harkis mécontents

Pour l’écrivain Kamel Daoud, « ce rapport est une thérapie française avant de prétendre être une thérapie de couple. Il permettra à la France d’avancer. En effet, si des Français ne comprennent pas l’exigence algérienne et si des Algériens ne s’expliquent pas le refus de responsabilités chez des Français, c’est parce qu’une partie de l’Histoire n’a pas été racontée autrement que par des hurlements et des silences. Un trop-plein de mémoires ‘’communautarisées’’ en France, face à un trop-plein d’histoire officielle des apparatchiks en Algérie ».

« Le président de la république [française] va faire son marché dans le rapport de Benjamin Stora en fonction de ses intérêts politiques et électoraux et il va choisir des propositions qui ne vont pas le mettre en danger politiquement », analyse, pour Liberté, l’enseignant d’histoire et cofondateur du site 1000autres.org Fatrice Riceputi.

Car côté français, les résistances ne manquent pas.

Le comité national de liaison de harkis (CNLH), des anciens combattants auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’indépendance, a accusé samedi l’historien Benjamin Stora de « minimalisme » dans son rapport,  rapporte l’AFP.

« L’historien minimaliste s’est abstenu de tout débat ou avis contradictoire, pourtant nécessaire en démocratie », accuse le CNLH dans un communiqué.

« Le président de la république [française] va faire son marché dans le rapport de Benjamin Stora en fonction de ses intérêts politiques et électoraux »

- Patrice Riceputi, enseignant d’histoire et cofondateur du site 1000autres.org

« Ce qui compte vraiment, c’est que la France reconnaisse définitivement le mal qu’elle a fait. En cachant cette partie de l’histoire, elle fausse l’histoire », insiste Mohamed Badi du CNLH. Une revendication appuyée dans le communiqué, qui réclame « la vérité, la reconnaissance, la justice, la réparation ». 

Le CNLH souhaite « la reconnaissance par l’État français de sa responsabilité et de sa faute dans le désarmement, l’abandon et le massacre des harkis, après les accords d’Évian et le cessez le feu du 19 mars 1962 ». 

Sur sa page Facebook, l’historien algérien Hosni Kitouni renvoie, pour sa part, la balle à la partie algérienne.

« Le rapport de M. Stora indique de manière claire que le France n’est pas prête à faire une vraie avancée sur la question du passé colonial et celle de la mémoire. L’éléphant a accouché d’une souris. Mais même avec ces limites, il met cependant au pied du mur la partie algérienne qui, d’une part, n’a pas fait avancer le dossier d’un iota, et d’autre part, se retrouve privée de la feuille de vigne derrière laquelle elle a jusque-là caché son indigence politique : il n’y aura pas de repentance de la part de la France », explique-t-il.

En parallèle de la nomination de Benjamin Stora par Emmanuel Macron pour se charger de la rédaction de ce rapport, le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait demandé à son conseiller et directeur des Archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, de suivre ce dossier.

Ce dernier n’a pas encore réagi à la publication du rapport Stora. Le quotidien El Watan se demande d’ailleurs : « L’Algérie va-t-elle avancer sur ce dossier relatif aux questions mémorielles en l’absence d’‘’excuses’’ ? »

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