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Musulmanes indiennes « mises en enchères » sur le net : au croisement de la misogynie et de l’islamophobie

Le scandale d’une application proposant des Indiennes de confession musulmane à la vente renseigne sur le climat de haine et de violence contre les femmes et les minorités dans la péninsule
Journalistes et activistes femmes, ciblées par une application les mettant aux enchères, ont vivement dénoncé ce procédé (AFP)
Journalistes et activistes femmes, ciblées par une application les mettant aux enchères, ont vivement dénoncé ce procédé (AFP)
Par MEE

Les 4 et 5 janvier derniers, la police indienne a arrêté trois jeunes hommes qui seraient à l’origine d’une parodie d’application, appelée Bulli Bai, qui propose aux utilisateurs, depuis le premier jour de l’année, d’acheter… une centaine de femmes indiennes musulmanes.

Le scandale a éclaté quand des journalistes et des activistes de sexe féminin, ciblées par ce procédé, l’ont publiquement dénoncé.  

« Le terme “BulliBai”, aux origines nébuleuses et qui désigne le pénis en Inde du Sud ou une servante en Inde du Nord, est devenu, dans tout le pays, une insulte visant à dénigrer les femmes d’origine musulmane. Un terme repris en boucle par les trolls proches de la droite nationaliste hindoue », explique l’ONG Reporters sans frontières (RSF), qui a recueilli les témoignages de journalistes indiennes citées dans cette application.

Informations personnelles volées

« J’ai décidé de porter cela devant la justice », déclare à RSF la journaliste Ismat Ara. « Dans la plainte, j’ai parlé de conspiration, parce que c’est une attaque coordonnée contre un certain type de femmes musulmanes. C’est très déshumanisant. Les gens vous réduisent à de la marchandise. »

Traduction : « Profondément attristée. Et honte que cela se produise. Aussi misogynes que soient ces criminels, la ‘’normalisation’’ de ces crimes en encouragera d’autres, cela deviendra un problème d’ordre public. Ils ne s’arrêteront pas à une communauté cible. »

De plus, « les photos et les informations personnelles, volées depuis des comptes sur les réseaux sociaux d’une centaine de femmes, ont été postées sur cette application comme si elles étaient “mises en vente”, ou “mises à disposition” des utilisateurs », note encore RSF.

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« Le point commun, c’est que les personnes ciblées sont toutes des femmes musulmanes qui n’ont pas peur de parler. L’idée est de les humilier, et de leur faire comprendre qu’elles n’appartiennent pas à l’espace public », témoigne pour RSF la journaliste Fatma Khan, ciblée également par cette application.

Mais il ne s’agit pas d’une première. En juillet 2021, des femmes, notamment des journalistes, toutes musulmanes, avaient été proposées aux enchères sur l’application Sulli Deals.

Malgré des plaintes, il n’y eut à l’époque aucune mise en examen ou arrestation. Pour RSF, « face à l’absence complice de réaction des autorités, les auteurs de ces harcèlements se sentent d’autant plus libres d’agir qu’ils s’inscrivent dans un climat de haine à l’encontre de la minorité musulmane indienne entretenu par les tenants de l’Hindutva – cette idéologie matrice du nationalisme hindou qui a notamment abouti à l’avènement du Bharatiya Janata Party, le parti du Premier ministre Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014 ».

Climat général de violence

Grâce à la forte mobilisation, l’application a été retirée.

« La ‘’vente aux enchères’’ de femmes issues de la communauté minoritaire [musulmane] n’est pas seulement une misogynie standard. Dans un climat d’excès généralisé, d’attaques contre les minorités et d’appels ouverts et impunis au meurtre de masse, l’humiliation des femmes musulmanes se plie aux pires tendances communautaires et aux fantasmes de violence », dénonce le quotidien Indian Express.

« Deux semaines avant la mise en ligne de Bulli Bai, des vidéos massivement échangées sur les réseaux sociaux montraient des leaders religieux, réunis pour un pèlerinage hindouiste, appelant au nettoyage ethnique des minorités présentes en Inde, à commencer par les musulmans », rappelle, encore, RSF.

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