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Irak : les youtubeurs et influenceurs occidentaux, un nouveau « phénomène » touristique

Les Irakiens voient avec plaisir les vloggers occidentaux explorer leur pays alors qu’une industrie du tourisme naissante est stimulée par de nouvelles règles concernant les visas et les progrès en matière de sécurité
L’influenceur et vlogger américain Mac Candee (à droite) avec le vlogger australien Luke Damant (au centre) déjeunent avec des soldats irakiens à Bagdad, en Irak (avec l’aimable autorisation de Mac Candee)
L’influenceur et vlogger américain Mac Candee (à droite) avec le vlogger australien Luke Damant (au centre) déjeunent avec des soldats irakiens à Bagdad, en Irak (avec l’aimable autorisation de Mac Candee)

Hussein Haroun est guide touristique en Irak depuis près de deux ans. Les premiers mois, la majorité de ses clients étaient des Irakiens, profitant d’une sécurité recouvrée après la défaite de l’État islamique pour explorer leur pays. Mais l’année dernière, il a remarqué un changement.

« De nombreux youtubeurs et influenceurs occidentaux se sont mis à venir », rapporte à Middle East Eye le jeune homme originaire de l’ancienne ville de Babylone.

Avant que la pandémie ne suspende les voyages, le tourisme était un atout pour de nombreuses économies du Moyen-Orient en proie à d’autres difficultés. En Égypte et aux Émirats arabes unis (EAU, pays riche en énergie), l’industrie du tourisme représentait environ 12 % du PIB. En Jordanie, ce chiffre s’élevait même à 20 %. 

« Ils montrent un côté de l’Irak que les médias occidentaux ne rapporteraient jamais »

- Osamah Mousa, cofondateur d’Iraqi Travellers Cafe

Même le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a placé le tourisme au centre de ses efforts pour remodeler la seule économie du G20 de la région dans le but de sortir de sa dépendance aux pétrodollars.

L’État irakien dépend lui aussi du pétrole, ce produit représentait 43 % de son PIB en 2019. Bien qu’il ait longtemps attiré un flux constant de touristes religieux d’Iran vers les villes saintes de Kerbala et Nadjaf, ce n’est pas une destination prisée par les visiteurs occidentaux.

Il y a d’abord eu l’invasion américaine de 2003. A suivi une insurrection acharnée, puis la lutte contre l’État islamique. Les soldats et les armes affluaient, mais les touristes occidentaux étaient inexistants. « C’est un pays qui a été fermé au monde pendant deux décennies », résume Haroun, qui a lui-même seulement 21 ans. 

« Les groupes WhatsApp font du bruit »

Mais à l’été 2021, les vloggers occidentaux spécialisés dans les voyages ont commencé à apparaître dans les rues de villes comme Bagdad, Mossoul et Bassorah. Ils hélaient les taxis, buvaient du thé avec les habitants et fumaient la chicha.

« C’est assurément un phénomène nouveau », affirme à MEE Abdullah al-Qazzaz, un jeune diplômé qui a lancé Visit Mosul, une entreprise leader du tourisme dans cette ville du nord de l’Irak. « Les gens sont accueillants, mais ils doivent encore s’habituer à voir des touristes occidentaux. »

L’amélioration de la situation sécuritaire de l’Irak ces dernières années est l’une des raisons de ce changement. Par ailleurs, en mars 2021, le pape François s’est rendu sur place. « Le voyage du pape et le fait que l’Irak était ouvert lorsque le reste du monde était fermé en raison du covid » sont deux raisons données par Qazzaz pour expliquer l’augmentation du nombre de visiteurs. 

Mais le gouvernement irakien a également fait un grand pas en mars 2021 en décidant d’autoriser les citoyens de pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et les pays de l’Union européenne à obtenir un visa à l’arrivée dans les aéroports ou aux frontières terrestres et maritimes. 

Auparavant, le processus fastidieux pour obtenir un visa touristique pouvait prendre des mois et coûter plusieurs milliers de dollars. Encore plus attrayant pour certains, l’Irak a supprimé l’exigence que les touristes soient accompagnés d’un guide agréé par le gouvernement.

Des Irakiens assis dans un café culturel, l’un des nombreux lieux de rassemblement des intellectuels du pays dans la capitale Bagdad, le 16 octobre 2020 (AFP)
Des Irakiens assis dans un café culturel, l’un des nombreux lieux de rassemblement des intellectuels du pays dans la capitale Bagdad, le 16 octobre 2020 (AFP)

Mac Candee, un vlogger américain spécialisé dans les voyages, raconte à MEE qu’il avait rayé l’Irak des destinations possibles pendant quelques années en raison des restrictions. Cette liberté retrouvée a changé les choses. Peu de temps après l’annonce des nouvelles règles, son téléphone a commencé à chauffer. « Tous ces groupes WhatsApp se déchaînaient. »

« La communauté des youtubeurs, en particulier ceux qui voyagent dans des zones similaires, ressemble beaucoup à un espace de coworking. Nous nous connaissons tous, alors quand quelqu’un entend parler d’un changement dans les règles de voyage, on est tous au courant. »

L’un des premiers vloggers à se rendre en Irak a été Jay Palfrey, un ressortissant britannique dont les abonnés sur YouTube (plus de 1,2 million de personnes) suivent ses voyages à travers le Moyen-Orient. Il a effectué trois voyages en Irak depuis août dernier.

« Certaines personnes pensent que, peut-être, parce qu’elles viennent des États-Unis et qu’il y a ce passif avec l’Irak, elles ne sont pas les bienvenues. Ce n’est pas vrai » 

- Diyar Talal, cofondateur d’Iraqi Travellers Cafe

« C’est mon pays arabe préféré », confie-t-il à MEE. « Je ne pense pas avoir pu filmer sans que des Irakiens ne viennent m’accueillir. »

Les youtubeurs voyageant dans des zones de guerre ou des États se remettant d’un conflit se sont attiré les foudres du public. De nombreux vloggers commencent leurs vidéos en affirmant qu’ils n’ont pas l’intention d’exprimer leurs opinions politiques. Cela n’a pas empêché certains d’être critiqués pour avoir visité des pays comme la Syrie, où persistent des opinions bien arrêtées sur la guerre civile.

L’Irak a peut-être réussi à échapper à ce piège. « Il n’y a pas de personnalité controversée particulière qui bouleverse les gens et, en Irak en particulier, on a le sentiment que tout le monde veut juste que le pays s’en sorte », estime Doug Barnard, un youtubeur américain qui a rendu visite à Jay Palfrey.

De nombreux vloggers qui voyagent en Irak présentent également leur contenu d’une certaine manière : ils se filment eux-mêmes, font peu de montage et ont beaucoup d’interactions avec les habitants. Ils se débrouillent avec l’arabe et restent généralement à l’écart de la politique. 

L’une des vidéos les plus populaires de Barnard montrait une soirée avec une Irakienne à Bagdad. Dans une autre, ses amis et lui tombent accidentellement sur un spectacle de talents en plein air dans la capitale. Candee a tourné une vidéo de 25 minutes dans un salon de coiffure délabré de Bagdad. 

Apprenez à dire « habibi »

L’âge médian de la population irakienne (40 millions d’habitants) est de seulement 21 ans et les youtubeurs qui se sont entretenus avec MEE ont indiqué que leurs vidéos étaient beaucoup plus populaires en Irak qu’en Occident.

Les Irakiens représentaient 70 % du public de Mac Candee après son voyage. Les États-Unis un peu moins de 5 %. Doug Barnard rapporte qu’environ 70 % des vues sur ses vidéos irakiennes proviennent également d’habitants du coin. Pour Jay Palfrey, c’est environ 60 %.

« La plupart des Irakiens passent leur vie sans jamais voir un Occidental », déclare à MEE Diyar Talal, un Bagdadien de 25 ans. « Ils sont curieux de voir comment les youtubeurs occidentaux découvrent notre pays et notre culture. »

Talal est le cofondateur d’Iraqi Travellers Cafe, une plateforme en ligne qui a été lancée pour promouvoir la « citoyenneté mondiale » parmi les Irakiens, mais qui s’est rapidement transformée en un réseau de 38 000 membres Facebook aidant les touristes à se frayer un chemin en Irak.

Des Irakiens font leurs courses au marché de Bab al-Saray, dans la ville de Mossoul, dans le nord de l’Irak, le 17 juillet 2021 (AFP)
Des Irakiens font leurs courses au marché de Bab al-Saray, dans la ville de Mossoul, dans le nord de l’Irak, le 17 juillet 2021 (AFP)

« Les Irakiens veulent inviter des gens dans leur pays », assure Talal. « Certaines personnes pensent que, peut-être, parce qu’elles viennent des États-Unis et qu’il y a ce passif avec l’Irak, elles ne sont pas les bienvenues. C’est faux. »

Les touristes contactent le groupe pour obtenir de l’aide sur tout, des conseils sur les endroits à visiter à la location d’une voiture. Le Travellers Cafe organise des fêtes et des échanges culturels dans son lieu de rassemblement, le café Beban à Bagdad. Talal raconte que ses membres ont même été chercher des touristes à l’aéroport et ont fourni aux routards un point de chute.

« [Les Irakiens] sont accueillants, mais ils doivent encore s’habituer à voir des touristes occidentaux »

- Abdullah al-Qazzaz, guide à Mossoul 

Ils donnent aussi leurs numéros de téléphone aux visiteurs et leur disent d’appeler en cas de problèmes. Talal et les voyageurs récents en Irak signalent que l’un des principaux obstacles que les touristes doivent franchir, ce sont les postes de contrôle militaires.

« C’est normal et les Irakiens y sont habitués, mais les étrangers peuvent être surprotecteurs, ce qui donne aux Irakiens le sentiment qu’ils sont peut-être des espions », dit-il en souriant. « Nous les aidons à apprendre quelques mots arabes. S’ils apprennent à dire habibi [mon amour, ami], c’est plus facile de parler. »

Alors que le pays se concentre sur la reconstruction, essentielle après des décennies de conflit, et que le gouvernement irakien est occupé par une politique intérieure et régionale tortueuse, peu d’efforts ont été faits pour promouvoir le tourisme en tant qu’industrie destinée aux visiteurs occidentaux. 

Osamah Mousa, qui a cofondé le Travellers Cafe avec Talal, accueille les influenceurs et les vloggers venant des États-Unis et d’Europe. « Ils montrent un côté de l’Irak que les médias occidentaux ne rapporteraient jamais. »

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Selon lui, l’impact positif de leurs vidéos se fait déjà sentir. Lorsqu’il rencontre des touristes et leur demande pourquoi ils ont décidé de venir en Irak, « beaucoup disent : ‘’J’ai vu une visite d’un youtubeur et je n’arrivais pas à y croire.’’ Ils donnent envie aux gens de venir. »

Abdullah al-Qazzaz partage cet avis. « Les vloggers sont indépendants. Ils peuvent véritablement raconter ce qu’ils vivent ici. »

Les jeunes Irakiens qui se sont entretenus avec MEE se disent conscients des défis qui attendent le tourisme dans leur pays. « Ce secteur n’a qu’un an. Nous avons beaucoup de travail à faire », reconnaît Haroun, le guide touristique de Babylone. 

Il est toutefois optimiste. « En ce moment, les touristes sont surpris. Ils ont juste réalisé qu’ils pouvaient en fait marcher dans les rues de Bagdad et qu’elles étaient sûres. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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