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Tribune du Monde retirée, instrumentalisation de France Médias Monde : la « méthode » Macron décriée

Le retrait d’une tribune du Monde à la demande de l’Élysée et l’appel de Macron aux diplomates français à « mieux utiliser le réseau France Médias Monde » ont provoqué la colère des spécialistes et des journalistes
L’indépendance des médias français, publics ou privés, serait menacée par l’interventionnisme de l’Élysée (AFP/Emmanuel Dunand)
L’indépendance des médias français, publics ou privés, serait menacée par l’interventionnisme de l’Élysée (AFP/Emmanuel Dunand)

Le journal Le Monde a retiré de son site une tribune sur la visite, fin août, du président français Emmanuel Macron en Algérie, car elle « contenait une erreur qui induisait une mauvaise interprétation », s’est justifié le quotidien vendredi après avoir été la cible d’accusations de censure.

Le président français s’est rendu à Alger, après des mois de crise diplomatique liée au contentieux mémoriel entre les deux pays. À cette occasion, Emmanuel Macron et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune ont signé solennellement un document qui « renouvelle leur engagement à inscrire leurs relations dans une dynamique de progression irréversible », 60 ans après la fin de la guerre d’Algérie

À la suite de cette visite, une tribune, publiée jeudi matin avant d’être retirée dans l’après-midi, était signée par le chercheur Paul Max Morin, et s’intitulait « Réduire la colonisation en Algérie à une ‘’histoire d’amour’’ parachève la droitisation de Macron sur la question mémorielle ».

Dans une première brève mise au point, le quotidien du soir avait livré cette explication : « Si elle peut être sujette à diverses interprétations, la phrase ‘’une histoire d’amour qui a sa part de tragique’’ prononcée par M. Macron lors de la conférence de presse n’évoquait pas spécifiquement la colonisation, comme cela était écrit dans la tribune, mais les longues relations franco-algériennes ».

« Le Monde présente ses excuses à ses lectrices et lecteurs, ainsi qu’au président de la République », écrivait le journal à la fin de cette première mise au point, vite suivie de critiques.

« Retirer une tribune pour une citation de Macron qui lui déplaît ! Nouvelle étape dans l’affaissement d’une presse autrefois référence », avait ainsi twitté jeudi soir le leader de La France insoumise (gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon.

« Retirer un texte est une pratique anormale et incompréhensible », a réagi vendredi l’auteur de la tribune, Paul Max Morin, auprès du quotidien Libération.

Après ces critiques, Le Monde a publié vendredi après-midi sur son site une explication plus développée.

« Les pages Débats du Monde ont vocation à accueillir des analyses et des points de vue, y compris très polémiques. Nous ne pouvons nous permettre d’y accueillir des textes comportant des erreurs factuelles », a argumenté le journal vendredi après-midi.

« Quand on commet des erreurs qui sont de notre fait, c’est normal de s’excuser auprès des personnes à qui ça a pu porter préjudice, à commencer par nos lecteurs », a par ailleurs déclaré à l’AFP le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio, au sujet des excuses exprimées dans le premier billet.

« Décision incroyable »

En octobre 2021, des propos de d’Emmanuel Macron rapportés par Le Monde, accusant le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle », avaient provoqué une crise entre Alger et Paris.

L’éditeur François Gèze et les historiens Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio, animateurs du blog « Histoire coloniale et post-coloniale », ont publié, samedi 2 septembre, dans le Club de Mediapart, un texte qui se concluait ainsi : « Nous sommes aussi des lecteurs fidèles du quotidien Le Monde où des journalistes talentueux apportent des analyses utiles. Cette décision incroyable prise au nom du journal apparaît comme imposée à ces journalistes par des actionnaires. Telle est notre inquiétude. »

Pour rappel, Xavier Niel, patron de Free, et qui est l’un des principaux actionnaires du Monde, faisait partie de la délégation accompagnant Emmanuel Macron en Algérie.

La relation entre l’Élysée et les médias en France ont également connu une autre crise la semaine écoulée après les déclarations de Macron lors de la conférence des ambassadeurs. Jeudi, devant les ambassadeurs français réunis à l’Élysée, le président a appelé à « assumer une stratégie d’influence et de rayonnement de la France ».

Dans ce discours qui pointait « le narratif, russe, chinois ou turc » en Afrique, Emmanuel Macron a exhorté à « mieux utiliser le réseau France Médias Monde, qui est absolument clé, qui doit être une force pour nous ».

« France 24, média du groupe FMM [France Médias Monde], n’est en aucun cas la voix officielle de la France », a répliqué la SDJ (Société des journalistes) de la chaîne de télévision d’information continue, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.

« Elle est un média de service public, pas un média gouvernemental. Elle n’est pas, non plus, un opérateur de la diplomatie d’influence », a insisté la SDJ de France 24.

Dans un communiqué distinct, son homologue de la radio RFI, qui appartient également à France Médias Monde, a martelé que ce groupe « n’est pas le porte-voix de l’Elysée ».

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