Menaces et atteintes aux lieux de culte : les attaques contre les musulmans ont doublé en France en 2020
Il ne fait pas bon vivre en France quand on est musulman. C’est ce que laisse entendre la 30e édition du rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie réalisé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rendu public le 8 juillet dernier et remis au premier ministre Jean Castex.
La CNCDH, qui assure auprès du gouvernement un rôle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de l’homme, a dressé son propre constat en s’appuyant en partie sur une note du Service central du renseignement territorial (rattaché à la police nationale et au ministère de l’Intérieur) qui a établi pour 2020 « le bilan des actes à caractère antisémite, antimusulman, antichrétien, raciste et des atteintes aux milieux de culte et sépultures ».
Ces statistiques montrent que la baisse globale des actes racistes enregistrée en 2020 (-26 %) ne s’applique pas aux violences ciblant les musulmans. Bien au contraire. « Au quatrième trimestre, on recense 151 faits en 2020 contre 52 en 2019, soit un quasi triplement, qui suffit à expliquer une hausse globale de 52 % sur l’ensemble de l’année [de 154 en 2019 à 234 en 2020] », révèle le rapport.
« Un contexte favorisant une stigmatisation des musulmans »
Ses auteurs relient les résultats à « un contexte favorisant, dans certains secteurs de l’opinion publique, une stigmatisation des musulmans », comme le meurtre du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty à la fin du mois d’octobre de cette année et la dénonciation du « séparatisme musulman » lors des débats autour de la loi sur le respect des principes de la République votée par l’Assemblée nationale en première lecture le 15 février 2021 (et en deuxième lecture le 1er juillet).
« À partir de cette observation, la CNCDH exprime sa très forte inquiétude face à des dérives, dans le champ politique comme dans certains médias et sur les réseaux sociaux. Elle en souligne la très grande nocivité, appelant à la plus grande vigilance à leur égard », indique la commission, rappelant avoir émis un avis défavorable le 28 janvier 2021 sur la loi sur le séparatisme.
Sur l’ensemble des actes antimusulmans, 75 % correspondent à des menaces (insultes publiques, graffitis, etc.). Les atteintes aux lieux de culte ont augmenté quant à elles de 38 % en 2020.
« Mais attention, ces chiffres ne sont pas très exhaustifs. On sait qu’il y a des victimes qui ne portent pas plainte et qu’il y a un chiffre noir [différence entre les chiffres connus et la réalité]. Les statistiques du Service central du renseignement territorial se basent sur des remontées du terrain, en provenance d’associations comme l’Observatoire contre l’islamophobie du Conseil français du culte musulman », souligne à MEE Nonna Mayer, chercheure émérite au CNRS, spécialiste de l’extrême droite, du racisme et de l’antisémitisme et membre de la CNCDH.
« L’islam fait peur »
Le rapport qu’elle a co-rédigé fait savoir d’ailleurs que « la conviction, dans la population, de l’existence d’une masse d’actes racistes non déclarés, et donc non condamnés, alimente un sentiment d’insatisfaction et d’injustice, douloureux pour les victimes et néfaste pour la cohésion sociale ».
« La conviction, dans la population, de l’existence d’une masse d’actes racistes non déclarés, et donc non condamnés, alimente un sentiment d’insatisfaction et d’injustice, douloureux pour les victimes et néfaste pour la cohésion sociale »
- Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie
Il stipule également qu’en vue d’examiner l’évolution du racisme en France, les statistiques sur les violences racistes ne doivent pas être exploitées de manière isolée.
À ce titre, Nonna Mayer tient à distinguer les actes des opinions, en précisant que les auteurs des agressions islamophobes constituent une minorité, qui passe à l’action dans un contexte particulier, alors que les opinions sont celles de « l’ensemble de la société et indiquent ce qui est considéré comme permis ou pas, ses normes ». « Il faut distinguer la logique des actes de la logique des opinions », observe la chercheuse.
Pour évaluer le degré de tolérance de la société française vis-à-vis de ses minorités, musulmans compris, la CNCDH a choisi d’accompagner ses rapports d’un baromètre, réalisé sous la forme d’un sondage impliquant un échantillon de 2 000 personnes d’origines diverses (un peu moins d’un quart ont un parent étranger).
L’enquête réalisée en mars 2021 (en ligne à cause du COVID) montre, selon Nonna Mayer, que les opinions vis-à-vis de l’islam et des musulmans « continuent à s’améliorer très lentement », même si la tendance reste encore largement négative.
« La perception de l’islam et des musulmans, bien qu’en progrès sensible depuis plusieurs années, reste une source de tensions très vives dans une partie de la société », souligne le rapport, en révélant que 46 % des personnes ayant participé au sondage ont déclaré avoir une opinion négative de l’islam.
« L’islam fait peur car il est assimilé à une religion rigoriste. On confond facilement islam et islamisme. L’islam est également associé au terrorisme. Il porte l’ombre des attentats », explique Nonna Mayer.
Des pratiques religieuses mal perçues
D’après le baromètre de la CNCDH, certaines pratiques religieuses musulmanes restent d’ailleurs perçues comme difficilement compatibles avec la société française, comme le port du voile (69 % des sondés) et l’interdiction de montrer l’image du prophète Mohammed (63 %).
« En revanche, les Français sont sensiblement moins choqués par le sacrifice du mouton lors de l’Aïd al-Kébir (49 %, soit -4 points par rapport à 2019), les prières (39 %, -6 points), l’interdiction de consommer de la viande de porc ou de l’alcool (34 %, -4 points) et enfin par le jeûne du Ramadan (27 %, -6 points) », révèle le rapport.
Celui-ci note par ailleurs « une nette progression de l’opinion selon laquelle « il faut permettre aux musulmans de France d’exercer leur religion dans de bonnes conditions » (73 %) et de celle qui considère que « les Français musulmans sont des Français comme les autres » (74% des sondés, soit une hausse de 6 points en comparaison avec 2019).
Racisme systémique
Pour Nonna Mayer, cette évolution des opinions, même si elle est encore très relative, s’explique par trois facteurs : le renouvellement des générations, un meilleur accès à l’éducation et la diversité croissante de la société française.
« Chaque nouvelle génération est plus tolérante que celles qui l’ont précédée car elle est plus instruite et ensuite parce qu’on vit dans une société plus diverse et multiculturelle. À l’école, les enfants sont beaucoup moins crispés que les personnes plus âgées sur le foulard par exemple », explique la membre de la CNCDH.
Optimiste, elle pense que la tolérance vis-à-vis des minorités, comme les musulmans, va s’améliorer avec le temps – « lentement peut-être mais sûrement, avec quelques fois des brusques envolées en avant, comme nous l’avons vu pendant la Coupe du monde de football en France en 1998, et des retours en arrière, comme en 2005 notamment avec les émeutes des banlieues cadrées par certains comme les émeutes de l’islam », soutient Nonna Mayer.
La chercheuse attire aussi l’attention sur la présence d’un « racisme systémique » qui entraîne des discriminations au quotidien en France et dans les autres sociétés occidentales.
« Le fait d’être blanc et d’appartenir à la majorité religieuse, même s’il y a de moins en moins de pratiquants, favorise les préjugés même inconscients », dit-t-elle. Pour illustrer ce qu’elle considère comme de « l’ethnocentrisme », Nonna Mayer pense notamment aux contrôles au faciès par la police et aux discriminations dans l’accès au parc immobilier.
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