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Liz Truss et le Moyen-Orient : les positions de la nouvelle Première ministre britannique sur les sujets sensibles

Face aux difficultés nationales et à la nécessité de parvenir à des accords commerciaux, le mandat de Liz Truss devrait privilégier l’argent sur les droits de l’homme et la démocratie dans la région
La nouvelle dirigeante du parti conservateur et prochaine Première ministre britannique, Liz Truss, prononce un discours après l’annonce de son élection à Londres, le 5 septembre 2022 (AFP)
La nouvelle dirigeante du parti conservateur et prochaine Première ministre britannique, Liz Truss, prononce un discours après l’annonce de son élection à Londres, le 5 septembre 2022 (AFP)

Ce lundi, le parti conservateur britannique a choisi Liz Truss pour être sa nouvelle dirigeante et la prochaine Première ministre du Royaume-Uni.

Actuellement ministre des Affaires étrangères, elle sera officiellement nommée Premier ministre ce mardi, après son élection visant à remplacer Boris Johnson à la tête du parti au pouvoir.

On l’a déjà qualifiée de « métamorphe » politique et de personne aux opinions « très manichéennes ». En tant que Première ministre, elle hérite d’un agenda politique dominé par la crise du coût de la vie alimentée par l’inflation et les prix de l’énergie en très forte hausse.

Mais son bilan en tant que ministre des Affaires étrangères et précédemment en tant que ministre du Commerce international laisse deviner le cap qu’elle est susceptible de faire prendre au Royaume-Uni concernant les principaux domaines d’action impliquant le Moyen-Orient.

Israël-Palestine

Tandis que les frappes aériennes israéliennes pilonnaient la bande de Gaza sous blocus début août, tuant au moins 45 civils palestiniens dont une quinzaine d’enfants, Liz Truss a publié un communiqué de soutien à Israël : « Le Royaume-Uni soutient Israël et son droit à se défendre. »

Sur le plan national, elle prend la tête d’un gouvernement qui cherche à interdire le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) en empêchant les organismes publics, les mairies et leurs fonds de pension de boycotter les investissements en Israël. 

Malgré les critiques des organisations de la société civile pour lesquelles cette décision « constituerait une menace pour la liberté d’expression et la capacité des organismes publics et institutions démocratiques à dépenser, investir et échanger en toute éthique conformément au droit international et aux droits de l’homme », Truss n’a nullement laissé paraître qu’elle pourrait revenir sur cette décision. 

Le fervent soutien de la Première ministre à Israël l’a même menée à déclarer qu’elle n’avait pas tenu compte de l’avis de bureaucrates chevronnés du Foreign Office lorsqu’elle a soutenu Israël au Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) et suggéré que cet organe de l’ONU avait été « utilisé pour colporter un programme particulier qui comporte ouvertement des éléments forts d’antisémitisme ». 

« Le gouvernement Truss gérera les différentes crises selon ses intérêts, privilégiant la sécurité et la stabilité sur tout autre sujet »

- Umberto Profazio, chercheur associé à l’Institut international d’études stratégiques

En juin, les membres du CDH ont adopté deux résolutions affirmant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et condamnant les colonies israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est, et sur le plateau du Golan occupé.

Le Royaume-Uni a voté contre ces résolutions, en décalage complet avec le reste de la communauté internationale. 

Plus récemment, l’actuelle cheffe de la diplomatie a indiqué qu’elle « étudierait » le déménagement de l’ambassade britannique en Israël à Jérusalem, ce qui irait à l’encontre de décennies de politique britannique sur Israël et la Palestine.

« J’ai eu de nombreuses conversations avec mon bon ami le Premier ministre [israélien Yaïr] Lapid à ce sujet. Sachant cela, j’étudierai le dossier pour m’assurer que nous opérons avec les pieds solidement ancrés en Israël », a-t-elle écrit dans une lettre au lobby Conservative Friends of Israel.

Avec Liz Truss à sa tête, le Foreign Office britannique a également ouvert des négociations de libre-échange avec Israël, espérant stimuler les échanges entre les deux pays (qui représentent 5,8 milliards d’euros à l’heure actuelle).

Commerce avec le Golfe

Lorsqu’une commission parlementaire a demandé à Liz Truss de citer un moment où elle avait abordé la question des droits de l’homme avec les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG ; bloc politique et économique composé de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Qatar, du Koweït, de Bahreïn et d’Oman), elle n’a su que dire. 

Malgré ses promesses passées de « demander des comptes » aux pays qui enfreignent les droits de l’homme, elle pense qu’il est plus important de « faire affaire » avec les pays du Golfe.

En tant que cheffe de la diplomatie, elle a supervisé le lancement des efforts du Royaume-Uni pour s’assurer un accord de libre-échange avec les pays du CCG. Le gouvernement britannique a « jugé cette région cruciale dans l’intérêt de Londres pour des raisons commerciales et stratégiques », explique Umberto Profazio, chercheur à l’Institut international d’études stratégiques (IIES).

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« Pour le Royaume-Uni post-Brexit, il est de toute évidence important de diversifier autant que possible les partenaires commerciaux, et le Golfe est assurément une région importante où Londres est néanmoins face à des rivaux qui ont pu faire des progrès significatifs ces dernières années », indique-t-il à Middle East Eye

« Face à l’influence croissante de la Chine et de la Russie dans la région, le Royaume-Uni perd assurément du terrain, comme de nombreuses puissances occidentales qui souffrent d’un manque de crédibilité aux yeux de leurs partenaires arabes », ajoute Profazio. 

Puisque les Britanniques cherchent à diversifier leurs relations commerciales, la guerre saoudienne au Yémen, qui a fait des dizaines de milliers de morts et a amené des millions de personnes au bord de la famine, va certainement être reléguée au second plan. 

Les crises humanitaires au Yémen n’ont pas empêché le gouvernement britannique d’approuver les incessantes ventes d’armes aux Saoudiens et le ministère britannique du Commerce international (Department for International Trade, DIT) a renâclé lorsque MEE a demandé à voir des documents susceptibles d’éclairer la façon dont les décisions politiques concernant les ventes d’armes à l’Arabie saoudite avaient été façonnées par le conflit.

Atteinte aux droits de l’homme en Égypte

Du fait de la volonté de Liz Truss de faire affaire avec les pays du Moyen-Orient et de donner la priorité à sa campagne pour devenir Première ministre, le sort de l’activiste britanno-égyptien Alaa Abdel Fattah a été totalement ignoré. 

Le journaliste et activiste politique est dans le collimateur du gouvernement égyptien depuis 2014. Il a été arrêté et emprisonné en 2019 et, en décembre 2021, a été condamné à cinq ans de prison pour diffusion de « fausses informations ». Les preuves contre lui étaient un retweet.

Depuis le mois d’avril, Alaa Abdel Fattah est en grève de la faim et les autorités carcérales le privent d’assistance consulaire, de lecture, d’un lit et même d’une montre.

Sa famille a récemment critiqué l’absence d’aide apportée par Liz Truss, exprimant son exaspération face à cette situation. « En toute honnêteté, on a l’impression qu’elle ignore délibérément notre détresse et sa responsabilité envers nous », a écrit sa sœur, Mona Seif, sur Twitter

Rien de nouveau vis-à-vis de l’Iran

Si on a attribué à Liz Truss le mérite d’avoir aidé à ramener au Royaume-Uni Nazanin Zaghari-Ratcliffe, travailleuse humanitaire binationale qui a passé plus de cinq ans en prison en Iran pour des accusations d’espionnage, le mari de cette dernière accuse la prochaine Première ministre de ne pas en faire assez pour demander des comptes à ceux qui sont responsables de l’incarcération de sa femme.

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Richard Ratcliffe estime que Liz Truss n’a pas respecté sa promesse d’imposer des sanctions aux individus impliqués dans cette affaire en Iran.

Sur le sujet brûlant du nucléaire iranien, Liz Truss a adopté une position plus radicale

« J’ai clairement fait savoir que les progrès concernant le plan d’action conjoint ne vont pas assez vite et je vous assure que si le JCPOA [l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien] s’effondre, toutes les options sont sur la table », a-t-elle déclaré récemment.

Tout indique que la nouvelle cheffe du parti conservateur va adopter le scénario de « maintien du statu quo » concernant le Moyen-Orient, estime le professeur Profazio. 
 « Une grande partie de son attention se portera inéluctablement sur la situation économique difficile et sur les politiques nationales, le gouvernement Truss gérera les différentes crises selon ses intérêts, privilégiant la sécurité et la stabilité sur tout autre sujet », poursuit-il.

« Je m’attends à des liens bien plus étroits avec les partenaires du Golfe, étant donné l’importance des négociations de libre-échange pour le Royaume-Uni et d’autres efforts pour servir les intérêts des principaux partenaires tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, notamment sur les principaux théâtres de conflits où ces pays sont engagés activement », conclut Profazio.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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