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« Israël nous vise » : les journalistes palestiniens en première ligne pour briser le blocus israélien de l’information

Depuis le 10 mai, selon RSF, une quinzaine de journalistes palestiniens ont été blessés dans la bande de Gaza. Les autorités israéliennes interdisant l’entrée aux correspondants étrangers, les journalistes palestiniens sont les seuls témoins de la violence de l’offensive
Des Palestiniens assistent aux funérailles du journaliste Youssef Abu Hussein, qui travaillait pour la radio al-Aqsa liée au Hamas, tué lorsqu’une frappe israélienne a visé son domicile au nord de la ville de Gaza, le 19 mai 2021 (AFP)
Des Palestiniens assistent aux funérailles du journaliste Youssef Abu Hussein, qui travaillait pour la radio al-Aqsa liée au Hamas, tué lorsqu’une frappe israélienne a visé son domicile au nord de la ville de Gaza, le 19 mai 2021 (AFP/Mohammed Abed)

Depuis le 10 mai dernier, qui marque le début de la nouvelle offensive d’Israël contre la bande de Gaza, Hassan* ne dort plus.  

Joint par Middle East Eye, le journaliste palestinien raconte : « Dormir ? Non ! Personne à Gaza n’arrive à dormir. On entend toujours des bombardements, il y n’a pas d’endroit sûr ici. On ne sait pas où ils bombardent et qui ils visent. Moi, je vous le dis, si j’arrive à dormir une ou deux heures par jour, c’est très bien. » 

À 43 ans, Hassan travaille pour de nombreux médias étrangers. Tous les jours, il collecte sur le terrain les dernières informations sur les bombardements, le nombre de victimes. 

« Le matin, on commence à travailler, on ne sait pas si on va rentrer chez nous le soir », témoigne-t-il d’une voix fatiguée. « Mais on prend le risque parce que si on ne fait par notre travail, personne d’autre ne le fera. » 

« Je ne suis pas un spécialiste des armes, mais ces missiles-là provoquent comme un tremblement de terre et leur impact fissure les bâtiments autour »

- Un journaliste palestinien

Quand on lui demande comment sont les nuits à Gaza en ce moment, il nous envoie une courte vidéo prise depuis son balcon. 

Au loin, l’obscurité est déchirée par une lame de feu orange. Le fracas de la frappe aérienne fait trembler les murs. Encore un immeuble pulvérisé. Des cris s’élèvent, des chiens aboient et puis, à nouveau, ce bourdonnement incessant des drones israéliens qui tournent sans relâche autour de la bande de Gaza. 

« J’ai couvert les guerres de 2009, 2012, 2014 et, à chaque fois, on se dit il n’y aura pas pire… et le pire arrive », constate Hassan par téléphone.

 « Cette fois-ci, j’ai trouvé un nom à la nouvelle arme qu’Israël utilise, je l’appelle ‘‘Tora Bora’’ ! Pour moi, ce sont les mêmes bombes que les Américains ont utilisées pour aller déloger les hommes de Ben Laden dans leurs grottes en Afghanistan. Je ne suis pas un spécialiste des armes, mais ces missiles-là provoquent comme un tremblement de terre et leur impact fissure les bâtiments autour. » 

Une violation des règles du droit international humanitaire

Samedi 15 mai, l’armée israélienne a franchi un pas de plus dans la guerre qu’elle mène contre la bande de Gaza. Pour la première fois, elle a bombardé un immeuble de treize étages qui hébergeait des journalistes internationaux, dont les équipes de la chaîne d’information qatarie Al Jazeera et de l’agence de presse américaine AP. 

En quelques secondes, la tour située au cœur de Gaza a été anéantie. Le propriétaire du bâtiment avait reçu l’ordre de l’évacuer une heure avant la frappe aérienne. De nombreux journalistes se trouvaient alors en reportage. 

« Le temps que l’armée israélienne nous a laissé était beaucoup trop court vu tout le matériel que nous avions dans nos bureaux situés au douzième étage de la tour », indique Ramzi Nassem, journaliste pour Al Jazeera. 

Joint par MEE, il raconte, encore sous le choc : « Nous avions tous très peur lorsqu’on a dû évacuer. Nous n’avons pas réussi à prendre tout ce qu’on voulait, on a paniqué. Nous avons réussi à ne sauver qu’une petite partie de nos matériels et nous devons travailler désormais dans des conditions très précaires. Mais je vous garantis que nous ne nous arrêterons pas. » 

Dans la foulée de cette attaque contre la presse internationale, António Guterres, secrétaire général des Nations unies, s’est dit « consterné » et a rappelé à toutes les parties que « tout ciblage aveugle des structures civiles et médiatiques viole le droit international et doit être évité à tout prix ». 

En France, Reporters Sans Frontières (RSF) a saisi, lundi 17 mai, la Cour pénale internationale (CPI). Dans un communiqué, l’organisation de défense des journalistes demande à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, de déterminer si les bombardements des bureaux de journalistes à Gaza constituent un « crime de guerre ». 

VIDÉO : Piégés en zone de guerre
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Selon RSF, depuis le début de l’offensive israélienne, 23 locaux de structures médiatiques ont été pris pour cible. Une violation des règles du droit international humanitaire qui protègent les journalistes dans les zones de guerre. 

Pour Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, ces attaques contre des journalistes ne doivent pas être passées sous silence. 

Joint par MEE, il explique : « Une telle saisine, c’est un signal envoyé à Israël. On se dit que ça doit les gêner un peu, même si bien sûr, les procédures devant la Cour pénale internationale sont longues. Il faut mettre les dirigeants face à leurs responsabilités. Il faut résister à cette tentative de neutraliser l’information. » 

Pour Ramzi Nassem, aucun doute, l’armée israélienne a reçu l’ordre de détruire le bureau d’Al Jazeera pour empêcher sa chaîne d’information de travailler. 

« La force d’occupation israélienne nous vise surtout parce que nous sommes les seuls capables d’exposer au monde ses crimes. Pour le moment, les reporters internationaux n’ont toujours pas pu entrer à Gaza. Les passages pour arriver ici sont fermés et les journalistes n’ont toujours pas reçu d’autorisation des autorités israéliennes, qui ne veulent pas que le monde soit témoin de ce qui se passe ici. C’est pour cela que nous, journalistes palestiniens, nous sommes des cibles ! » 

Des journalistes épuisés psychologiquement

Sur le terrain, au cœur de l’enclave côtière, la plupart des journalistes palestiniens travaillent sans protection. Pas de gilet pare-balles, pas de casque. Pourtant, chaque jour, ils sont parmi les premiers à arriver sur les lieux visés par les frappes israéliennes. 

Les conséquences psychologiques de ces journées passées dans les hôpitaux, dans les cimetières ou au milieu des décombres sont dévastatrices.  

« Au fond de moi, je suis en colère, mais j’ai aussi la responsabilité de transmettre avec intégrité les faits »

- Ramzi Nassem, correspondant d’Al Jazeera

Les cris, les larmes, la souffrance font partie de leur quotidien. Hassan a du mal à en parler, mais pudiquement, il lâche : « C’est vraiment dur, vraiment dur. À chaque fois, être sur place et être témoin de l’ampleur des bombardements, voir toutes ces victimes. C’est un mélange de tristesse et de peur… Tous ces gamins morts qui ont été extraits des décombres de leurs maisons. C’est pas du tout évident pour nous. » 

Dimanche 15 mai, le journaliste free-lance Mohamed El Mansi se trouvait dans un hôpital de Gaza, pour filmer comme chaque jour l’arrivée de nouvelles victimes d’une frappe israélienne, quand il a vu deux corps arriver. Ceux de ses deux frères, tués quelques minutes plus tôt dans la maison familiale. 

Sur une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux, le journaliste a le souffle coupé par la douleur. 

Ces journalistes palestiniens vivent tous à Gaza. Aujourd’hui, ce sont leurs familles, leurs proches qui vivent dans l’angoisse. Ils doivent donc aussi travailler avec la peur que les leurs soient tués dans un bombardement pendant leur absence.

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Mercredi, Youssef Abu Hussein, un journaliste qui travaillait pour la radio al-Aqsa liée au Hamas, a été tué dans un bombardement qui a ciblé sa maison. Selon ses voisins, la frappe n’avait été précédée d’aucun avertissement de la part  des Israéliens. 

Ramzi Nassem est père de famille. Lorsqu’il rentre chez lui, le journaliste d’Al Jazeera redevient un civil sous les bombes. 

« Je ne sais même pas comment protéger ma famille. Je me souviens de la nuit avant la fête de l’Aïd al-Fitr, qui est normalement un moment de joie. Pendant des heures, j’ai serré mes enfants dans mes bras. Ils étaient terrorisés par les frappes aériennes israéliennes qui ne se sont pas arrêtées pendant une heure », se souvient-il, avant de conclure : « Au fond de moi, je suis en colère, mais j’ai aussi la responsabilité de transmettre avec intégrité les faits. » 

* Son prénom a été changé

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