En saluant « le courage » de Tebboune, Macron suscite de vives critiques en Algérie
« Un cancer qui ronge l’Algérie » selon le Mouvement de la société pour la paix (MSP, parti tendance Frères musulmans), « aux manettes d’une feuille de route » selon le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc), qui « aggrave la confusion » sur la question mémorielle selon le quotidien El Khabar.
Des personnalités de l’opposition et des médias algériens ont qualifié très durement la France après les propos tenus par Emmanuel Macron dans un entretien publié vendredi par l’hebdomadaire Jeune Afrique.
Le chef de l’État français a salué le « courage » d’Abdelmadjid Tebboune, hospitalisé en Allemagne après avoir contracté le nouveau coronavirus, et promis de « faire tout [son] possible pour l’aider » dans la « période de transition » que vit le pays.
« Il y a aussi des choses qui ne sont pas dans nos standards et que nous aimerions voir évoluer », a nuancé le chef de l’État français, en faisant allusion aux arrestations de militants du hirak, ce mouvement de contestation qui a conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika, et à la situation des médias critiquée par les ONG algériennes et internationales.
« Je ne suis jamais dans l’invective ni dans la posture du donneur de leçon. L’Algérie est un grand pays. L’Afrique ne peut pas réussir sans que l’Algérie réussisse », a-t-il insisté.
Emmanuel « Macron se croit autorisé à distribuer des certificats de légitimité aux dirigeants des indigènes que nous sommes », a condamné le RCD par la voix de son président Mohcine Belabbas. « Dans le cas de l’Algérie, il s’autorise à délivrer une attestation de confiance au chef de l’État. Ceci n’est pas une simple ingérence mais la révélation que la France est aux manettes d’une feuille de route pour notre pays », a-t-il accusé.
« Monsieur Macron, ce sont précisément les interventions répétées de la France officielle dans les choix souverains des pays africains qui posent problème. La France postcoloniale est une partie de notre problème en plus de faire partie d’un passé douloureux pour l’Algérie et l’Afrique. L’Algérie et l’Afrique ne peuvent se complaire dans un statut de subalterne au service d’intérêts néocoloniaux. »
« Un pur extrait de la pensée néocoloniale »
Karim Tabbou, président de l’Union démocratique et sociale (UDS, parti non encore agréé) et figure du hirak, cité par le quotidien El Watan, renchérit : selon lui, la France est un État « raciste » qui « ne veut pas accepter que dans ce pays puissent émerger des forces démocratiques, une jeunesse émancipée, une jeunesse qui est capable de défier le sous-développement ».
Détenu pendant neuf mois avant une libération conditionnelle le 2 juillet, Karim Tabbou doit à nouveau passer en jugement fin novembre pour « atteinte au moral de l’armée ».
Une autre personnalité du hirak, Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), a commenté sur Facebook : « Le choix du timing est une indication de la volonté de la France de maintenir le système en place pour ses propres intérêts », en rappelant que « les Algériens se sont libérés de toute forme de tutelle et l’ont exprimé clairement depuis le 22 février de l’année écoulée. »
Le Parti socialiste des travailleurs (PST) a également critiqué les déclarations du président français : « L’attitude politique de Macron, qui réaffirme publiquement son soutien indéfectible au régime algérien actuel, annonce de grandes concessions économiques, politiques et sécuritaires au profit de l’impérialisme, et ce, aux dépens de notre souveraineté et nos intérêts économiques. »
La presse elle-même se montre sévère.
« Hier, il [Emmanuel Macron] nous appelait à nous libérer des fantasmes d’une décolonisation mal assimilée, aujourd’hui, il nous délivre un pur extrait de la pensée néocoloniale », écrit l’éditorialiste Mustapha Hammouche dans le quotidien Liberté.
Le quotidien arabophone Echourouk estime aussi que les propos du président Macron ont relancé « la polémique sur les ingérences de la France ».
Le journal arabophone El Khabar s’interroge à nouveau pour savoir si l’Algérie va accepter une « réconciliation » sans des excuses préalables pour les crimes commis durant la colonisation. En affirmant que « la France a fait énormément de gestes » et que l’important est de « mener un travail historique et réconcilier les mémoires » plutôt que de « s’excuser », Emmanuel Macron a « tracé des limites au processus actuel qu’il a lancé avec son homologue algérien », analyse El Khabar.
Pour Echourouk, le président français « n’a pas tenu ses promesses de candidat, lorsqu’il a affirmé aux Algériens que la France présenterait des excuses pour ses crimes contre l’humanité ».
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