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Les sorties scolaires interdites aux mamans « voilées » : la saga obsessionnelle

Le vote de la semaine dernière au Sénat visant à interdire les accompagnatrices voilées n’est que le dernier en date d’efforts législatifs discriminatoires qui vont à l’encontre de la volonté de bâtir une école de la confiance dans le respect mutuel
Une petite fille tient la main de sa mère en arrivant à l’école primaire Necotin, à Orléans, dans le centre de la France, le 1er septembre 2016 (AFP)

Supprimer du paysage tout ce qui dérange en fonction de ce qui arrange.

C’est ainsi que l’on peut résumer ce « nouvel épisode » du débat législatif autour de la question des mamans d’élèves « voilées » qui accompagnent des sorties scolaires.

Un amendement a ainsi été voté mardi 30 mars au Sénat, dans le cadre de la loi dite « confortant les principes républicains ». Une énième tentative pour légiférer sur un débat toujours aussi stérile, une véritable saga obsessionnelle.

Une obsession intemporelle

Point de surprise, donc, du fait de ce vote au Sénat et pour cause : il est, disons-le, cyclique, une préoccupation majeure pour certains élus, une urgence vitale. L’histoire n’est donc pas nouvelle, elle se répète.

En mars 2012, le ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel signe une circulaire visant à empêcher les parents d’élèves manifestant, par « leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses » d’accompagner les sorties scolaires. Les mamans « voilées » sont ici, clairement, la cible de ce texte.

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Le Conseil d’État est alors saisi en septembre 2013 par le défenseur des droits Dominique Baudis et statue en décembre que les parents accompagnateurs sont des usagers du service public et ne sont donc pas soumis à la neutralité religieuse.

Il est trop tard, le travail sur les consciences a eu raison de ce débat, certaines libertés sont d’ores et déjà prises.

La circulaire n’a pas été supprimée et bien qu’elle n’ait aucune valeur juridique, elle sert certains qui l’invoquent et en abusent. Des mères se voient donc refuser la possibilité d’être accompagnatrices sous prétexte de porter un foulard. En 2015, un livret sur la laïcité est alors distribué aux équipes éducatives et chefs d’établissements scolaires pour rappeler notamment la décision du Conseil d’État du 19 décembre 2013.

En juin 2019, c’est avec la loi « pour une école de la confiance » qu’un amendement visant à interdire le port de tout signe religieux ostentatoire, dont le voile, pour les mamans accompagnatrices lors de sorties scolaires est proposé par le parti Les Républicains (LR) et adopté au Sénat ; il sera supprimé par la commission mixte.

En octobre 2019, une maman accompagnatrice et portant le foulard lors d’une sortie pédagogique au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté est agressée verbalement par l’élu Rassemblement national (RN) Julien Odoul, le débat se réinstalle.

Des mères protestent contre le projet de loi visant à interdire les accompagnatrices voilées, à Perpignan, le 28 mai 2019 (AFP)
Des mères protestent contre le projet de loi visant à interdire les accompagnatrices voilées, à Perpignan, le 28 mai 2019 (AFP)

Certains diront qu’il s’agit d’une coïncidence du calendrier, puisqu’une proposition de loi sera portée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio et déposée en juillet 2019. Elle sera adoptée le 29 octobre au Sénat puis rejetée.

Novembre 2019, une nouvelle proposition de loi visant « à interdire le port de signes ou de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse dans les sorties scolaires » est déposée à l’Assemblée nationale par le député RN Bruno Bilde.

Un an après, le projet de loi « séparatisme » fait son apparition et les amendements relatifs à l’interdiction aux mamans portant le foulard d’être accompagnatrices scolaires sont au rendez-vous.

Où sont les limites ?

La volonté de légiférer sur cette question plane donc depuis des années, telle une épée de Damoclès. Proposée, débattue, adoptée, « redébattue » puis rejetée… le cercle infernal se répète au service de calendriers électoralistes et d’idéologies dangereuses.

Quelles seraient les prochaines étapes si cet amendement était définitivement adopté ? Interdire aux mamans « voilées » de récupérer leurs enfants au portail ?

Quelles seraient les prochaines étapes si cet amendement était définitivement adopté ?

Interdire aux mamans « voilées » de récupérer leurs enfants au portail ?

Interdire aux mamans « voilées » déléguées de classe d’assister aux conseils de classe et d’école ?

Interdire aux mamans « voilées » de participer à l’organisation des kermesses d’école ?

Interdire aux mamans « voilées » les bibliothèques municipales ?

Interdire aux femmes « voilées » les bancs d’université ?

Car oui, la réalité est là, des femmes portant le foulard sont présentes dans le champ éducatif. Elles sont actives et investies de toutes parts en faveur de la réussite des jeunes générations.

S’acharner et travailler les consciences

Le stade de la polémique a donc été dépassé depuis bien longtemps, mais il est toujours bon pour certains de surfer sur la vague. La banalisation d’un discours discriminant et extrême envers ces femmes, ces mères, car elles portent un foulard ouvre la voie à des propos emplis de haine – il n’y a plus de limites.

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Car oui, ce sont des mots forts, diffamants, insultants et dangereux qui sont aujourd’hui prononcés à leur encontre sur des chaînes télévisées de grande écoute. Dernièrement, l’élu municipal de droite Serge Federbusch s’est prêté à l’exercice sur Cnews : « Les femmes qui portent le voile sont des ennemies de la République qui veulent notre peau. »

La porte-parole des Républicains Lydia Guirous aussi. Elle a déclaré sur BFMTV : « Le voile est devenu un outil de promotion de l’islam politique […] renvoyant l’image aux jeunes que la femme serait inférieure aux hommes durant ce temps scolaire où l’on confie nos enfants. »

Il s’agit ni plus ni moins d’un travail propagandiste de désinformation et d’obscurantisme qui tente de diaboliser la cible pour convaincre l’opinion publique que ces femmes « voilées » sont à l’origine de tous les maux.

Et ce pour installer des rancœurs afin de nourrir les peurs et légitimer un amendement liberticide.

Ces mamans accompagnatrices « voilées », qui sont-elles ?

Ces femmes sont en fait des mères investies dans l’éducation et la scolarité de leurs enfants, volontaires lorsque des sorties pédagogiques sont organisées.

Il s’agit ni plus ni moins d’un travail propagandiste de désinformation et d’obscurantisme qui tente de diaboliser la cible pour convaincre l’opinion publique que ces femmes « voilées » sont à l’origine de tous les maux

Elles sont des mères pleines de bienveillance, prenant sur leur temps, puisant dans leur énergie physique et mentale afin de soulager les équipes éducatives en accompagnant les élèves.

Ces mères accompagnent, encadrent et veillent à ce que tout se passe pour le mieux afin que chacun puisse profiter des apprentissages.

Ces mères ont fait le choix de favoriser l’accès au savoir, d’y contribuer, elles co-construisent et contribuent à ce que ces temps indispensables aux élèves se fassent dans de bonnes conditions. Elles devraient donc être saluées, honorées… et non pas insultées, stigmatisées, faisant l’objet d’une loi comme si elles étaient coupables d’un crime ou d’un délit.

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Au quotidien, les efforts fournis en commun par les parents d’élèves, les membres du personnel éducatif et les acteurs associatifs en faveur d’un avenir meilleur, pour la réussite éducative et scolaire, sont considérables. Les mamans accompagnatrices et portant un foulard en font partie.

Au quotidien, sur le terrain, le travail est acharné afin de lutter contre les inégalités, contre le décrochage scolaire, contre le climat de violence à l’école, pour la réussite de ceux qui sont la préoccupation de toutes les mères, y compris celles portant un foulard.

Interrogez ces mères, vous verrez qu’elles n’aspirent qu’à une seule chose : que chaque enfant puisse exceller et devenir un citoyen doué de raison et imprégné de valeurs humanistes.

Des valeurs que certains semblent non seulement avoir oubliées mais souhaitent éradiquer du pays des Lumières.

Que diront ces mères à leurs enfants lorsque ces derniers insisteront auprès d’elles pour qu’elles viennent en sortie scolaire ? Est-ce ainsi que nous parviendrons à « coéduquer » ?

Que diront ces mères à leurs enfants lorsque ces derniers insisteront auprès d’elles pour qu’elles viennent en sortie scolaire ?

L’école de la confiance se construit en instaurant un climat propice aux échanges et au travail – non pas en le nourrissant de manière délétère, éveillant des méfiances infondées et mettant assurément en danger les enfants.

L’école de la confiance dans un esprit de liberté se construit dans l’altérité et le respect mutuel.

Ce vote au Sénat va à l’encontre de cette volonté de bâtir une école de la confiance, ce vote ne favorise pas le dialogue entre l’école et les familles, ce vote le fragilise et le menace.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Samia Chiki est journaliste et militante associative sur les questions éducatives. Enseignante durant une dizaine d’années, elle mène actuellement des travaux de recherche sur les enjeux de la coéducation dans les quartiers populaires.
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