Aller au contenu principal

Catherine Colonna au Maroc pour réchauffer les relations entre Paris et Rabat

La ministre française des Affaires étrangères arrive au Maroc ce jeudi 15 décembre pour préparer la visite d’Emmanuel Macron annoncée pour janvier, après des mois de refroidissement entre Paris et Rabat. Retour sur une crise profonde, mais muette
Crise des visas, scandale Pegasus, expulsion de l’imam Iquioussen… Avant de préparer la visite d’Emmanuel Macron en janvier, la cheffe de la diplomatie française doit mettre fin à la crise diplomatique latente qui couve depuis l’automne 2021 (AFP/Sajjad Hussain)

Après Alger, Rabat. Emmanuel Macron va s’employer à réchauffer la relation bilatérale avec le Maroc qui, depuis 2021, est passée de « très bonne » à « mauvaise ». Et pour cela, la cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, est attendue ce jeudi 15 décembre à Rabat pour préparer, selon l’AFP qui cite des sources diplomatiques, « une visite du président Emmanuel Macron prévue en janvier ».

La France chercherait à « mettre fin à une crise latente avec le Maroc » et s’emploierait à « trouver des gestes d’apaisement susceptibles de retisser les liens avec son partenaire historique au Maghreb, sans trop froisser pour autant le rival algérien », a expliqué début décembre l’AFP.

De retour de son voyage en Algérie, fin août, Emmanuel Macron avait déclaré de façon informelle à des Marocains croisés dans la rue lors d’un festival de musique électro en France qu’il prévoyait de se rendre dans leur pays fin octobre.

Le président français Emmanuel Macron arrive avec le roi du Maroc Mohammed VI à la gare de Rabat Agdal pour l’inauguration d’une ligne ferroviaire à grande vitesse, le 15 novembre 2018 (AFP/FAdel Senna)
Le président français Emmanuel Macron arrive avec le roi du Maroc Mohammed VI à la gare de Rabat Agdal pour l’inauguration d’une ligne ferroviaire à grande vitesse, le 15 novembre 2018 (AFP/FAdel Senna)

Mais cette visite n’a finalement jamais eu lieu et les relations se sont envenimées davantage.

Hespress, le premier site d’information en ligne du royaume en nombre de lecteurs, a été reconnu coupable de désinformation en publiant, quelques jours après la sortie de Macron, un article titré « Le petit jeu de la France pour faire pression sur le Maroc ».

Supprimé depuis (mais consultable ici), l’article s’appuyait sur des « révélations » totalement infondées, présumées extraites de deux « notes divulguées » de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), l’appareil de renseignement extérieur de la République.

« Nous vous demandons de donner des ordres urgents au ministère des Affaires étrangères pour réduire le nombre de visas accordés aux Marocains, ainsi que durcir au maximum les conditions d’octroi de ces visas », rapportait Hespress dans sa supposée transcription d’une note datée du 14 novembre 2021.

Un contenu qualifié de « complètement insensé » par le site d’investigation marocain Le Desk, qui rappelle que les mesures prises par la diplomatie française pour limiter les quotas de visas accordés aux Marocains datent du 28 septembre 2021.

Les visas, éternel point d’achoppement

Cette « crise des visas » a éclaté au grand jour en septembre 2021 avec la décision de Paris de réduire de 50 % le quota de visas octroyés aux Marocains et aux Algériens et de 30 % celui accordé aux Tunisiens.

« Une humiliation » : les Marocains dénoncent les restrictions sur les visas accordés par la France
Lire

À l’époque, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, avait justifié cette mesure par le « refus » des trois pays maghrébins de délivrer les documents consulaires nécessaires pour permettre l’expulsion par la France de leurs ressortissants en situation irrégulière dans l’Hexagone.

D’après les chiffres du ministère français de l’Intérieur, la France n’a délivré que 69 408 visas aux Marocains en 2021, un chiffre en baisse de 29,6 % par rapport à 2020 (98 000).

En temps « normal », ce sont trois fois plus de Marocains qui obtenaient annuellement des visas délivrés par la France (346 000 en 2019 et 303 000 un an plus tôt).

Au Maroc, la pression médiatique autour de cette affaire n’a cessé d’enfler. La Fédération marocaine des droits du consommateur, qui regroupe 72 associations, a interpellé l’ambassade de France à Rabat pour exiger la restitution des frais de visas non délivrés.

Une stratégie de rupture tentée par l’organisation qui s’apparente plutôt à un baroud d’honneur, puisque la réglementation sur la procédure de demande de visa prévoit explicitement que les frais « ne sont pas remboursables ni transférables et ce, que le visa soit finalement octroyé ou non par l’ambassade de France ».

Des militants pour la défense des droits de l’homme manifestent devant les bureaux de l’Union européenne contre la restriction des visas imposée par la France, le 4 octobre 2022 à Rabat (AFP/Fadel Senna)
Des militants pour la défense des droits de l’homme manifestent devant les bureaux de l’Union européenne contre la restriction des visas imposée par la France, le 4 octobre 2022 à Rabat (AFP/Fadel Senna)

La crise avait atteint son paroxysme fin août, lorsque le Maroc a décidé de suspendre le laissez-passer consulaire permettant l’expulsion de l’imam marocain Hassan Iquioussen, objet d’une procédure administrative d’éloignement du territoire.

L’objectif de la France est que l’imam reste en dehors du territoire national et soit reconduit au Maroc, mais il faudrait pour cela que ce dernier délivre à la Belgique le document consulaire permettant un tel éloignement.

Finalement, c’est l’ambassadrice de France à Rabat elle-même, Hélène Le Gal, qui fera les frais de cette crise silencieuse. Elle quittera son poste mi-septembre, presque trois ans jour pour jour après sa nomination.

Pegasus et Sahara occidental

En plus de la crise des visas, son mandat aura été marqué par plusieurs controverses. En particulier l’affaire Pegasus : selon les révélations du consortium de journalistes créé par Forbidden Stories, le Maroc aurait espionné Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres avec le logiciel espion israélien.

Autre nœud : l’ambigüité de Paris vis-à-vis du conflit au Sahara occidental.

Depuis la signature de son deal tripartite avec les États-Unis et Israël, qui prévoit, entre autres, une reconnaissance par Washington de la souveraineté de Rabat sur le territoire du Sahara occidental, le Maroc n’hésite pas à bomber le torse face aux puissances européennes qui entretiendraient des positions que Mohammed VI avait qualifiées d’« ambigües » dans un de ses discours.

Les dénouements favorables à Rabat des crises successives avec l’Allemagne et particulièrement l’Espagne, qui traîne une responsabilité historique dans ce conflit en tant qu’ancienne puissance coloniale, ont emporté le Maroc dans un élan de confiance.

La France est désormais dans la ligne de mire du Maroc. Va-t-elle à son tour se plier aux exigences de son « ami » marocain ? Rien n’est moins sûr…

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].