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Des Hommes, ou le fracas du silence d’une guerre « sans nom »

Adapté du roman de Laurent Mauvignier, le dernier long-métrage de Lucas Belvaux propose une intime plongée dans le traumatisme des soldats français mobilisés durant la guerre d’Algérie
Scène du film Des Hommes du belge Lucas Belvaux (capture d’écran)
Scène du film Des Hommes du belge Lucas Belvaux (capture d’écran)
Par MEE

Comment dire les silences d’une guerre restée longtemps sans nom ? C’est le pari du dernier long-métrage du réalisateur belge Lucas Belvaux, Des Hommes, sorti en salle mercredi 2 juin en France.

Le film est une adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier, paru en 2009, qui avait frappé par la puissance de son écriture, mise au service d’une plongée intime dans les affres de l’engagement des jeunes appelés français dans les dernières années de la guerre d’Algérie.

Le réalisateur Lucas Belvaux reprend la même trame pour dérouler son film.

L’ouverture du film – et du roman – se passe dans un village aux confins de la campagne française, où on fête les 60 ans de Solange (Catherine Frot) dans la salle des fêtes communale, lorsque s’incruste son frère Bernard, dit Feu-de-bois (Gérard Depardieu), alcoolique colérique, pour lui offrir un cadeau dont tout le monde doute de sa provenance.

La scène se conclut par une altercation raciste et provoque chez le cousin de Bernard, le très discret Rabut (Jean-Pierre Darroussin), d’inquiétants flash-back vers un temps oublié – ou plutôt qu’on s’était évertué à oublier – quand Bernard et lui étaient soldats en Algérie au début des années 1960.

Un lien surgit entre cette mémoire traumatique qui remonte à la surface et ce présent saturé par la véhémence de Feu-de-bois dans cette salle des fêtes.

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Quand le réalisateur est interrogé sur la difficulté qui persiste en France à parler de la guerre d’Algérie, il répond : « C’était un des aspects qui m’intéressaient et ce n’est pas un hasard si j’ai fait ce film juste après Chez nous, qui parlait de la montée de l’extrême droite. » Dans ce film sorti en 2017, vivement critiqué par le Rassemblent national de Marine Le Pen, il y racontait l’histoire d’une jeune infirmière draguée par la leader d’un parti d’extrême droite…

« Il y a un lien évident entre les deux. Le FN [Front national] a été créé dans les années 1970 par des anciens de l’OAS [organisation armée clandestine des ultras de l’Algérie française] sur les cendres de cette guerre-là », poursuit Lucas Belvaux.

« Soixante ans après, cette guerre est malheureusement toujours instrumentalisée politiquement dans un camp comme dans l’autre. Or, le récit de la décolonisation a été une gigantesque ‘’fake news’’. »

Au plus profond de l’humain en guerre

Sur France Culture, le réalisateur précise : « La mémoire est un sujet de fiction et est en partie fiction. Il y a un récit national où l’on réécrit l’histoire et où l’on raconte la mémoire. La fiction permet d’assumer le fait que ce que l’on raconte est un point de vue mais que la vérité se situe peut-être de ce côté-là. »

Des Hommes fait penser à d’autres œuvres sur le sujet, comme le documentaire La Guerre sans nom (1991) où Bertrand Tavernier et Patrick Rotman interrogent des anciens appelés, ou encore le long-métrage de fiction L’Ennemi intime (2007) de Florent-Emilio Siri, mais l’originalité du film de Belvaux est d’avoir su imposer l’introspection des personnages – en collant au dispositif du roman – pour plonger au plus profond de l’humain en guerre, l’humain qui ne revient finalement jamais de cette guerre, même cloîtré au fin fond de la tranquille campagne française.

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« Ce qui est réussi dans le livre, c’est la forme en parfaite adéquation avec le sujet, celui de la mémoire. La mise en scène, avec ses voix off et ses flash-back, est une façon de lui rendre hommage, de traduire au cinéma ce qu’il avait su créer d’un point de vue littéraire. Une polyphonie qui est aussi une succession de soliloques. Ce sont avant tout des histoires individuelles qui, à un moment, rencontrent la grande histoire », explique Lucas Belvaux au quotidien La Croix.

Un autre atout du film est certainement son casting, surtout en engageant un monstre du cinéma français comme Gérard Depardieu : « Des Hommes offre un véritable festival Depardieu. Sa puissante carrure et sa voix qui fait trembler les murs sont des atouts majeurs quand il s’en prend à une femme terrorisée. Ses yeux perdus expriment sa douleur au cœur de ses manifestations de violence, rendant l’homme qu’il incarne touchant jusque dans ses excès », écrit 20 Minutes.

Le film, sélectionné en compétition officielle à Cannes, a reçu le label du Festival de Cannes 2020.

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